2.2.2.1 - La notion de politique publique 

L’évaluation telle qu’elle est définie dans le décret du 22 janvier 1990 porte sur des politiques ou des actions publiques. Par le terme politique, C. Jameux désigne en règle générale toute action qui «donne du sens aux décisions, c’est à dire explique leur raison d’être (leur cause) ou bien oriente leur perspective par les buts qu’elle retient (leur finalité) ou bien encore leur donne une signification (leur valeur)» 375 .

Selon P. Gibert 376 , le succès d’une politique dépend de trois conditions qui doivent être simultanément réunies :

  • La qualité de la phase d’élaboration : il faudrait que la théorie du changement qui sous-tend la politique soit bonne ;
  • Une certaine capacité de prévision et un peu de chance : il faudrait que les circonstances dans lesquelles la politique est mise en œuvre soient celles que nous avions anticipées ;
  • Une bonne gestion du changement : la mise en œuvre de la politique devrait être correcte.

Dans l’espace public, le terme de politique renvoie, selon J.C. Thoeing et Y. Meny 377 , à un projet qui doit obtenir certains effets. Toute politique publique repose sur un problème à résoudre. Ce problème, défini collectivement, renvoie à des besoins exprimés par une population visée et déclenche «une séquence d’actions comportant la production d’une réponse plus ou moins institutionnalisée» 378 (voir fig.7).

Fig.7 : Le schéma général d’une politique publique
Fig.7 : Le schéma général d’une politique publique

Comme le notent J.C. Thoeing et Y. Meny, une politique publique est le «produit de l’activité d’une autorité investie de puissance publique et de légitimité gouvernementale» 379 . Cette autorité représente, selon P. Knoepfel et F. Varone, «des acteurs étatiques et sociaux interdépendants, dont les valeurs, les intérêts, les appartenances institutionnelles et les ressources varient» 380 . Ce sont, par exemple, les collectivités territoriales, les Administrations de l’Etat, les institutions à vocation sociale ou technique. Ces acteurs ont pour rôle de protéger des référentiels communs. J-Y Bion 381 distingue trois catégories d’acteurs d’une politique publique :

  • Les « légitimeurs » conçoivent ou financent la politique.
  • Les opérateurs mettent en œuvre cette politique.
  • Les populations-cibles sont les bénéficiaires de la politique qui sont souvent exogènes et dont les besoins sont mal ou insuffisamment identifiés.

W. Bussmann, U. Klöti et P. Knoepfel 382 distinguent deux types de politiques publiques à savoir : 

  • les politiques publiques institutionnelles qui visent à changer les structures institutionnelles dans l’optique d’une nouvelle distribution de pouvoir. Les auteurs citent comme exemple de politiques publiques institutionnelles, la restructuration globale de l’Administration et le renforcement de la position du parlement ou des tribunaux ;
  • et les politiques publiques substantielles qui ont pour rôle de résoudre un problème social spécifique telle que la protection de l’environnement.

J-F Auby 383 reconnaît deux catégories d’organisations qui représentent l’autorité publique en France. Ces catégories  sont régies par une relation de subordination :

  • D’une part, les collectivités territoriales 384 qui représentent les « légitimeurs » des politiques publiques selon le classement de P. Knoepfel et F. Varone. Elles jouent « un rôle non négligeable dans l’économie nationale puisque le montant total des dépenses des administrations publiques était de 700,6 milliards de francs en 1990 soit 47,5% des dépenses de l’Etat » 385 . Leur rôle consiste à mettre en place des politiques publiques substantielles. Depuis la décentralisation opérée en 1982 386 , un certain pouvoir de décision a été transféré de l’Etat aux élus locaux. Ces derniers jouent un rôle de médiateur entre les besoins locaux des citoyens et les priorités nationales. Le pouvoir de l’Etat sur ces collectivités se limite de fait, au contrôle de la légalité, sauf pour certains domaines, telle que la police administrative où l’Etat conserve un pouvoir de tutelle sur les collectivités locales. En France, les collectivités territoriales sont insérées dans des systèmes politiques qui sont à la base de leur fonctionnement : il s’agit des mairies dont le pouvoir est partagé entre le mairie et les adjoints qui assurent l’exécutif, et l’ensemble des autres élus qui sont les contribuables. Ces élus, dont la légitimité est fondée sur le suffrage universel, peuvent peser sur les décisions de l’exécutif. Selon L. Chaty 387 , la décentralisation a permis de rapprocher les politiques publiques le plus possible du citoyen, ce qui a conduit à la prolifération de politiques publiques locales plus ou moins indépendantes.
  • D’autre part, les établissements publics sont placés sous la tutelle d’une collectivité territoriale. Ces organisations publiques remplissent des missions de service public. Nous citons à titre d’exemple les hôpitaux, les centres de Loisirs et les Bibliothèques. Chaque établissement public peut dépendre d’une ou de plusieurs collectivités territoriales qui contrôlent ses décisions. Ces collectivités désignent des représentants qui participent à la direction de l’établissement. Pour un hôpital, les représentants de l’autorité de tutelle peuvent être des organismes de sécurité sociale. Le maire d’une communauté territoriale contrôle les activités de toutes les Bibliothèques publiques qui desservent les habitants de sa commune.

