3 . Le passage de l’intelligence sensori-motrice à la pensée conceptuelle

‘« La constitution de l'univers, qui paraissait achevée avec celle de l'intelligence sensori-motrice, se poursuit au travers de tout le développement de la pensée, ce qui est certes naturel, mais se poursuit en paraissant tout d'abord se répéter, avant de progresser réellement pour englober les données de l'action dans un système représentatif d'ensemble ».88

L'étude de l'intelligence sensori-motrice est importante pour comprendre les constructions ultérieures. Dans ses recherches, J. Piaget constate que, lors du passage à la pensée conceptuelle, on observe une continuité linéaire et on retrouve dans la solution de ces nouveaux problèmes les mêmes difficultés analysées et la réapparition de processus d’adaptation primitifs, avec une sorte de « décalage en extension ». C'est notamment le cas dès que l'on complique les données des questions et que l'on oblige les sujets à atteindre leurs objectifs au moyen de contacts ou de déplacements complexes. D’ailleurs, pour J. Piaget, ce sont les objectifs qui permettraient, entre autres, de repérer la transition entre l'intelligence sensori-motrice et la pensée conceptuelle ou verbale.

L'intelligence sensori-motrice est une adaptation de l'intelligence comme telle, tandis que la pensée conceptuelle est une pensée collective obéissant à des règles communes. La socialisation de la pensée se manifeste par l'élaboration de concepts, de relations et par la constitution de règles. On constate une évolution structurale liée à la fonction langagière. En effet, si l'intelligence sensori-motrice se borne à vouloir la réussite ou l'adaptation pratique, la pensée verbale ou conceptuelle a pour fonction de connaître et énoncer des vérités. Cette évolution est due à une décentration permettant des constats prenant de plus en plus en compte le monde environnant. Ceci implique une présentation ou un échange, ce qui n'a pas de signification au cours d'activité individuelle. Au plan verbal, l'enfant reconstruit ce qu'il a construit sur le plan sensori-moteur en tenant compte de la nature collective de ses activités.

‘« ... Les premiers concepts dont use l'enfant ne sont pas d'emblée des classes logiques susceptibles de ces opérations d'addition, de multiplication (...) qui caractérisent la logique des classes dans son fonctionnement normal, mais des sortes de préconcepts procédant par assimilation syncrétique. De même, l'enfant qui parvient cependant à manier les relations sur le plan sensori-moteur, commence, sur le plan verbal et réflexif, par substituer aux relations des qualités absolues, faute de pouvoir coordonner les différentes perspectives et de sortir du point de vue propre auquel il assimile toutes choses. Dès lors, le raisonnement enfantin apparaît en recul sur les coordinations sensori-motrices des 5° et 6° de nos stades : ne connaissant encore ni classes ni relations proprement dites, il consiste en fusions simples, en transduction procédant par assimilation syncrétique. Ce n'est qu'au cours d'un développement laborieux, qui transforme l'assimilation égocentrique en déduction véritable et l'accommodation en un ajustement réel à l'expérience et aux perspectives dépassant le point de vue propre, que le raisonnement enfantin devient rationnel et prolonge ainsi sur le plan de la pensée, les conquêtes de l'intelligence sensori-motrice. »89

Il est important de noter que l'enfant qui maniait les relations sur le plan sensori-moteur et donc pouvait appréhender la quantité avec des compétences de ce stade, en est réduit à utiliser, dans un premier temps, des qualités absolues.

Notes
88.

J. Piaget, La construction du réel chez l'enfant, 1967, p. 334

89.

La construction du réel chez l'enfant, 1967, p. 319