I .Vers la méthode clinico-critique

Lorsque J. Piaget travaille dans le laboratoire de Binet et de son collaborateur Simon, il ne manifeste guère d'intérêt envers la tâche qui lui est confiée et qui consiste à standardiser des tests mentaux. Aussi, très rapidement, adapte-t-il ce travail à son goût et à ses idées : « ‘J'engageais avec mes sujets des conversations du type des interrogatives cliniques, dans le but de découvrir quelquechose sur les processus du raisonnement qui se trouvaient derrières leurs réponses justes, et avec un intérêt particulier pour tous ceux que cachaient les réponses fausses’ ».149

Ainsi, J. Piaget ne se centre pas sur les résultats du test en termes de bonnes ou mauvaises réponses mais plutôt sur le contenu de ces réponses et spécialement sur le contenu de ces erreurs. Il considère l'erreur comme positive parce qu'elle est la manifestation même de la manière dont pense l'enfant.

Il diverge aussi de la position de Binet qui accorde à l'âge des sujets un rôle permettant de situer une avance ou un retard. Pour Piaget, l'âge est une simple référence permettant de situer le sujet par rapport à sa façon de penser. Par la suite, il remplacera d'ailleurs cette notion par celle de stade.

Lorsqu'il rencontre E. Claparède en 1921, J. Piaget a découvert son champ de recherche. Son but est alors « ‘de découvrir une sorte d'embryologie de l'intelligence’ » adaptée à sa formation biologique. « ‘Dès le début de mes réflexions théoriques j'étais convaincu que le problème des relations entre organisme et milieu se posait aussi dans le domaine de la connaissance ; apparaissant alors comme le problème des relations entre le sujet agissant et les objets de son expérience. L'occasion m'était donnée d'étudier ce problème en termes de psychogenèse’ ».150

La conception que Claparède a de l'enfant, conception elle-même empruntée à Rousseau, convient tout à fait à J. Piaget. L'enfant est considéré comme étant actif, autonome et par nature curieux. Claparède va même jusqu'à écrire dans l'Education fonctionnelle, qu' « il y a une grande analogie entre l'enfant et le savant ». Il cite une notion importante qu'est  « l'intérêt » que l'enfant manifeste par nature. Cet intérêt est le principe fondamental de l'activité mentale. Il propose aussi une définition de la vie : c'est « ‘le perpétuel réajustement d'un équilibre perpétuellement rompu. Toute réaction, tout comportement a pour fonction le maintien, la préservation ou la restauration de l'intégrité de l'organisme. La rupture d'équilibre d'un organisme est ce que nous appelons un besoin’ ».151 L'intérêt est donc le pendant psychologique de la notion biologique de besoin.

Dans son ouvrage « Psychologie de l'enfant et pédagogie expérimentale », Claparède insistera sur la distinction entre fonction, qui reste invariante au cours du développement et le mécanisme ou l'organe, qui, au contraire, varie. Piaget conservera l'invariance fonctionnelle mais la transformera : de biologique, elle deviendra logique. Quant à l'organe, il deviendra organisation puis structure. Il expérimentera alors les structures de la pensée de l'enfant et fera la théorie de l'invariance logique.

‘ « Toute épistémologie repose sur un cercle inévitable et, du reste, légitime : la pensée explique les faits et s'explique par les faits. La pensée est à la fois un fait et une condition du fait. En tant que fait, elle ne peut se concevoir elle-même que comme un système de mouvements liés à l'organisme, et par-là, à l'univers physique. Mais, elle découvre par ailleurs que les choses, y compris l'organisme, dépendent d'elle pour se constituer... L'action... mène à la prévision et suffit, en gros, à l'élaboration des lois... Au contraire, l'explication implique la pensée et déborde l'action. »152 ’ ‘« ... Si la pensée ne saisit d'abord que des absolus, la perception et l'action dépendent dès le début des relations. La logique des relations est à la source de tout travail intellectuel, mais l'esprit ne prend conscience de ses exigences qu'au terme de ce travail. Comment expliquer de tels faits ? M. Claparède a proposé une formule générale : la conscience que nous prenons de notre activité psychologique est en raison inverse du caractère habituel des opérations, parce que la conscience surgit à l'occasion des désadaptations, et que les opérations habituelles sont adaptées. L'exemple typique cité par l'auteur est celui de la ressemblance et de la différence : l'enfant construit spontanément, grâce aux ressemblances, des ensembles intuitifs et conceptuels, mais il est beaucoup plus facile, sur le plan verbal, de dire en quoi deux objets diffèrent, que de dire en quoi ils se ressemblent. La prise de conscience renverse ici l'ordre de la construction. »153

Notes
149.

J. Piaget, Autobiographie in cahiers Alfredo Pareto

150.

J. Piaget, Autobiographie in cahiers Alfredo Pareto

151.

Claparède, L'éducation fonctionnelle, 1930

152.

L. Maury, Piaget et l'enfant, p. 25

153.

L. Maury, Piaget et l'enfant, p. 29