J-F Auby apporte des précisions quant à la nature des relations de tutelle qui «correspondent à la situation dans laquelle une structure publique dispose de la possibilité juridique de s’opposer à des décisions de la structure placée sous tutelle ou de les reformer» 388 . D’après cet auteur, les buts de la relation de tutelle sont multiples. Il cite :

  • la sauvegarde de l’unité politique ;
  • le respect de la Loi ou de la personne publique qui exerce la tutelle ;
  • la protection de l’intérêt de l’autorité décentralisée, première victime de la mauvaise gestion de ses représentants ;
  • la défense de l’intérêt des individus, qui peuvent avoir besoin d’une protection contre l’autorité décentralisée 389 .

Ainsi, chaque établissement public doit rendre compte à l’autorité de tutelle de l’intérêt général de ses services publics. J-F Auby définit la notion de service public comme étant le service rendu aux utilisateurs qui le demandent collectivement. La législation française a fixé les principes à appliquer dans le service. J-F Auby cite :

  • «le principe d’égalité devant le service public … trouve son développement dans les principes d’impartialité et de laïcité du service public… ;
  • le principe de continuité du service public qui suppose que le gestionnaire du service public soit en mesure d’assurer un fonctionnement du service public …;
  • et le principe d’adaptation…aux exigences de l’évolution technologique ou sociale» 390

J. Dupuis 391 souligne, quant à lui, la diversité des services publics selon le type de l’organisation publique considérée. Ainsi, les étudiants, les collectivités locales et les futurs employés sont les principaux utilisateurs d’une université qu’elle doit desservir et avec qui elle doit entretenir des relations. Sa politique publique devrait conduire à préparer ses utilisateurs à l’accès à un métier, à réduire les inégalités entre eux et à favoriser leur enrichissement culturel. Or, ces objectifs sont, selon J-F Auby, difficiles à apprécier en raison de l’abondance des services à offrir aux utilisateurs.

Pour J. Dupuis, la difficulté réside dans les organisations publiques elles-mêmes qui sont réparties horizontalement et verticalement :

  • Le découpage horizontal met en évidence les activités internes des organisations publiques qui se basent sur une logique de moyens.
  • Le découpage vertical se rapporte aux missions et aux objectifs de l’organisation qu’il va falloir répartir selon les niveaux hiérarchiques. Ce découpage repose sur une obligation de résultats et d’impact.

Le souci majeur des organisations publiques est de concilier ces deux logiques. Contrairement aux entreprises privées qui recherchent principalement le profit, le but des organisations publiques dépasse la simple fourniture de service public puisqu’elles visent l’effet lié à ce service.

J. Dupuis met en lumière une autre spécificité propre aux organisations publiques. Elle concerne la gratuité de leurs services et leur dépendance à la tutelle sur le plan économique. Par opposition aux entreprises privées dont les ressources financières proviennent directement de la vente des biens ou des services à des clients, les établissements publics fonctionnent par des subventions allouées par les autorités de tutelle.

Notes
375.

C. Jameux, op. cit., p.161.

376.

P. Gibert, «La difficile émergence du contrôle de gestion territorial», in : Politiques et management public, vol.13, n°3, septembre 1995, p. 205, pp. 203-221.

377.

J.C. Thoenig et Y. Meny, Politiques publiques, Paris : PUF, 1989.

378.

J-P. Nioche, op. cit., p. 5.

379.

J.C. Thoenig, et Y. Meny cités par A. Faure, op. cit.

380.

P. Knoepfel et F. Varone, «Mesurer la performance publique : méfions-nous des terribles simplificateurs», in : Politiques et management public, vol.17, n°2, juin 1999, pp. 126-127, pp. 124-145.

381.

J-Y. Bion, «L’étude préparatoire d’évaluation, une nouvelle manière de formuler la commande publique d’étude ? », in : Politiques et Management public, vol.17, n°1, mars, 1999, pp. 91-115.

382.

W. Bussmann, U. Klöti et P. Knoepfel, op. cit, p. 55.

383.

J-F Auby, op. cit.

384.

L’unité de base des collectivités territoriales est la commune. Il existe 36 762 communes en France parmi lesquelles 821 ont plus de 10 000 habitants (R. Gaschet. Le management socio-économique des collectivités territoriales, Lyon : Ed. La lettre du cadre territorial, 1998). Au niveau supérieur, on trouve les départements. Il en existe 96 en France qui sont rassemblés dans 22 régions (M.T. Jarrige et J. Péchenart dans «Administration et Bibliothèques», Paris: Ed. du cercle de la librairie, 1990).

385.

R. Gaschet, op. cit., p. 2.

386.

J. Chevalier, «Décentralisation et politiques publiques», in : L’actualité juridique, Droit administratif, avril 1992, pp. 120-126.

387.

L. Chaty, «La responsabilisation et le contrat managérial : figures et outils de la performance administrative en Europe», in : Politiques et management public, vol.17, n°2, juin 1999, pp. 85-103.

388.

J-F Auby, pp. cit., p. 62.

389.

idem.

390.

ibid., p. 100.

391.

J. Dupuis, op. cit., p. 11.