4.4.3. le système de rémunération

Les traitements des agents de la fonction publique marocaine représentent plus de trois fois le PIB par tête, soit une fois et demie le salaire moyen du secteur privé. Les traitements de base représentent moins de la moitié de la rémunération globale531.

Toutefois, si l'on tient compte des propos tenus par les fonctionnaires au sujet de la faiblesse de leur pouvoir d'achat, on en déduit que la structure des traitements n'est pas claire.

‘«Mon pouvoir d’achat s’est détérioré avec le temps. En effet, mon niveau de vie ne cesse de baisser en raison de la stagnation de mon salaire et du renchérissement du coût de la vie».
«En raison de l'inflation, mon salaire s'est nettement déprécié, à tel point que parfois, j’ai honte de déclarer que j’appartiens à la fonction publique».
«Si on veut vraiment moraliser la fonction publique, il faut rétribuer les fonctionnaires d'une manière correcte».
Cadre de maîtrise Souvent’

Les salaires sont calculés sur la base d'une grille indiciaire532 laissant apparaître d'énormes disparités pour progresser d'une échelle à une autre.

Par ailleurs, il existe plusieurs disparités dans la mesure où 125 autres éléments entrent dans le calcul de la rémunération globale des fonctionnaires, engendrant d'énormes différences d'un ministère à l'autre, entre les services centraux et extérieurs, et les différentes catégories d'agents du même ministère533.

De plus les hauts cadres bénéficient d'avantages en nature, tels que les véhicules, les logements, les personnels de maison, etc., qui ne sont pas comptabilisés sous la rubrique relative aux dépenses salariales.

‘La politique de rémunération poursuivie par la fonction publique constitue un obstacle à la mobilité et dissuade les meilleurs fonctionnaires de s'orienter tant vers les services extérieurs que vers les ministères "pauvres". ’ ‘«La mobilité est pénalisante pour les agents déjà affectés à l'administration centrale ou dans certains départements au sein desquels le personnel est bien rémunéré. En effet, il y a des disparités de rétribution, au niveau des primes notamment entre, d'une part, les ministères et, d'autre part, les services centraux et les services extérieurs».
Cadre supérieur Très souvent ’ ‘En plus, le système n'est pas non plus incitatif ; la rémunération n'est pas liée à la performance. L'Etat doit développer dans les administrations publiques une culture fondée sur la performance.’

La grille indiciaire unique est une illustration parfaite de la non-corrélation des rémunérations aux compétences. Tout d’abord, elle n'empêche pas les disparités de primes entre ministères et/ou postes d'affectation qui font que des métiers proches ne sont pas rémunérés de manière identique. Ainsi, les primes versées à des attachés d'administration centrale peuvent varier du simple au triple selon les ministères.

En outre, l'administration conduit une politique salariale autonome, sans chercher à situer le niveau de rémunération de ses agents par rapport à celui des salariés du secteur privé de qualification équivalente.

De ce fait, elle se révèle moins attractive pour les cadres supérieurs (échelle 11 et hors échelle) dont le niveau de formation peut souvent engendrer un salaire plus élevé hors de l’administration.

‘ «Ici, la rémunération est fixée selon le grade et l'échelon. Ainsi, tout le monde est traité sur le même pied d'égalité, ceux qui produisent et ceux qui passent leur temps à circuler dans les bureaux».
«Mes amis de promotion qui ont choisi de travailler dans le privé touchent nettement mieux que moi. Pourtant, ma charge de travail est importante. Il m'arrive même de travailler jusqu'à des heures tardives le soir et les fins de semaine».
Cadre de maîtrise Très souvent ’ ‘Ainsi, les règles de rémunération sont opaques et prennent peu en compte le rendement. La sédimentation des textes instituant des indemnités et primes a créé un décalage entre la base indiciaire du traitement et la rémunération effectivement perçue par le fonctionnaire, sans que cet écart soit justifié par la prise en compte du rendement.’

Les primes censées être réparties en fonction du rendement sont la plupart du temps distribuées de façon uniforme en fonction du corps d'appartenance. Elles perdent ainsi leur valeur d'incitation à la performance individuelle et se transforment en complément fixe de rémunération, facteur d'encouragement au corporatisme et d'obstacle à la mobilité.

Les entretiens, menés auprès de certains cadres supérieurs, ont montré que ces derniers sont convaincus que leur rémunération doit être en partie liée à leurs performances, de telle sorte que les plus performants devraient être mieux payés que ceux qui le sont moins.

Ces attitudes sont motivées par la conviction qu'une rémunération liée à la performance augmentera les performances globales de l'administration et qu'il est plus équitable d'accorder des primes sur la base de la contribution de chacun à l'obtention des résultats organisationnels.

