3.2.2.2. Notion de service public

la notion de service public est plus difficile à cerner que la première dans la mesure où ce concept désigne, comme le fait remarquer Denoix, à la fois les prestations de service public et les organismes qui les fournissent : "‘Par un glissement verbal, on passe aisément du service public, principe unificateur, aux services publics, activités précises considérées une à une, puis aux organismes chargés de les fournir : le même mot désigne un concept général, un grand secteur comme l'énergie, une entreprise comme Electricité de France’"424.

‘Dans l'approche managériale que nous adoptons, nous utiliserons les termes "d'organisation publique" et/ou "d'administration publique", pour désigner les entités, et par "services publics" les prestations que produisent ces entités.’

pour mieux appréhender cette notion de service public, il serait utile de préciser au préalable celle de service. Ainsi, un service peut être défini comme "une activité ou une prestation soumise à l'échange, essentiellement intangible, et qui ne donne lieu à aucun transfert de propriété"425. aussi, le service se caractérise-t-il par426 :

Dans la mesure où le secteur public fournit beaucoup plus de services que de biens, nous verrons dans les développements suivants que ces caractéristiques correspondent parfaitement au service public. Les deux dernières dimensions, qui touchent à l'interrelation "prestataires/utilisateurs", sont fondamentales pour que le service public remplisse sa mission.

Cette précision étant faite, notons que la notion de service public revêt un caractère idéologique qui en accroît la complexité. Comme le précise J. Chevalier : ‘" Le service public est un mythe légitimant : il sculpte l'image d'un Etat généreux, bienveillant, uniquement préoccupé du bien-être de ses sujets’"427.

Afin de bien cerner la portée et les évolutions qui ont marqué, à travers l'histoire, la notion de service public, nous présenterons brièvement sa genèse, sa doctrine, et les différents critères qui permettent de l'identifier.

A ce titre, il y a lieu de noter que c'est la doctrine française et "l'école du service public" avec à sa tête Léon Duguit428 qui s'est évertuée à élaborer toute une théorie juridique du service public et de son utilité dans l'application du droit administratif.

Léon Duguit définit le service public comme étant "‘toute activité dont l'accomplissement doit être assuré, réglé, et contrôlé, par les gouvernants parce que cet accomplissement est indispensable à la réalisation et au développement de l'indépendance sociale et qu'elle est de telle nature qu'elle ne peut être réalisée complètement que par l'intervention de la force gouvernante’".

A la fin du XIXème siècle, avec le développement des idées sur le libéralisme politique, notamment, l'idéologie sur laquelle reposait la notion de service public a changé de nature.

La nouvelle approche suppose que l'action administrative ne repose plus sur la légitimité de son pouvoir (la puissance publique) mais sur la finalité de son action, l'intérêt général.

Cependant, avec le développement des activités de prestation, une nouvelle représentation de l'action publique va progressivement être forgée :

ce n'est plus l'intérêt général qui va guider la gestion publique, mais l'intérêt très concret des destinataires des prestations, les usagers.

Cette vision d'une administration soucieuse de répondre aux aspirations des individus et des groupes est bien décrite par J. Chevalier dans son article précité429 : "‘l'administration n'est pas là pour dominer, mais pour servir : à l'écoute permanente des administrés, elle est censée être seulement préoccupée de leur bien-être, de leur épanouissement, de leur bonheur ; et les prérogatives qu'elle détient ne sont plus que le corollaire et la contrepartie des responsabilités qui lui incombent’".

Compte tenu de son évolution, et de l'acception contemporaine, nous désignerons par service public

‘toute prestation fournie par les organisations appartenant au secteur public à leurs usagers qu'ils soient personnes physiques ou morales.’

Les trois grands principes suivants permettent de l'identifier :

Certains auteurs ont utilisé la nouvelle acception du service public pour démarquer la gestion publique de celle privée. Dans ce sens, J. Chevalier estime que cette nouvelle approche du service public offre à la gestion publique une supériorité morale qui la démarque de la gestion privée : "‘alors que l'entreprise est tournée vers le profit, l'administration publique est préposée à la satisfaction des besoins collectifs ; à l'égoïsme et à l'esprit de lucre de l'une, répondent l'altruisme et le désintéressement de l'autre’"430.

