4.3.1.2. méconnaissance des ressources et des besoins en compétences

Deux raisons font que l'administration ne maîtrise pas suffisamment les compétences de ses agents : d'une part, l'importance des effectifs qu'elle gère, et, d'autre part, l'évolution des missions de l'Etat.

4.3.1.2.1. Gestion d'effectifs pléthoriques

au Maroc, en l’absence d’un secteur privé compétitif et très développé, l’Etat reste le plus gros employeur. Avec un million de fonctionnaires, la fonction publique représente, à elle seule, une proportion de 27 pour mille de la population active marocaine498. Cela engendre une masse salariale qui représente 11,6% du PIB499, chiffre qui traduit le poids financier que font supporter les rémunérations de l'administration au budget de l'Etat500.

Les effectifs pléthoriques sont la conséquence de la poursuite d’une politique de recrutement privilégiant la "quantité" au détriment de la "qualité", entraînant ainsi la dégradation de la qualité du service public et la fixation de l’agent dans une situation d’inertie et d’immobilisme, et créant chez lui un sentiment de démotivation l'incitant à la paresse.

Tout cela a eu pour conséquence l'aggravation du déficit budgétaire, privant l'Etat de ressources qui auraient pu servir à financer la création de potentiel.

‘«Le nombre d'agents affectés à l'administration centrale est trop important par rapport à ses besoins réels. Il va falloir redéployer le personnel dans les services extérieurs qui souffrent de sous-effectifs».
Cadre supérieur Souvent
«Bien que nous soyons une trentaine à travailler dans ce service, la charge de travail est supportée par quelques agents. A la longue, cela a créé chez ceux qui bossent un sentiment de démotivation et de frustration».
«Je suis sûr que le service fonctionnerait mieux avec moins d'effectifs, dans la mesure où certaines personnes, non seulement chôment, mais empêchent les autres de travailler».
Cadre de maîtrise souvent’

Cette situation est d'autant plus critique lorsque l'on sait que le sureffectif est accentué au niveau des catégories les moins qualifiées 501.

‘«il est vrai que nous sommes nombreux dans ce service, mais le surnombre provient surtout des agents d'exécution dont les qualifications sont très limitées».
«J'aurais souhaité que mon service fonctionne avec moins de personnes, à condition qu'on me débarrasse du petit personnel et qu'on m'affecte des cadres compétents».
Cadre supérieur Souvent’ ‘La pléthore des effectifs et la multiplicité des corps contribuent, pour une grande part, à la non-maîtrise des effectifs dans la fonction publique. Or, la connaissance des effectifs réels des administrations constitue une condition nécessaire pour gérer les compétences. ’

Cette condition n'est actuellement pas satisfaite pour deux raisons :

  • En premier lieu, les systèmes d'information mis en place à l'échelon interministériel, centrés sur les effectifs budgétaires, ne permettent pas d'avoir une idée exacte des effectifs réels. Un poste budgétaire ne correspond pas nécessairement à un agent. Il peut en effet être occupé par plusieurs agents à temps partiel, ne pas être pourvu, ou encore être pourvu alors que son titulaire est mis à disposition dans une autre administration. En outre, certains agents non titulaires sont rémunérés, non sur des postes budgétaires, mais sur des crédits de fonctionnement ou hors budget.

  • En second lieu, une connaissance fine des effectifs supposerait des éléments d'information qualitatifs. Or, le recensement des effectifs, de même que les outils de répartition entre les services déconcentrés, procèdent d'une logique exclusivement quantitative.

Cette situation, déjà difficile à gérer, s'est aggravée avec le problème des fonctionnaires et des emplois fictifs décelés par le ministère de la fonction publique et de la réforme administrative502, incitant ce département à engager une opération de lutte contre ce phénomène.

Les résultats préliminaires503ont révélé, à titre d'exemple, l'existence au sein du ministère de l'éducation nationale de 1647 fonctionnaires qui touchent leur rémunération sans jamais se présenter sur les lieux de leur travail et 812 autres qui font acte de présence mais ne travaillent pas.

  • Afin de maîtriser ses effectifs, l'administration publique marocaine doit :
    opter pour un management stratégique des ressources humaines504s'appuyant sur une gestion prévisionnelle des compétences et une politique de formation505 appropriée permettant de développer la polyvalence des agents ;
    mener une réflexion prospective sur l'évolution des emplois et des métiers ;
    réviser les dispositions statutaires afin d'adapter les classifications aux emplois réellement tenus et aux besoins effectifs de l'administration ;
    mettre au point des dispositions réglementaires efficaces permettant aux fonctionnaires de passer d'un corps à un autre et intégrer ces mesures dans la politique de mobilité interministérielle en cours d'étude par la ministère de la fonction publique et de la réforme administrative (MFRA) ;

Notes
498.

Source : ministère de la fonction publique et de la réforme administrative.

499.

Source : rapport de la banque mondiale sur la situation de l'économie marocaine, in la vie économique, n° 4074, du 30 juin 2000, p. 5.

500.

D'ailleurs la banque mondiale recommande à l'état marocain de réduire la masse salariale de ses fonctionnaires.

501.

Rapport de la banque mondiale : questions relatives à l'administration marocaine (1996), in publications de la revue marocaine d'administration locale et de développement, op cit, pp. 365-372.

502.

S. Agueniou, "administration : le dossier de la réforme ouvert avec Aziz Hussein", article publié dans la Vie économique n° 4053, du 4 février 2000, p.13.

503.

Ibid, p.13.

504.

Cf. Infra, pp.199 et s.

505.

Concernant ce point, la méthode de formation intégrée mise en oeuvre au sein de nos terrains d'expérimentation peut être mise à contribution pour atteindre un tel objectif.