5.1.2. Défis technologiques

L'apparition sur les marchés, de manière abondante et accessible, de la téléphonie mobile, des cartes à puces, de l'Internet et de l'Intranet annonce l'avènement de l'ère de la société de l'information560.

celle-ci doit son émergence au développement des technologies de l'information et de la communication (micro-électronique, informatique, télécommunications, ingénierie génétique, etc.), qui constituent l'une des grandes révolutions techniques qu'a connues le monde au cours des deux derniers siècles561.

Ces technologies ont fait apparaître toute une gamme de produits nouveaux. Elles vont entraîner une forte baisse des coûts de production et une amélioration des performances techniques dans de très nombreux secteurs : "‘Grâce au développement de réseaux mondiaux d'information, il est possible de mettre en place des systèmes de production intégrés à l'échelle de la planète, en réduisant fortement les coûts de transaction’"562.

Les technologies de l'information se diffusent partout et touchent presque tous les secteurs de l'industrie et des services privés et publics aussi bien dans leur activité propre que dans leurs relations avec l'environnement563.

Cette évolution technologique, en perpétuel mouvement et à une vitesse rapide, induit sans cesse des changements qui affectent aussi bien les structures organisationnelles que les méthodes de travail des organisations. "‘Ce nouveau modèle de développement sonne le glas de toutes les organisations centralisées, hiérarchisées, parfaitement adaptées au capitalisme industriel, mais dévaluées à l'ère du capitalisme informationnel’"564.

Ainsi, les lieux de travail sont le théâtre de changements profonds ; des emplois disparaissent, d'autres se créent. Le poste de travail lui-même s'est considérablement transformé suite à l'apparition de ces technologies et des modifications parallèles touchant l'organisation du travail565.

‘Cette mutation constante et accélérée fait que les qualifications d'aujourd'hui risquent bientôt d'être dépassées. Ce seront forcément des qualifications plus poussées, voire différentes, qui seront nécessaires. Ces exigences qui ne cessent de se modifier nécessitent une politique de gestion de ressources humaines appropriée et un effort continu de formation.’

or, il semblerait que l'administration, préoccupée par le seul souci d'augmenter la productivité, implante souvent les technologies de l'information sans tenir compte de leur impact sur le milieu du travail.

Celui-ci n'est pas toujours réorganisé pour accueillir les nouvelles technologies dont l'utilisation suppose la sensibilisation et l'implication de l'ensemble du personnel dans le processus de changement, ainsi que sa formation aux nouveaux outils introduits par ces changements.

‘«Bien qu'ils soient dotés de micro-ordinateurs reliés au réseau de la messagerie électronique, plusieurs responsables ne recourent pas toujours à la Bureautique informatique et préfèrent utiliser le support papier».
«Je ne dispose d'aucun agent formé pour travailler sur le bureau d'ordre informatisé qui va être mis en place».
Cadre supérieurs Assez souvent
«je ne suis pas le seul à éprouver des difficultés à manipuler un micro-ordinateur, les agents qui travaillent au secrétariat ne maîtrisent pas tous le traitement de textes, alors que certains cadres du service n'ont jamais touché à un clavier».
Agent d'exécution Souvent

Certains auteurs vont jusqu'à décrier les erreurs de choix d'investissement dans ce domaine : "‘des investissements inadéquats, des choix technologiques hasardeux, et surtout une incohérence entre ces investissements et les pratiques organisationnelles de firme ont, à l'évidence, marqué cette période’"566.

L'administration publique marocaine, au même titre que les autres organisations, est interpellée par ces changements. Aussi, doit-elle se doter d'une capacité de flexibilité et de réactivité qui touche aussi bien les comportements humains que ses structures et modes de fonctionnement dont la rigidité risque de paralyser son système nerveux central.

Le cas qui illustre parfaitement cette situation est celui des descriptions précises et figées des postes de travail qui n'offrent guère de flexibilité. En effet, ces descriptions rigides de poste empêchent l'administration de réagir efficacement aux changements. L'environnement évolue mais les fonctionnaires continuent à faire leur travail habituel sans se préoccuper des missions nouvelles devenues entre-temps plus prioritaires.

‘ «Il est vrai que l'introduction des nouvelles technologies de l'information et de la communication a complètement chamboulé les méthodes de travail. De ce fait, je suis conscient de la nécessité de dépasser les méthodes traditionnelles de travail et de développer la communication et la collaboration avec les autres services. Cependant, la répartition formelle des tâches et des responsabilités m'empêche de prendre des initiatives de ce genre».
Cadre de maîtrise Très souvent

Néanmoins, aucun reproche ne pourra leur être fait dans la mesure ou ils ont été recrutés et formés pour faire un travail précis. Ils sont appréciés en fonction de l'efficacité avec laquelle ils s'en acquittent. Leur supérieur hiérarchique lui-même est censé s'assurer que le travail est accompli conformément à la description du poste.

Hélas, dans un environnement en perpétuelle mutation, une organisation peut se trouver en difficulté même si tous ses membres s'acquittent convenablement de leurs tâches.