‘«Il est anormal de continuer à rémunérer tout le monde d'une manière uniforme sans prendre en considération le rendement de chacun. Cette situation est démotivante, notamment pour les cadres qui sont performants dans leur travail. Le plus important, c'est de définir des critères objectifs qui constitueront la base de la détermination du niveau de rémunération».
Cadre supérieurs Souvent

Or, les contraintes majeures auxquelles sont confrontées les administrations publiques marocaines résident justement dans la difficulté de mesurer la valeur ajoutée créée par un cadre534. L'évaluation d'un cadre repose souvent sur une notation subjective se référant à des critères de résultats professionnels dont les liens avec les performances de l'organisation sont ambigus.

Pour améliorer le système de rémunération, nous recommandons aux administrations publiques marocaines de développer une culture fondée sur la performance.

Par ailleurs, le management socio-économique, par la gestion contractuelle et individuelle des performances (CAPN) 535 qu'il permet, peut contribuer au renforcement de la motivation des fonctionnaires dans la mesure où il prévoit des incitations pécuniaires déterminées d'une manière objective et équitable, sans faire supporter à l'organisation des coûts financiers supplémentaires.

La figue n°14 présentée ci-dessous donne une synthèse des dysfonctionnements, mis en évidence dans ce chapitre, relatifs au système de gestion des ressources humaines dans l'administration publique marocaine. De même, elle récapitule l'ensemble des avantages qu'il présente ainsi que les recommandations d'amélioration suggérées par nos soins.

Figure n°14 : Caractéristiques de la gestion des ressources humaines dans l'administration publique marocaine. Récapitulation des dysfonctionnements et des recommandations
Thèmes Sous-thèmes Dysfonctionnements Avantages et recommandations

CADRE JURIDIQUE
Lacunes de
gestion des ressources
humaines
les notions de métiers et de compétences ne sont pas inscrites dans le statut ;
le statut ne fixe aucune règle relative au contenu des concours;
Il ne reconnaît pas explicitement la mobilité comme un critère pouvant intervenir dans l'avancement ;
Il ne prévoit aucun entretien de notation ou d'évaluation ;
il a conçu les attributions des commissions administratives paritaires de manière traditionnelle.
le statut de la fonction publique marocaine offre de nombreuses opportunités qu'il est nécessaire d'exploiter convenablement pour assurer une meilleure gestion des ressources humaines ;
certaines dispositions sont dépassées et nécessitent leur adaptation aux nouvelles exigences d'une gestion moderne des ressources humaines ;
il est nécessaire de combler les lacunes du statut en y intégrant notamment les notions de compétences, de performance et de mérite.
Déséquilibre
entre l'unité
du cadre et la multiplicité de règles
particulières
Il ne permet pas d'appréhender la diversité des situations qu'il recouvre ;
l'inflation des statuts particuliers s'est avérée tout aussi préjudiciable ;
il favorise le cloisonnement des fonctions et entrave le développement de la polyvalence et la bonne gestion de la grille de rémunération.
Contraintes
liées aux
rigidités statuaires
la gestion des ressources humaines reste très centralisée ;
les règles budgétaires et celles de comptabilité publique sont sources de contraintes pour la gestion des ressources humaines.
Thèmes Sous-thèmes Dysfonctionnements Avantages et recommandations
LES MODES
DE RECRUTEMENT
Inconvénients
du mode de recrutement
par concours
Il ne garantit pas la qualité du recrutement ;
Il engendre une charge financière et administrative lourde.

professionnaliser le recrutement ;
adapter et moderniser les outils de recrutement ;
exploiter la période du stage de titularisation pour soit adapter le profil du stagiaire, soit le licencier en cas d'insuffisance professionnelle ;
réviser les dispositions du statut relatives aux modalités de recrutement (art 22 du décret royal du 22/06/1967), dans le sens d’une application plus rigoureuse du principe de sélection, en fonction de la seule compétence des candidats.
Les formes dérogatoires de recrutement

les effectifs recrutés par ce biais sont très faibles ;






les emplois réservés cherchent à récompenser les anciens membres de la résistance pour les sacrifices qu'ils ont consentis pour la libération du pays ;

le vide juridique qui caractérise la situation administrative des personnels non titulaires ne permet pas de gérer leur carrière ;
leur niveau de formation initiale très bas ne fait qu'accentuer l'écart entre leurs compétences et les nouvelles exigences du monde du travail ;

le recrutement du personnel contractuel déroge aux dispositions réglementaires régissant l'accès à la fonction publique.

