Chapitre 3 : DOMAINE EXPERIMENTAL : le MANAGEMENT PUBLIC

La distinction entre la sphère publique et la sphère privée qui a été pendant longtemps évidente est aujourd'hui moins nette. La conception traditionnelle de la gestion publique est en train d’être dépassée. Les contraintes dictées par l’environnement socio-économique ont remis en cause la légitimité du service public et par conséquent celle de l’administration publique.

Les valeurs du secteur privé, supposées apporter une nouvelle dynamique, pénètrent en force les administrations publiques. Cette évolution a conduit les auteurs et les experts en sciences administratives, qui pensent que les organisations publiques présentent des spécificités, à concevoir un management particulier : le management public. 

En fait, la gestion publique est soumise aux mêmes exigences d’efficacité que la gestion privée.

Les techniques modernes de management introduites au sein des services publics ont mis en évidence les effets pervers du modèle bureaucratique que Max Weber309 considérait comme étant l'ordre le plus rationnel possible.

M. Crozier souligne à ce titre que " ‘l'analyse stratégique des organisations démontre au contraire que l'ordre bureaucratique entraîne nécessairement des effets pervers qui l'empêchent d'être rationnel’"310.

Les effets pervers de la gestion publique ont été à l'origine de l'introduction au sein des administrations publiques de méthodes directement importées des Etats-Unis, telles PPBS (planning, programming, budgeting system), ZBB (Zero base budgeting), ou conçues en Europe, telle que la RCB (rationalisation des choix budgétaires).

L'ensemble du système de gestion des affaires publiques est aujourd'hui mis sous pression. L'Etat doit repenser son rôle et ses activités et s'adapter de manière permanente à des changements de moins en moins imprévisibles.

C'est ainsi que nous pouvons observer, dans la plupart des pays industrialisés avancés, des réformes plus ou moins profondes des gouvernements et de leurs administrations, réformes qui, selon le contexte culturel et politique, prennent des appellations différentes.

Ainsi, on parle, aux Etats-Unis, de "réinventer le gouvernement" (reiventing government)311, en Scandinavie, du "renouveau du gouvernement", dans les pays du Commonwealth, ‘du "New Public Management" (NPM)312, et, en France, de "la nouvelle gestion publique’"313.

Toutes ces réformes se caractérisent par le souci de rendre la gestion des affaires publiques plus efficace sans pour autant toucher aux objectifs du service public.

Ainsi, la nouvelle gestion publique ou le NPM tendent à dynamiser les services administratifs au moyen d'une nouvelle orientation vers le client et d'une transformation de l'organisation : "‘d'une organisation de type weberienne, c'est à dire bureaucratique et professionnelle, fondée sur des spécialistes, le service administratif se transforme en organisation de type entrepreneurial, remplaçant généralement la structure fonctionnelle par une organisation par prestations, où le management l'emportera en fin de compte sur les spécialistes et les professionnels’"314.

‘Cependant, malgré l'introduction, au sein de l'administration publique, de toutes ces démarches à caractère managérial, certains auteurs continuent de nourrir l'idée de la spécificité du management public. ’

A ce propos, J. Chevalier déclare que "‘même si la gestion publique est désormais soumise comme le privé à l'impératif d'efficacité, elle continue à présenter un ensemble de particularismes qui interdisent toute assimilation à la gestion privée : non seulement les finalités ne sont pas les mêmes, mais encore les organisations publiques n'ont pas le même univers de référence et ne sont pas soumises au même type de contraintes’"315.

Ainsi, J. Chevalier met l'accent sur la finalité et les spécificités de fonctionnement des organisations publiques. Néanmoins, la question qui se pose est de clarifier la raison d'être du management : est-ce de produire des finalités ou, d’obtenir des résultats, est-ce d'optimiser le fonctionnement des organisations ou, de gérer leurs spécificités ?

Pour répondre à ces questions, nous essayerons dans le cadre de ce chapitre, tout d'abord de définir le concept de management afin de réduire les ambiguïtés qui planent en permanence sur son sens et ses finalités.

Suite à cela, nous présenterons les différents niveaux de management qui peuvent exister dans une organisation et nous analyserons, de manière conceptuelle et réflexive, l'évolution des pratiques managériales à travers un panorama des théories du management.

A notre sens, la présentation des niveaux de management et de l'évolution historique de la pensée managériale est importante dans la mesure où elle nous permettra, d'une part, de situer les origines du management public, et, d'autre part, d'analyser la pertinence des spécificités du management public par rapport au management des entreprises privées. En effet, nous verrons dans les développements relatifs à l'analyse des ses spécificités 316 que le management public fait appel, au même titre que l'entreprise privée, à plusieurs de ces théories aussi bien sur le plan stratégique qu'opérationnel.

Le management public sera abordé par un éclaircissement de l'adjectif "public", ce qui nous amènera à définir les notions de secteur public, service public, et fonction publique. Nous présenterons, par la suite, rapidement, les courants qui ont été à l'origine de l'émergence de la notion de management public.

A la fin de ce chapitre, nous nous interrogerons sur la pertinence des spécificités des organisations publiques ainsi que sur celles du management public. Nous analyserons surtout la dichotomie : management public/management privé afin de démontrer le caractère artificiel de la frontière tracée entre ces deux notions.

Notes
309.

cf. Infra, p.112.

310.

Michel Crozier, "La Contribution de l'analyse stratégique des organisations à la nouvelle gestion publique", in "une nouvelle approche du management public", Ouvrage collectif sous la direction de Matthias Finger et Bérangère Ruchat, Seli Arslan, Paris, 1997, 252 pages, p.15.

311.

A. Gore, "Creating a government that works better and costs less", New York, 1993, Plume/Penguin.

312.

M. Finger et Bérangère Ruchat "Le new public management : Etat, administration et politique", in "une nouvelle approche du management public", op cit, pp.34-54.

313.

Jacques Chevalier, "La gestion publique à l'heure de la banalisation", in Revue française de gestion, Septembre-octobre, 1997, p.36.

314.

M. Finger et Bérangère Ruchat "Le new public management : Etat, administration et politique", in "une nouvelle approche du management public", op cit, p.39.

315.

J. Chevalier, "La gestion publique à l'heure de la banalisation", op cit, p.37.

316.

Cf. Infra, pp.130-135.