Contrairement à ce que pense J. Chevalier, nous estimons que cette nouvelle vision du service public rapproche beaucoup plus le management public et le management privé qu'elle ne les éloigne. En effet, cette nouvelle conception met en évidence le souci de passer du service public à un service au public.

Cette façon de concevoir le service public, ne constitue-t-elle pas une approche mercatique, généralement évoquée sous son vocable d'origine anglo-saxonne, "marketing"?

Afin de rapprocher le service public et les prestations fournies par les entreprises privées, nous commencerons tout d'abord par définir le concept de marketing en empruntant la définition suivante proposée par P. Kotler et B. Dubois : "‘le marketing est le mécanisme économique et social par lequel individus et groupes satisfont leurs besoins et désirs au moyen de la création et de l'échange de produits et autres entités de valeur pour autrui’"431.

Partant de cette définition, nous poserons les interrogations suivantes : les services publics sont-ils concernés par le marketing ? Sont-ils dans le marché ? Ont-ils quelque chose à vendre ? des besoins de clients à satisfaire ?

la réponse à ces questions soulève déjà la problématique de la pertinence des spécificités du management public, que nous développerons dans la dernière section de ce chapitre.

En ce qui concerne l'applicabilité du marketing au service public, nous versons dans le même courant d'idée que M. Boyé et G. Ropert432, qui apportent des éléments de réponses que nous synthétisons ci-après :

De ces arguments, nous pouvons déduire que les principes et l'esprit du marketing pénètrent progressivement les services publics non par effet de mode, mais par nécessité. c ela se traduit par les politiques de communication destinées au public, par des enquêtes de satisfaction auprès des usagers 433 , etc.

Certains auteurs vont plus loin, en considérant que le marketing est une technique qui permet de renforcer le processus démocratique dans la mesure où, d'une part, il vise la satisfaction de l'usager-consommateur-client quel qu'il soit, et, d'autre part, il facilite l'expression des besoins collectifs des citoyens434.

Le marketing constitue donc une opportunité que les services publics doivent saisir pour confronter et anticiper les mutations générées aussi bien par l'environnement externe, composé des usagers nationaux et internationaux, que par l'environnement interne composé de fonctionnaires gérés par le statut de la fonction publique qu'on essayera de présenter dans le paragraphe suivant.

Notes
424.

Rapport Denoix, "Le service public", rapport au premier ministre, mission présidée par Renaud Denoix de Saint Marc, La documentation française, Paris, 1996, 87 pages, pp.13-14.

425.

Philip Kotler et Bernard Dubois, "Marketing management, analysis, plannig, implementation and control", Prentice-Hall Inc, 1994, Version française la même année, Publi-Union Editions, 8ème édition, 726 pages, p.457.

426.

A. Bartoli, "le management des organisations publiques", op cit, p.135.

427.

J. Chevalier, "Le service public", Collection "Que sais-je ?", Presses Universitaires françaises, 2ème édition, 1991, p.3.

428.

Léon Duguit était doyen de la faculté de droit de bordeaux en France. Il a exposé la doctrine du service public dans un certain nombre d'ouvrages : "traité de droit constitutionnel", 1926 ; "études de droit public", 1901-1903 ; "les transformations du droit public", 1913.

429.

J. Chevalier, "La gestion publique à l'heure de la banalisation", op cit, p.27.

430.

Ibid, p.28.

431.

Philip Kotler et Bernard Dubois, "Marketing management, analysis, plannig, implementation and control", op cit, p.7.

432.

M. Boyé et G. Ropert, "Gérer les compétences dans les services publics", op cit, pp.209-214.

433.

A titre d'exemple, l'administration au sein de laquelle nous avons mené nos expérimentations a mis en place une ligne téléphonique verte que le public peut utiliser, soit pour s'informer, soit pour formuler des requêtes. Elle mène aussi, de manière périodique, une enquête de satisfaction auprès de ses usagers, pour connaître leurs besoins et apprécier leur degré de satisfaction quant aux prestations fournies.

434.

P. Kotler, "Marketing for no profit organizations", Prentice-Hall, 1982 et Florence Mas, "Gestion privée pour les services publics", InterEditions, 1990.