permet d’intégrer dans la fonction publique des profils atypiques dont l’expérience professionnelle et le regard critique sur l’administration sont appréciés ;
évite de donner la priorité uniquement aux fonctionnaires ;

ce mode de recrutement est appelé à disparaître dans la mesure où la majorité des anciens membres de la résistance ont atteint un âge qui ne leur permet plus de prétendre à des emplois publics ;

professionnaliser le recrutement et à l'intégrer dans une politique globale de gestion des ressources humaines s'inspirant elle-même des objectifs stratégiques à réaliser ;
intégrer progressivement certains d'entre eux dans les cadres de la fonction publique ;




répond à des besoins en profils très particuliers ;
permet de doter les ministères ne disposant pas de statuts particuliers, de compétences adéquates.
Thèmes Sous-thèmes Dysfonctionnements Avantages et recommandations
GESTION DES EFFECTIFS ET DES COMPETENCES
Classification des fonctionnaires
la démultiplication des classifications est une source de démotivation et de frustration des agents, du fait que certaines catégories ou corps sont convoités par les fonctionnaires en raison des avantages qu'ils procurent ;
le foisonnement de terminologie (cadres, catégories, grades, échelles, échelons, corps, etc.) occasionne des chevauchements entre plusieurs classifications de fonctionnaires ;
Cette situation engendre un décalage croissant entre les classifications et les compétences et une méconnaissance des ressources et des besoins en compétences.
mettre en place un management stratégique des ressources humaines s'appuyant sur une gestion prévisionnelle des compétences et une politique de formation appropriée permettant de développer la polyvalence des agents ;
mener une réflexion prospective sur l'évolution des emplois et des métiers ;
la méthode de formation intégrée mise au point par l'analyse socio-économique peut être mise à contribution pour atteindre un tel objectif ;
réviser les dispositions statutaires afin d'adapter les classifications aux emplois réellement tenus et aux besoins effectifs de l'administration ;
prévoir de manière réglementée et adaptée des passerelles donnant la possibilité aux fonctionnaires de passer d'un corps à un autre ;
intégrer les mesures de passage d'un corps à un autre dans la politique de mobilité interministérielle en cours d'étude par le ministère de la fonction publique et de la réforme administrative.
Répartition des effectifs

elle se caractérise par sa disparité entre secteurs d'activité, services centraux et déconcentrés ;
elle engendre des situations de sous effectif dans certains secteurs et de sureffectif dans d'autres ;
elle est aggravée par la faiblesse des taux d'encadrement.
mettre en place une politique de gestion des ressources humaines, rationnelle qui permet de recruter les cadres adéquats, de leur assurer un développement en adéquation avec les emplois qu'ils occupent et de les utiliser d'une manière optimale.
Thèmes Sous-thèmes Dysfonctionnements Avantages et recommandations
GESTION DES EFFECTIFS ET DES COMPETENCES
Redéploiement du
personnel
les obstacles d'ordre budgétaire et structurel n'encouragent pas les fonctionnaires les mieux rémunérés à quitter leur administration d'origine ;
les obstacles d'ordre social démotivent aussi bien les employeurs que les agents redéployés ;
les obstacles d'ordre technique ne permettent pas d'assurer une meilleur adéquation formation-emploi.
mettre en place un management stratégique des ressources humaines qui conçoit le redéploiement et la mobilité en tant qu'instruments permettant une gestion individualisée des carrières et des compétences ;
le redéploiement, dès lors qu’il relève d’une démarche construite et cohérente, constitue un outil pertinent pour améliorer la gestion et l’allocation des compétences ;
mener régulièrement des diagnostics pour identifier les besoins actuels et futurs des services et des agents en matière de compétences ;
la formation doit être mise à contribution pour préparer les personnels aux nouveaux emplois;
parallèlement, le redéploiement et la mobilité doivent être accompagnés d'une politique sociale qui prend en considération les attentes des fonctionnaires en termes de regroupement familial, retour vers la région d'origine, logement et perspectives d'évolution de carrière.
Adéquation formation-emploi
l'administration recrute souvent des agents dont les profils ou les qualifications sont en décalage par rapport à ses missions ;
en absence d'une gestion prévisionnelle des ressources humaine permettant à l'administration de déterminer en amont ses besoins en agent, il est difficile de fixer des objectifs ciblés en matière de formation ;
la période de stage, qui précède la titularisation de l'agent, n'est pas suffisamment exploitée pour corriger les erreurs découlant de recrutement inadéquats;
la formation continue ne profite pas généralement aux nouveaux arrivés au sein de l'administration. La priorité est souvent donnée aux anciens et particulièrement aux cadres supérieurs.

