II . ANALYSE SUIVANT LES DIFFÉRENTS ARGUMENTS

Dans une première approximation suite à la lecture de nos protocoles, il nous semble que la compensation émergerait sous une forme très peu élaborée dès la lecture perceptive, en prenant appui sur la mise en correspondance (niveau 5). L'abstraction empirique pourrait suffire pour affirmer la conservation physique. Mais, ce n'est qu'avec les évocations que l'enfant parvient à justifier en utilisant l'argument d'identité. Il énonce ainsi la transformation constatée auparavant, qui consiste à ne pas changer la quantité (on n'a pas ajouté, on n'a pas enlevé). L'identité serait en lien avec le niveau 7. Quant à l'opération inverse, elle se situerait au niveau le plus élevé de l'opérativité (niveau 10).

La compensation et l'opération identique s'articulent à la transformation physique. L'opération inverse, quant à elle, remonte par une transformation exécutée en pensée de l'état final vers l'état initial, annulant par une opération la transformation physique.

Nous pouvons penser qu’il y a une genèse de la réversibilité logique dont les deux repères les plus apparents sont l’expression de la compensation perceptive puis l’identité. Toutefois, « compensation et identité, affirmées dans un contexte de perception ou d’évocation ne sauraient, nous le répétons, constituer des arguments de réversibilité, dans la mesure où ils n’expriment que des faits constatés ou évoqués et ne se présentent pas encore comme des transformations exécutées en pensée, c’est-à-dire des opérations. D’une façon générale, l’évocation d’une transformation n’est pas la transformation en elle-même. Compensation et identité ne sont opératoires que lorsqu’elles s’expriment dans le contexte d’une comparaison entre (dans le cas de la conservation de la substance, par exemple) la boule témoin et le boudin ou la galette, là où l’explication se fonde sur la compensation ou l’identité intervenant à titre de composantes d’une argumentation qui cherche ainsi à construire la preuve de ce qu’elle avance. En ce cas, elles agissent à titre d’éléments d’un système d’opérations qui comporte la réversibilité par inversion comme expression de la mobilité de son équilibre et donc de sa clôture. La compensation et l’identité n’y expriment que des formes subordonnées de cet équilibre. Entre ce dernier et les formes perceptives et évocatives, toutes les transitions peuvent exister. »176

Ces premières approximations font état de différents stades dans la construction des trois arguments. En effet, en ce qui concerne la compensation, nous pensons qu'elle émerge de la mise en correspondance. Quant à l'argument d'inversion, c'est le stade achevé que nous prenons en compte. Il faut néanmoins insister sur la différence qui existe entre un retour de l’état final à l’état initial et la considération de deux états indépendants E1 et E2 (E2 n’étant pas considéré comme E1 transformé) avec évocation des propriétés de l’état E1 représentant l’état initial. Pour appréhender la genèse des trois arguments, nous faisons donc le choix d'extraire toutes les explications en lien avec ces arguments. Certaines explications ne correspondent pas directement à un argument (cité ci-dessus) mais s'en rapprochent. Il nous semble intéressant de les relever parce qu'ils peuvent nous fournir des pistes pour expliquer la genèse des arguments.

Nous rassemblerons ces données en fonction des groupes de sujets déterminés au cours des analyses précédentes pour tenter éventuellement d'approcher une genèse de l'opérativité liée à la genèse des trois arguments.

Notes
176.

J-M Dolle, Bulletin de psychologie, tome 51 (5), sept/oct 1998, p.609