Comme le notent B. Calenge et al., les Bibliothèques affrontent une crise de légitimité d’une ampleur inconnue 524 . Ils citent l’exemple des Bibliothèques universitaires 525 qui doivent «se trouver au cœur de l’université, comme outil essentiel de transmission du savoir enseigné ; mais le savoir démultiplie ses chemins, ignorant le passage obligé des Bibliothèques, empruntant peut-être même demain des autoroutes prometteuses mais encore imprécises » 526 . La situation imprécise dont B. Calenge et al. font allusion, est due à un changement dans le mode de diffusion de l’Information Scientifique et Technique (IST).
En effet, le circuit du document dans les Bibliothèques universitaires a connu des changements : les chercheurs communiquent de plus en plus leurs travaux de recherche par voie électronique (ouverture de page personnelle sur des serveurs Web). Ces travaux sont désormais accessibles en ligne sur le réseau Internet et peuvent intégrer dans leur format du numérique et du multimédia, impliquant ainsi, une nouvelle méthode d’écriture et de lecture de ces documents.
Pour permettre l’accès à ces documents, les Bibliothèques universitaires ont investi dans l’acquisition et la maintenance de nouveaux équipements informatiques (acquisition de lecteurs de cédéroms et de DVD, de terminaux, d’imprimantes, etc.) et mènent de nouvelles activités (abonnement pour des connexions à distance, constitution de sous- sites web de la Bibliothèque dans le site de l’Université, mise à la disposition de dossiers thématiques sur le réseau Intranet de l’Université et l’Internet, création de points d’accès vers une sélection de ressources électroniques externes, etc.). .L’édition des revues scientifiques traitées et conservées par les Bibliothèques universitaires, est devenue électronique.
Ces exemples de changement dans la diffusion de l’IST demandent de la part du bibliothécaire universitaire de nouvelles connaissances et compétences techniques (connaissance d’XML 527 , du Dublin Core 528 , des biais cognitifs relatifs à la lecture hypertextuelle 529 , etc.) pour repérer et organiser les documents électroniques, afin de les rendre consultables au même titre que les documents «analogiques » (i.e. monographies et périodiques sur support papier).
La multiplicité des documents électroniques dont la pertinence demeure opaque 530 , nécessite de la part du bibliothécaire un grand travail de filtrage, pour ne retenir que les plus pertinents. Pour le catalogage de ces ressources électroniques, le bibliothécaire doit dorénavant, compléter un nouveau champ du format d’échange MARC 531 par des informations techniques 532 : c’est le champ 856 533 qui permet de créer un lien entre la notice bibliographique (en l’occurrence le catalogue en ligne de la Bibliothèque) et la ressource électronique elle-même.
En matière d’indexation, chaque ressource sera identifiée par une structuration faite de métadata 534 . Il s’agit de représenter la ressource électronique par des mots clés, afin de permettre à l’utilisateur de la retrouver sur Internet en passant par un moteur de recherche.
Le bibliothécaire doit en outre fournir des services d’aide et de formation aux usagers qui ont des difficultés à retrouver les ressources électroniques et/ou à utiliser les équipements informatiques mis à leur disposition. Ces équipements constituent désormais de nouveaux instruments d’acquisition du savoir, que les étudiants (exemple de catégories d’usagers desservies par les Bibliothèques universitaires) doivent maîtriser pour mener à bien leurs projets individuels.
C’est la raison pour laquelle, le comité d’évaluation des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel considère les Bibliothèques des établissements supérieurs (i.e. les Bibliothèques universitaires) comme «des lieux privilégiés où les étudiants devraient être systématiquement familiarisés avec les médias électroniques … qui concourent de façon éminente à l’acquisition de méthodes de travail par les étudiants et à leur réussite» 535 .
Par delà ces nouvelles fonctions, les Bibliothèques universitaires doivent continuer à remplir leur principale mission, assignée par la Loi n°84-52 du 26 janvier 1984 : celle de la conservation, de l’enrichissement et de l’accessibilité des collections relatives à l’IST. Dans ces établissements, le bibliothécaire doit répondre aux besoins d’information, de formation et de recherche. Il doit contribuer à donner à sa Bibliothèque une composante fortement intégrée dans la politique pédagogique et de recherche de l’Université. Pour ce faire, il doit jouer un rôle déterminent dans :
De plus, il a pour mission de mettre en réseau l’ensemble de ses collections au profit des usagers d’autres Bibliothèques universitaires comparables. Un effort considérable est fourni dans ce sens par les Bibliothèques universitaires françaises pour résoudre les problèmes d’hétérogénéité de leurs catalogues 537 et moderniser le système de prêt entre elles.
M-D. Heusse 538 met en lumière la valeur socio-politique des Bibliothèques universitaires. Ces établissements ont le devoir d’apporter à l’administration centrale (qui constitue leur tutelle en France) une connaissance fine des effets de leurs actions ; ils doivent rendre compte à cette tutelle de l’utilisation de leurs moyens, à l’instar des Universités qui sont soumises au contrôle du Comité d’évaluation des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel 539 . Ainsi, «tous les quatre ans, chaque Université définit par contrat avec les services de l’Etat les principaux objectifs de son action et que c’est sur cette base que l’Etat fixe les financements pluriannuels » 540 , 541 .