mettre en place une politique de gestion des ressources humaines qui permet d'identifier les besoins actuels et futurs en ressources humaines ;
professionnaliser le recrutement et l'adapter aux besoins de l'administration ;
mener des diagnostics de compétences afin d'identifier les zones d'écart entre les compétences et les exigences des emplois ;
adopter une politique de formation appropriée qui permet d'améliorer l'adéquation formation-emploi ;
les politiques de redéploiement et de mobilité doivent viser notamment à réduire les écarts entre les contenus des emplois et les compétences détenues par les agents.
Thèmes Sous-thèmes Dysfonctionnements Avantages et recommandations
EVALUATION DES PERFORMANCES
ET GESTION DES CARRIERES
Le système de notation du personnel
la note attribuée par le supérieur hiérarchique ne repose sur aucune base objective ;
les chefs de service ne possèdent aucun outil opérationnel permettant de mesurer les qualités des agents de manière objective ;
les responsables apprécient les personnels de manière trop peu différenciée en remontant la note de la grande majorité des agents vers le maximum à l'intérieur d'une fourchette resserrée n'autorisant que des variations marginales ;
l'appréciation littérale est rédigée dans un langage codé et stéréotypé ;
système de notation a perdu une grande partie de son efficacité sur l’avancement d’échelon et sur l’avancement de grade.
mettre en place un management par objectifs négociés ;
noter le personnel selon le taux de réalisation de leurs objectifs ;
instituer des entretiens annuels d'évaluation ;
donner la possibilité aux fonctionnaires de préparer leur évaluation et de s'auto-evaluer ;
permettre l'arbitrage de l'autorité supérieure en cas de désaccord avec la hiérarchie sur la note attribuée.
Le système de promotion l'avancement d'échelon ne prend nullement en considération les performances professionnelles de l'agent ;
le passage à un échelon supérieur se fait d'une manière mécanique en fonction de l’ancienneté de l’agent et de la note chiffrée qui lui a été attribuée ;
l'avancement sur titre est conditionné par l'obtention d'un diplôme supérieur permettant à l'agent d'accéder au grade supérieur ;
les examens d'aptitude professionnelle ou concours internes, proposés aux agents pour accéder à un grade supérieur, tient rarement compte des compétences professionnelles des agents ;
l'avancement au choix déroge aux autres modes d'avancement énumérés ci-dessus, dans la mesure où il obéit au seul pouvoir discrétionnaire de l'administration ;
ce processus est démotivant à la longue, dans la mesure où il met sur un même pied d'égalité ceux qui s'impliquent dans le travail et donnent des résultats avec ceux qui sont contre-performants ;
le principe du choix est subjectif, il nourrit le développement du clientélisme au sein de l'administration
mettre en place un système d'évaluation du personnel qui permet d'apprécier de manière objective aussi bien les compétences que les performances des agents ;
adopter une gestion plus fine et plus rationnelle des hommes et des emplois ;
mettre au point et utiliser des outils opérationnels permettant de piloter les activités et les performances des agents ;
remplacer le système en vigueur par un système dévaluation des performances des fonctionnaires avec des objectifs négociés et contractuels ;
tenir compte dans la promotion du mérite, du rendement et de l'aptitude à tenir convenablement un nouvel emploi ;
prendre en considération les aptitudes managériales de l'agent dans les nominations.
Thèmes Sous-thèmes Dysfonctionnements Avantages et recommandations
EVALUATION DES PERFORMANCES ET GESTION DES CARRIERES
Le système de rémunération
La politique de rémunération poursuivie par la fonction publique constitue un obstacle à la mobilité et dissuade les meilleurs fonctionnaires de s'orienter tant vers les services extérieurs que vers les ministères "pauvres";
le système n'est pas non plus incitatif ; la rémunération n'est pas liée à la performance;
L'Etat doit développer dans les administrations publiques une culture fondée sur la performance ;
Les primes censées être réparties en fonction du rendement sont la plupart du temps distribuées de façon uniforme en fonction du corps d'appartenance.
L'Etat doit développer dans les administrations publiques une culture fondée sur la performance ;
le management socio-économique, par la gestion contractuelle et individuelle des performances (CAPN) qu'il permet, peut contribuer au renforcement de la motivation des fonctionnaires dans la mesure où il prévoit des incitations pécuniaires déterminées d'une manière objective et équitable, sans faire supporter à l'organisation des coûts financiers supplémentaires.
Notes
531.

Rapport de la banque mondiale, "Questions relatives à l'administration marocaine", op cit p.365.

532.

Chaque échelle et ses échelons sont dotés d'un certain nombre de points d'indice qui servent au calcul du traitement de base suivant des valeurs arrêtées par des textes réglementaires.

533.

Rapport de la Banque Mondiale, "Questions relatives à l'administration marocaine", op cit, p.365.

534.

OCDE, "Les traitements du privé pour le public, Rémunération liée à la performance pour les cadres de la fonction publique", PUMA, Etudes sur la gestion publique, 1993, 216 pages, p.20.

535.

Cf. Supra, "Contrat d'activité périodiquement négociable", p.83.