c . DE L'UNIVERS SENSORI-MOTEUR À LA REPRÉSENTATION DU MONDE DE L'ENFANT : LA CAUSALITÉ ET LE TEMPS

On assiste ensuite à la mise en place d'une intelligence représentative. Le passage entre ces deux périodes va s'effectuer par des transformations lentes et successives car l'enfant doit reconstruire l'objet, le temps, l'espace et la causalité sur un plan pratique. Il devient alors capable de se représenter mentalement ce qu'il évoque et ne se limite plus à la simple perception en présence de l'objet. Toutefois, la pensée enfantine reste sous dominance perceptive mais, par rapport au stade précédent, l'enfant est capable d'analyser les rapports et de coordonner les éléments perceptifs. La pensée porte sur des configurations.

« ... ‘L'univers centré sur le moi qui semblait aboli parce qu'éliminé de l'action pratique relative au milieu immédiat réapparaît sur le plan de la pensée et s'impose comme seule conception intelligible d'ensemble pour le petit enfant.Sur le plan pratique, l'objectivation et la spatialisation de la causalité restent acquises. Mais cela ne l'empêche en rien de se représenter l'univers comme une grande machine organisée on ne sait exactement par qui mais avec l'aide des grandes personnes et en vue du bien-être des hommes, tout spécialement des enfants’. » C'est le sous-stade de l'artificialisme qui se combine à l'animisme.115

ex : les adultes sont là « pour nous soigner », les astres pour « nous éclairer et nous chauffer », les plantes pour « nous nourrir ... »

A ces premières formes de causalité que J. Piaget nomme pré-causales, succèdent les explications animistes qui prêtent à toute chose la volonté de jouer son rôle. Ces explications sous-tendent la représentation que l'enfant de deux ans et demi à sept ans, se fait du monde et la façon dont il élabore l'univers. A ce stade, « la véritable cause d'un phénomène n'est jamais à chercher dans le comment de sa réalisation physique, mais dans l'intention qui est son point de départ ».116

‘« L'égocentrisme causal qui, sur le plan sensori-moteur, disparaît peu à peu sous l'influence de la spatialisation et de l'objectivation réapparaît lors des débuts de la pensée sous une forme presque aussi radicale. Sans doute, l'enfant ne s'attribue plus la causalité propre à autrui ou aux choses, mais tout en dotant ces derniers d'activités particulières, il centre toutes ses activités autour de l'homme et surtout de lui-même. Il semble clair qu'en ce sens, on peut parler d'un décalage d'un plan à un autre et que le phénomène est ainsi comparable à ceux qui caractérisent l'évolution de l'espace et de l'objet ».117 ’ ‘« S'il est exact que l'enfant, dès sa deuxième année, attribue la causalité à autrui et aux objets au lieu d'en réserver le monopole à son activité propre, il reste à savoir comment il se représente le mécanisme de ses relations causales. L'animisme devient alors susceptible d'expliquer l'activité des êtres et des choses. Si l'enfant renonce à considérer ses actions comme la cause de tout événement, il n'arrive pas, par contre, à se représenter l'action des corps autrement qu'au moyen de schèmes tirés de sa propre activité. Un objet animé d'un mouvement « naturel », comme le vent qui pousse les nuages ou la lune qui avance, paraît aussi doué d'intentionnalité et de finalité, car l'enfant ne parvient pas à concevoir une action sans but constant. A défaut de conscience, tout processus impliquant un rapport d'énergies, comme la hausse du niveau de l'eau dans un verre où l'on immerge un caillou, semble du à des forces calquées sur le modèle de l'activité propre : le caillou « pèse » sur le fond de l'eau et la « force » de monter... ».118 ’ ‘« La causalité, comme les autres catégories, évolue donc sur le plan de la pensée d'un égocentrisme initial à une objectivité et une relativité combinées reproduisant ainsi, en la dépassant, son évolution sensori-motrice antérieure ».119

A partir de 7 ans, l'enfant dispose des opérations concrètes. Il peut alors entrer dans une compréhension adéquate des relations causales entre les objets. Il attribue les opérations aux relations qu'il perçoit entre ces derniers et entre ainsi dans une explication pertinente des phénomènes déductifs. La recherche de la cause d'un phénomène s'effectue grâce à l'emploi d'une méthode hypothético-déductive.

Ainsi, l'enfant parvient à la causalité « ‘qui consiste en une organisation de l'univers due à un ensemble de relations établies par l'action puis la représentation entre les objets ainsi qu'entre l'objet et le sujet’ ».120 .

Notes
115.

J. Piaget, La construction du réel chez l'enfant, 1967, p. 331

116.

J Piaget, Le jugement et le raisonnement chez l'enfant, p. 301

117.

J. Piaget, La construction du réel chez l'enfant, 1967, p. 332

118.

J. Piaget, La construction du réel chez l'enfant, 1967, p. 332

119.

J. Piaget, La construction du réel chez l'enfant, 1967, p. 333

120.

La construction du réel chez l'enfant, J. Piaget, p. 275