En fait, les fonctionnaires qui se contentent de faire leur travail, sans prise d'initiative et sans constituer une force de proposition, ne jouent pas efficacement le jeu organisationnel des temps modernes.

en effet, les postes de travail traditionnels sont devenus dysfonctionnels du fait que les nouveaux emplois sont de plus en plus fondés sur l'information et le savoir. Or, ces derniers se caractérisent par la difficulté de les scinder aisément en une série de gestes répétitifs. Ainsi, les descriptions de postes deviennent si vagues que cela remet en cause la classification des emplois et les grilles de rémunération.

C'est la raison pour laquelle le travail dépendant des connaissances est fréquemment confié à des équipes plurifonctionnelles. Ces dernières disposent souvent d'une formation mixte et transversale qui érode davantage la pertinence de description des postes567.

Dans le même ordre d'idée, les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), tout en favorisant l'accroissement des gains de productivité, impliquent une transformation des méthodes de travail traditionnelles et des relations avec les usagers.

Même s'ils sont difficiles à quantifier, les gains de productivité sont élevés et facilitent la réallocation des effectifs vers des tâches plus qualitatives.

Par ailleurs, le travail en réseau peut faciliter le décloisonnement entre les administrations et assurer une plus grande cohérence et rapidité d'action.

Enfin, la possibilité d'envoyer directement un courrier à ses correspondants ou de consulter son dossier individuel, la multiplication des "téléprocédures", l'accès direct à une quantité croissante d'informations "en ligne" contribuent à rapprocher l'administration de l'usager568.

‘Aussi, l'évolution des métiers, engendrée par l'informatisation croissante des activités, nécessite-t-elle une réflexion sur les compétences à développer ou à intégrer au sein de l'administration. Certains métiers tendent à disparaître (les agents de saisie informatique par exemple), d'autres se transforment (les documentalistes deviennent des gestionnaires de l'information), tandis que de nouveaux métiers émergent. En effet, l'introduction massive des nouvelles technologies de l'information et de la communication bouleverse les conditions de travail des fonctionnaires. Ainsi, la présence sur l'Internet et l'Intranet d'un volume croissant d'informations et de formulaires administratifs tend à réduire les missions de saisie.’

Dans ce sens, JP.Bourbonnais et A.Gosselin569 ont identifié une série de conséquences susceptibles d'être provoquées par les changements technologiques et pouvant affecter la vie des organisations :

L'analyse de ces conséquences permet de constater qu'elles touchent presque toutes l'élément humain. En outre, même si ces impacts ne correspondent que partiellement à la réalité de l'administration, celle-ci doit intégrer la dimension humaine en amont de ses choix de modèles de changements technologiques afin d'opter pour les solutions permettant d'atténuer l'ampleur des problèmes humains.

Notes
560.

Hervé Passeron, Christian de Perthuis et Robert Marti, "La France à l'heure des technologies de l'information", Le point Mensuel, mai 1999, in Problèmes économiques, n° 2642, 1er décembre 1999, 32 pages, p.25.

561.

C. Freeman et L. Soete, "Work for all or mass unemployment ? Computerised technical change into the twenty-first century", Londres, Pinter, 1994 ; A. Singh, "Mutations de l'économie mondiale, qualifications et compétitivité internationale", Revue internationale du travail, vol. 133, n°2.

562.

Voir la seconde partie du rapport du Bureau International du Travail intitulée "La mondialisation, l'évolution technique et la demande de personnel qualifié", traitant de l'emploi dans le monde pour la période 1998/1999.

563.

C. Freeman, "Technical change and unemployment", dans l'ouvrage publié sous la direction de J. Phipott, "Working for full employment", Londres, Routledge, 1996, p.111.

564.

Manuel Castells, professeur de sociologie et de planification à l'université de Berkeley, "La révolution de l'information", Croissance - Le Monde en développement, n° 429, septembre 1999, in Problèmes économiques, n° 2642, op cit, p.32.

565.

Voir la seconde partie du rapport du Bureau International du Travail intitulée "La mondialisation, l'évolution technique et la demande de personnel qualifié", op cit.

566.

Voir la seconde partie du rapport du Bureau International du Travail intitulée "La mondialisation, l'évolution technique et la demande de personnel qualifié", op cit, p.25.

567.

Voir la seconde partie du rapport du Bureau International du Travail intitulée "La mondialisation, l'évolution technique et la demande de personnel qualifié", p. 43.

568.

Un effort remarquable a été accompli dans ce domaine par l'Administration "A". Grâce à ses sites Internet et Intranet et à son réseau de messagerie électronique. Les usagers et les opérateurs économiques peuvent s'informer en temps réel sur les législations, procédures, fiscalité et suites réservées à leurs dossiers.

569.

J. P. Bourbonnais et A. Gosselin, "Les défis de la gestion des ressources humaines pour les années 90 : un tour d'horizon", Gestion, revue internationale de gestion, Montréal, 13(1), février 1988, pp.23-29.