Le figuratif concerne les états et l’opératif les transformations. Mais, comme tout état résulte d’une transformation et inversement, il est impossible de séparer ces deux aspects opposés de la connaissance.
Le figuratif représente le support quasi invariant grâce auquel peuvent s’effectuer les transformations. « ‘Ce support dans sa particularité et sa généralité sert de tremplin pour penser la généralité. Ainsi, les schèmes sensori-moteurs deviennent-ils, par construction et reconstruction, les schèmes opératoires de la période des opérations concrètes’. »95
Les aspects figuratifs et les aspects opératifs de la connaissance sont toujours présents et s’impliquent réciproquement. Ils constituent une dialectique avec des rapports de dominance qui s’inversent suivant les modalités de l’activité. Ainsi, tantôt le figuratif domine l’opératif, tantôt l’opératif domine le figuratif. Malgré la dominance d’une modalité, il ne faut pas perdre de vue l’existence de l’autre modalité sous-jacente. Génétiquement, on constate que la dominance du figuratif précède celle de l’opératif. Synchroniquement, ces deux procédés peuvent prévaloir successivement les uns sur les autres selon des rythmes et des durées variables.
On peut utiliser le modèle suivant proposé par J-M Dolle pour symboliser l’alternance du figuratif et de l’opératif ainsi que la dominance de l’un sur l’autre qui s’inverse. J-M Dolle dénonce lui-même le caractère schématique mais aussi formel de cette représentation : « ‘Elle ne respecte ni la genèse dans son aspect construction-reconstruction par paliers intégratifs successifs, ni la différence de niveau de construction atteint’ ».96
Cette modélisation tient compte à la fois de la synchronie (à un instant t, le fonctionnement se caractérisera toujours simultanément par des aspects figuratifs et des aspects opératifs) et de la diachronie (qui comporte cinq phases d’évolution).
La dominance figurative se traduit par une activité du sujet réglée sur l’objet (c’est l’objet qui impose ses limites à l’activité). Le sujet ne perçoit que l’aspect statique et configural de l’objet. Sa connaissance se résume à une contemplation.
Dans la phase 1, Les performances sont dues aux aspects figuratifs. Le sujet ne parvient pas à réunir d’objets différents ; il éprouve des difficultés pour sérier ; il n’effectue pas de mise en relation mais seulement des mises en correspondances, des juxtapositions de deux états. Il ne prend pas en compte les suggestions que l’on peut lui faire. Les arguments de conservations n’ont aucun sens.
Dans la phase 2, la dominance est toujours figurative mais l’opérativité augmente. On assiste à la naissance de conflits lorsque deux points de vue s’opposent dans le discours de l’enfant. Ce type de conflit est toujours résolu de façon figurative.
La phase 3 correspond au point de mutation M. Dans cette phase, il n’existe aucune dominance et le sujet est donc amené à changer souvent de réponse et d’argumentation. Tantôt il peut être conservant et tantôt il est non-conservant. Le passage de la dominance figurative à la dominance opérative se traduit par l’évolution d’un constat perceptif ou évocatif jusqu’aux opérations mentales réversibles, « forme d’activité en « survol » pouvant penser les transformations dans les deux sens du parcours (rétroactions et anticipations corrélatives), par delà les configurations ».97 Les progrès de la connaissance vont toujours dans le sens d’une dominance figurative vers une dominance opérative, permettant la mobilité de pensée.
Pour quitter la figurativité, caractérisée par les abstractions empiriques, le sujet doit effectuer des abstractions pseudo-empiriques sans lesquelles il ne peut accéder à la mise en ordre des éléments (causalité simple : A → B) et donc à la coordination (réversibilité logique B →A ou annulation de la transformation en pensée) propre aux opérations. Ces abstractions pseudo-empiriques sont perçues comme étant un premier pas vers les abstractions réfléchissantes.
Lors de la phase 4, le rapport s’inverse en faveur des aspects opératifs. La dominance opérative, à l’inverse de la dominance figurative, se traduit par le fait que le sujet impose son organisation aux objets. Les objets sont réglés sur l’activité du sujet. Le sujet se détache des configurations pour s’attacher aux transformations. Les différences observées entre les diverses configurations sont expliquées par les transformations. La pensée devient par conséquent plus mobile. Toutefois, la dominance des aspects opératifs n’est pas immédiatement généralisée. Lorsque les transformations sont peu importantes, le sujet s’appuie encore sur des éléments figuratifs et lorsqu’on lui suggère un autre point de vue, on le déstabilise.
Par contre, en phase 5, le sujet généralise son point de vue et ne se laisse plus déstabiliser.
Après avoir relié notre questionnement pratique au thème de l'identité de l'objet, nous allons voir comment ce thème est abordé par J. Piaget et de ses collaborateurs. En effet, nous l’avons déjà noté, la théorie piagétienne apporte un cadre cohérent et structurant pour notre étude. L'enfant est pris en compte dans une perspective interactionniste c'est-à-dire que nous approchons l'enfant en interaction avec son milieu. Le milieu sollicite l'enfant mais à aucun moment il n'agit à sa place. Cette conception s’oppose au modèle comportementaliste du stimulus/réponse puisqu’aucune réponse précise n'est attendue de la part du sujet. C'est sa propre pensée qui présente un intérêt.
D'autre part, certaines épreuves piagétiennes nous semblent intéressantes pour mettre au point notre protocole d'investigation.
Et pour finir, c'est en référence à certaines données théoriques piagétiennes telles que l'adaptation, l'équilibration, la dialectique figuratif / opératif, la causalité,... que nous effectuerons l'analyse des protocoles que nous recueillerons.
J-M Dolle, 1989, p. 84
J-M Dolle, 1889, p. 87-88
J-M Dolle, 1889, p. 83