c . La méthode clinique

Elle consiste à engager avec l'enfant une conversation libre sur un thème imposé tout en s'efforçant de saisir les détours de sa pensée et d'obtenir des justifications. La qualification « clinique » est justifiée par le fait qu'elle s'adapte à l'enfant.

‘« La nouveauté ici consiste à ne pas se borner à enregistrer la réponse de l'enfant mais à le laisser causer... (La méthode de Piaget) vise à montrer ce qui se cache derrière les premières apparences. Elle est une percussion et une auscultation mentales. »155

« La technique d'investigation, définie par J. Piaget dès 1920, consiste à dialoguer librement avec l'enfant pour tenter de connaître son niveau optimal de logique : « ‘Permettre à l'enfant le maximum de prise de conscience et de formulation de ses propres aptitudes mentales.’ »156

Cette méthode d'approche est délicate et nécessite un entraînement pour pouvoir :

Cette méthode est purement verbale. Or J. Piaget se rend compte que le langage enfantin est insuffisant pour traduire l'organisation de la pensée enfantine à lui seul. Il évolue donc vers une technique mi-verbale, mi-concrète. A travers celle-ci, il parvient mieux à saisir la dynamique propre de l'enfant qui est mise en évidence par les interactions entre le sujet-acteur et le sujet-observateur.

On distingue deux méthodes :

Elle utilise de petites expériences au moyen d'un matériel varié. Le langage cède la place à la manipulation et ne sert qu'à expliquer et justifier l'expérience. J. Piaget passe de l'appréhension de la logique de l'enfant à l'appréhension de la logique dans l'action.

Elle consiste en une conversation libre avec le sujet mais n'intervient qu'après une manipulation avec des objets servant à révéler telle ou telle structure logique. L'enfant agit avant d'expliquer ses actions et l'examinateur va mettre en doute, voire même contester ce jugement à l'aide de suggestions et contre-suggestions. L'enfant fournit le matériel de sa compréhension que le psychologue doit étayer et approfondir à l'aide de suggestions et de contre-suggestions.

Les suggestions permettent d'élargir le point de vue de l'enfant en lui soumettant de nouveaux éléments dont il n'a pas conscience. Elles aident l'enfant à mieux comprendre le sens de la question et mettent parfois l'accent sur des notions ou concepts qu’il ne connaît pas. Ainsi, face à des idées que l'enfant n'avaient pas présentes à l'esprit, celui-ci est amené à se décentrer de son point de vue. L'enfant pourra soit continuer à affirmer son point de vue, soit ne résistant pas à la suggestion, adopter le point de vue suggéré par l'interlocuteur, soit adopter une position intermédiaire prenant en compte les modifications apportées par la suggestion à son propre point de vue. Dans tous les cas, le psychologue veille à demander à l'enfant d'argumenter le choix de sa position.

Les contre-suggestions visent à déstabiliser l'enfant en opposant ce qu'il vient de dire à un avis contraire. Elles représentent un point de vue différent et contraire de celui du sujet, supposé être émis par un autre sujet du même âge. Elle sert à déstabiliser, en provoquant un conflit cognitif, qui l'amène à prendre conscience de l'incohérence ou de la véracité de ses propos. Face à ce conflit cognitif et à la façon dont le sujet parvient à le résoudre, le clinicien peut vérifier la solidité de certaines acquisitions et parfois constater l'élaboration en cours d'une structure. La contre-suggestion permet de vérifier si le sujet comprend la loi ou le principe tel qu'il peut être évoqué dans cette expérimentation. Elles «‘ suscitent chez l'enfant la justification de son point de vue ; elles permettent aussi la détermination du fonctionnement de l'activité de connaissance reflétant l'existence, l'absence ou l'élaboration en cours d'une structure caractéristique d'un certain stade de développement ’».157

Les suggestions expriment un contenu en faveur du point de vue opératoire tandis que les contre-suggestions expriment un contenu en défaveur du point de vue opératoire.

Lorsque certains concepts ne sont pas abordés par l'enfant, la contre-suggestion les nomme et les explique. Cela favorise ainsi la prise en compte d'un point de vue autre que celui énoncé par le sujet et peut donner lieu à une comparaison entre deux argumentations qui s'appuient sur deux procédures différentes.

Si aucune prise de conscience n'a lieu, cette démarche aura servi à objectiver l'hypothèse de diagnostic. On ne pourra pas conclure que la réponse fournie par le sujet est erronée à cause d'un quelconque malentendu.

Par contre, si le sujet adopte le point de vue contenu dans la contre-suggestion, partiellement ou en totalité, ce dispositif servira à éprouver la validité et la solidité structurale. On peut alors préciser la valeur objective de l'acquisition d'une notion.

L'emploi des suggestions et contre-suggestions favorise les prises de conscience et permet la construction d'un raisonnement logique.

L’approche devient critique car elle remet en question les affirmations du sujet et ce, dans le but de saisir son propre mode d'organisation et donc, par la même, mettre en évidence les structures correspondant au stade de développement auquel le sujet se situe. Cet aspect critique se situe à la fois au niveau du matériel proposé à l'enfant mais aussi au niveau du questionnement.

Cette approche est aussi clinique par le fait qu'elle met en lumière les procédures du sujet qui témoignent de la façon dont il se situe dans son accession à l'opérativité. L'expérimentateur n'attend aucune réponse type, mais il fait attention aux diverses procédures mises en oeuvre par l'enfant.

Par rapport à la « méthode des tests », la méthode « clinico-critique » prend en compte aussi bien les bonnes réponses que les mauvaises. En effet, il ne s’agit pas, dans ce cas, de qualifier en termes de juste ou faux, mais d’accéder par l’intermédiaire de ces réponses aux structures de l’activité pour comprendre comment fonctionne le sujet. Le dispositif méthodologique « clinico-critique » utilisé par Piaget dans ses recherches expérimentales permet de saisir l’activité logique du sujet en profondeur.

‘« Bien utilisée, et cela est très difficile, elle (la méthode critique) peut être un moyen qui permet à l'enfant de révéler au mieux ce qu'il sait réellement faire face à une tâche. Et ce qui n'est déjà pas si mal. Jean Piaget a mis au point cette technique pour comprendre la genèse de la logique. »158
Notes
155.

Claparède, préface de «Le langage et la pensée», 1923

156.

Le jugement et le raisonnement, 8 éd., p. 7

157.

J-M. Dolle et D. Bellano, 1989, p. 108

158.

Annie Chalon - Blanc, Introduction à J. Piaget, p.154