2.3. recherche-intervention

la recherche-intervention, relevant du même processus scientifique que les démarches précédentes, est essentiellement réalisée sur le terrain, c'est à dire dans le milieu naturel où les variables impliquées interagissent normalement. Il s'agit donc d'une situation naturelle et non d'une situation créée, ou simulée, par le chercheur.

Elle implique une forte interaction entre "le chercheur" et le "terrain". Les membres de l'organisation, concernés par la recherche en cours de réalisation, sont étroitement associés à cette démarche qui est censée conduire à des modifications de l'organisation227. Elle est donc fondée sur l'existence simultanée d'une action de recherche sur le terrain et d'une participation conjointe de chercheurs et d'acteurs.

La recherche-intervention part de l'idée que la recherche doit conduire au changement et que, par conséquent, le changement doit être intégré au processus même de la recherche228.

Ce nouveau paradigme de recherche dénote l'importance d'établir une collaboration entre le chercheur et les acteurs les plus intéressés par la recherche. Cette collaboration doit conduire à des interprétations partagées de la réalité et de la manière de la faire évoluer229.

Ce type de recherche peut s'effectuer avec un degré d'implication variable de la part de l'intervenant dans la situation même de la recherche. Sa présence plus ou moins marquée peut alors agir, à des degrés divers, sur les variables de l'étude. Son rôle peut se situer sur un continuum s'étendant d'une participation très active à une observation très neutre230.

la recherche-intervention nous intéresse, en tant que méthode de recherche, par le fait qu'elle :

Cependant, la méthode de recherche-intervention fait l'objet de certaines critiques qui rendent compte, notamment, de :

Nous essayerons de répondre à ces trois critiques une à une, afin de conforter la pertinence de notre choix méthodologique.

En ce qui concerne la difficulté de rendre compte, de manière objective, des données réelles du terrain, il est incontestable que la simple présence de l'intervenant-chercheur, au sein du groupe observé, peut avoir des effets plus ou moins déterminant sur la situation de recherche et influencer les résultats obtenus.

Mais, quelle que soit sa nature, aucune recherche ne peut être menée sans assumer certains risques. Il est de la responsabilité du chercheur de déterminer le rôle qu'il entend jouer au moment du recueil des informations en tenant compte éventuellement des biais possibles au niveau de l'interprétation des données.

Ainsi, il appartient à l'intervenant-chercheur d'être objectif dans son observation des processus dynamiques en cause, sans intervenir aucunement dans la vie des membres du groupe. Il les aura prévenus de son objectif de recherche, et il se comportera, par la suite, comme un observateur dégagé de la situation, qui enregistre toutes les informations avec le plus d'objectivité possible.

L'objectivité peut être définie comme "‘le fait que dans des conditions d'environnement physiques et socioculturelles données, des acteurs différents perçoivent des informations identiques et analogues et les interprètent de façon similaire’"231.

Nous verrons dans les développements qui vont suivre comment la méthode d'intervention socio-économique, adoptée au cours de cette recherche, permet de renforcer la fiabilité des informations recueillies au moyen notamment des étapes méthodologiques du diagnostic dysfonctionnel232 et de l’effet-miroir233 qu'elle préconise.

La deuxième critique ayant trait à la difficulté de généraliser les résultats de la recherche-intervention, trouve son explication dans le constructivisme qui constitue le fondement de cette méthode de recherche.

En effet, chaque acteur essaie de construire sa connaissance de manière pédagogique, adaptée aux besoins de l'action, ce qui ne résout pas la question, scientifique par excellence, de la généralisation ou de la transposition234.

R. Paturel et H. Savall, font constater qu'à côté des dysfonctionnements spécifiques vérifiant le principe de la contingence, apparaissent des difficultés systématiques dans les multiples entreprises et organisations étudiées, mettant en relief un principe d'universalité. l'ensemble de ces éléments complémentaires pourrait faire émerger ce que les deux auteurs appellent le principe de la contingence universelle235.

Ainsi, si une recherche-intervention ne permet pas nécessairement une généralisation, il peut arriver cependant, qu'un recoupement de plusieurs recherches-interventions permette de dégager une certaine répétitivité des phénomènes, et d'avoir une vision universelle des processus de fonctionnement des entreprises et des organisations.

Aussi, les deux auteurs précités ajoutent-ils que le chercheur doit alimenter sa phase d'extériorisation au moyen, d'une part, du dialogue avec d'autres acteurs, chercheurs et non-chercheurs, et, d’autre part, de l'introspection guidée par une grille de lecture comportant divers critères, tels que la variété des sources d'information, la diversité des organisations étudiées, les méthodologies adoptées...; une telle grille de lecture pouvant constituer une véritable liste de contrôle de la qualité scientifique du processus de recherche.

Enfin, la dernière critique formulée à l'égard de la recherche-intervention concerne la durée de l'intervention, la courte portée de l'aide au terrain, et la qualité des acteurs qui sont impliqués. En effet, il est indéniable qu'une action ponctuelle ou de courte durée ne saurait faire l'objet d'une recherche-intervention, celle-ci nécessitant un temps d'exploration, d'analyse, d'élaboration et de mise en oeuvre des solutions d'évaluation, et surtout d'ajustement.

Nous tenons à préciser à cet égard que notre intervention, visant la mise en place du processus de formation intégrée au sein de l'administration étudiée, a nécessité plus de quatre années pour effectuer les investigations, les expérimentations et les négociations nécessaires. n otre tâche a été rendue possible grâce, notamment, à notre présence quotidienne sur le terrain, eu égard aux responsabilités professionnelles que nous assumons au sein de cette même organisation.

A la question de savoir qui seront les acteurs impliqués dans la recherche-intervention, la réponse idéale serait : toutes les personnes touchées par le problème rencontré. Mais il est rarement possible de convier à une même table de travail toutes les personnes subissant directement ou indirectement un problème donné, ou étant touchées par les changements effectués au cours de la recherche-intervention.

Aussi, sera-t-il nécessaire de définir clairement les acteurs qui participent directement à la recherche-intervention et de situer la limite que constitue la restriction faite à la participation d'autres personnes, touchées mais non présentes.

Pour surmonter cette limite, la méthode d'intervention socio-économique propose une démarche progressive et structurée, selon le processus horivert 236 , que nous développerons dans la section suivante.

Notes
227.

J.c. moisdon, "recherche en gestion et intervention", in revue française de gestion, septembre-octobre, 1984, pp.61-73.

228.

J. C. Usunier, M.E-Smith, "Introduction à la recherche en gestion", op cit, p.15.

229.

reason et rowan, 1981, in J. C. Usunier, M. E-Smith, "Introduction à la recherche...", op cit, p.15.

230.

Yvan Bordeleau, "la problématique générale de la recherche en milieu organisationnel", pp.14-17, in "Méthodes de recherche et de diagnostic", gph, 817, recueil de lectures obligatoires, préparé par Jean-Louis Bergeron pour le programme M.Sc, automne 1993, Faculté d'Administration, université de Sherbrooke.

231.

R. Paturel et H. Savall, "Recherche en management stratégique ou...", op cit, p.6.

232.

Cf. Infra, pp.77-79.

233.

Cf. Infra, p.79.

234.

R. Paturel et H. Savall, "Recherche en management stratégique ou...", op cit, p.11.

235.

Ibid, p.12.

236.

L'intervention socio-économique dans une organisation comporte deux actions simultanées : une action horizontale impliquant l'équipe de direction et l'encadrement, et une action verticale impliquant le personnel d'exécution et les équipes d'encadrement des unités étudiées. Cf. Infra, pp.75-76.