C . PERSPECTIVES...

Nous pouvons revenir ici sur quelques pistes permettant d’expliquer comment certains enfants ont pu faire illusion et s’adapter jusqu’au C.P. et peut-être pouvoir expliquer aussi les conduites des deux sujets Nordine et Florent.

Gelman fit l’hypothèse de l’existence d’une conservation précoce. Selon lui, les « principes » sous-jacents au comptage (dont l'enfant disposerait dès son plus jeune âge) sont à l'origine des conservations « précoces ». En fait, l'appariement terme à terme peut seul en rendre compte.

‘« ‘C'est ainsi que concernant la conservation du nombre, la détermination des correspondances à partir desquelles opère le système des transformations peut expliquer les conservations « précoces » lorsqu'un enfant, par exemple, repère la correspondance un à un après certaines transformations. Pour cela, il n'est pas nécessaire de compter.’ »191 La capacité des enfants de 2-3 ans à réagir correctement à certaines transformations additives et soustractives n'est pas celle des enfants de 5-6 ans à élaborer des significations conceptuelles concernant les effets des mêmes transformations. La « capacité de raisonnement numérique » postulée par Gelman (number-reasonning abilities) implique sans doute des processus qui interviennent dans cette élaboration (et pour cette raison, elle est en rapport avec ce que nous avons appelé les processus de transformations) mais elle ne se confond pas elle-même avec la compréhension des effets des transformations. »’

Le sujet parvient à prendre en compte des états mais n’effectue pas de mise en relation des deux états grâce à une transformation. Il accorde une certaine importance aux ajouts-retraits dans la résolution des conservations mais l’analyse de la compréhension des effets des ajouts et des retraits est encore insuffisante.

‘« ... Le développement de la compréhension des effets des ajouts, des retraits et de leur coordination peut suffire à expliquer l'inhibition des schèmes « dangereux » (cf. ce qui est plus long contient plus) (dont l'activation est suscitée par les aspects prégnants du contexte expérimental ) et la non-pertinence des transformations spatiales. Si tel est le cas, l'accent mis sur les mécanismes d'activation / inhibition - sélection (Pascual-Leone) ou sur la cohérence interne des structures symboliques (Halford) invite à une analyse de la logique des processus de création de significations en jeu dans ce développement. Comprendre l'enfant en développement, c'est avant tout comprendre ce que les choses signifient pour celui que nous étudions. »192

Ainsi, avant de pouvoir mettre en place des actions de prévention ou de remédiation, il était nécessaire d’analyser les modalités d’identification auprès de cette population d’enfants de CE1, classe ayant fait émerger le problème de désadaptation subite.

‘« L’épistémologie de Piaget en nous décrivant l’ordre de la genèse, nous fournit aussi la trame de toute intervention à visée rééducative ou remédiatrice... En ce sens que c’est en suivant la genèse que l’on peut solliciter chaque enfant en retard ou en déficit pour lui permettre de se donner les structures qui lui manquent et le mettre sur le chemin de l’autonomie de la pensée, en le faisant passer d’une modalité figurative dominante à une modalité opérative dominante. Aussi, la remédiation cognitive opératoire, en tant qu’elle reprend le problème des apprentissages opératoires tel qu’il fut conçu dans le cadre du Centre international d’épistémologie génétique, puis repris par Bärbel Inhelder et ses collaborateurs après lui, nous fait entrer dans le problème de l’éducation. »193

La modélisation que nous avons mise au point permet d’appréhender les conduites des élèves. Elle se conçoit comme un réel outil de diagnostic permettant de centrer l’enfant en échec dans le cadre de l’interaction sujet / milieu. Cet « outil » donne la possibilité notamment de guider l’observation des enseignants pour pouvoir affiner leur signalement (et éviter des signalements sur le modèle de ceux cités en introduction). Les enseignants peuvent désormais échanger avec le psychologue à partir d’un support concret les aidant à repérer les données nécessaires à prendre en compte pour pouvoir analyser là où en est l’enfant. Il ne faut pas perdre de vue que même si l’enfant relève d’une aide adaptée, il est présent en classe un certain nombre d’heures. Il est donc nécessaire d’associer, dans son champ de compétences, l’enseignant de la classe pour qu’il puisse adapter son enseignement aux difficultés cernées chez l’élève. Ce dernier n’est alors plus décrit comme étant incompétent dans un état figé, mais a la possibilité d’être situé dans une dynamique permettant d’envisager des sollicitations efficaces de la part de son entourage (professionnel ou non) pour l’aider à construire de nouvelles performances l’aidant à s’adapter.

Désormais, nous pouvons suivre le cheminement des découvertes de l’enfant et intégrer ces données dans l’enseignement initial ou dans la remédiation sans jamais oublier que :

‘ ‘« Éduquer, c’est considérer l’Homme (enfant) comme un sujet d’action et non comme l’objet d’un autre Homme (adulte).
L’homme doit se sentir architecte de ses connaissances ».’ 194
Notes
191.

Le développement de la quantification chez l'enfant, B. Vilette, Paris, 1996, p. 298

192.

B. Vilette, Le développement de la quantification chez l'enfant, p. 299

193.

J-M Dolle, Bulletin de psychologie, tome 51 (5), sept/oct 1998, p. 611

194.

M. Saltini, colloque international : Psychologie cognitive et échec scolaire, Lyon, 28-31 mars 1992