Cependant, l’Université se dote en France d’une certaine autonomie fonctionnelle et budgétaire (conformément à la circulaire n°89 - 079 du Ministère de l’Education Nationale, de la Jeunesse et des Sports datée du 23 mars 1989). Cette autonomie est marquée par le programme de contractualisation des Universités. Elle se traduit en termes de modernisation de la gestion (par l’élaboration de systèmes comptables de gestion interne) et de responsabilisation de toutes les composantes de l’université 542 . Elle implique l’élaboration et la mise en œuvre des véritables projets d’établissements qui seront évalués par les pouvoirs publics 543 .
Dans la pratique, on alloue à chaque composante de l’Université un crédit pour financer ses actions et ses services. Ce crédit est dans un premier temps, voté par le conseil administratif de l’Université, et dans un second temps, formalisé chaque année universitaire dans un document comptable. Conformément au décret du 14 janvier 1994, ce document représente un outil de pilotage et de contrôle de gestion. Il est constitué de chapitres par nature de recettes et de dépenses, parmi lesquels un chapitre sera entièrement consacré au budget fixé pour la Bibliothèque universitaire.
Comme le remarque C. Gaillard, « le budget des services communs de documentation des Universités, préparé par le directeur de l’établissement, soumis à l’avis du conseil de la documentation est, bien qu’autonome, intégré à celui de l’université et soumis au vote de son conseil d’administration » 544 . Cette situation a entraîné de nouvelles méthodes de travail, que les bibliothécaires universitaires ont dû adapter à la spécificité de leurs fonctions et services. Ce sont les méthodes de contrôle d’activités et de diffusion de résultats qui doivent, selon G Solle 545 , clarifier les structures et les responsabilités au sein de l’Université et affirmer la complémentarité de tous ses agents.
De ce point de vue, la Bibliothèque universitaire assume pleinement la responsabilité de sa politique de gestion du crédit qui lui est attribué annuellement. Toutefois, elle a la charge de rendre compte de l’utilisation de ce crédit dans les conseils d’administration de l’Université. Il s’agit d’une session plénière ayant lieu en mois de décembre ou en mois de janvier et qui porte sur la répartition des crédits.
Ces conseils sont des lieux d’expression publique des choix et des contraintes de chaque service et département de l’Université et auxquels des rapporteurs du conseil de la documentation 546 participent pour soumettre le budget de la Bibliothèque à l’approbation. D’une part, ces rapporteurs sont chargés de faire connaître l’utilisation des ressources et services de leur Bibliothèque, en mettant en évidence le rapport coût-efficacité. D’autre part, ils sont appelés à présenter leur nouveau projet pour l’année à venir.
Pour accueillir une population étudiante dont la tendance est à la hausse, il faut par exemple :
Ces mesures, présentées au conseil administratif et agrémentées par des indicateurs précis, se traduisent par tout un ensemble de dépenses supplémentaires que les responsables de Bibliothèque doivent justifier.
Il est vrai qu’en moins de dix ans, les crédits de fonctionnement des Bibliothèques universitaires en France ont sensiblement augmenté 547 , néanmoins, cette amélioration demeure insuffisante 548 en comparaison avec « l’augmentation régulière du coût des abonnements, la diversification des supports et des modes d’accès à l’information avec l’essor de la documentation électronique » 549 . A cet effet, il est impérieux que les bibliothécaires parviennent à convaincre les membres du conseil d’administration de leur rôle pédagogique et éducatif, afin que leur projet soit majoritairement voté ; car il faut dire que l’arbitrage budgétaire n’est pas forcement en faveur des Bibliothèques universitaires.
Il ressort du rapport Van Dooren que les centres de recherche sont mieux financés que la Bibliothèque de l’Université, alors que celle-ci a pourtant la mission et la capacité de procéder à l’achat de ressources documentaires de niveau de recherche pour toute l’Université 550 .
Plusieurs données démontrent le rôle important des Bibliothèques dans l’Université. P. Carbone 551 en distingue principalement deux :
C’est pourquoi, il convient que les bibliothécaires aient planifié de façon précise leurs services et leurs activités afin d’obtenir en fin d’année un meilleur rapport coût-efficacité. L’évaluation périodique est à cet effet, le principal outil de gestion qui doit signaler les éventuels écarts et permettre de prendre les mesures destinées à les corriger au moment opportun.
B. Calenge et al., Diriger une Bibliothèque d’enseignement supérieur, Presses de l’université du Québec, 1995, 455p.
Par Bibliothèques universitaires, nous entendons : les services communs de la documentation, les Bibliothèques des grands établissements ainsi que les Bibliothèques interuniversitaires.
idem, p.VII.
XML (eXtensible Markup Language) est un langage d’encodage des métadata (concept défini plus Loin dans le texte) qui a pour but de simplifier SGML. A titre indicatif, la spécification SGML fait 500 pages alors que la spécification XML fait 26 pages. L’usage d’XML doit permettre de mettre sur le web des structures plus complexes avec une syntaxe souvent simplifiée.
http://www.info.unicaen.fr/bnum/biblio-f …contres98/minutes/metadonees/texte.html, site web consulté le 15 mai 2000).
Le Dublin Core est un projet qui vise à améliorer la normalisation des métadata en proposant un format de catalogage des documents numérisés. Ce format est constitué de 15 éléments de données descriptives. ( http://ibase491.eunet.be/abd-bvd/mise/metadata.html , site web consulté le 15 mai 2000).
Le procédé hypertextuel propose des liens activables par le lecteur lui permettant la navigation d’un fragment textuel à un autre par un simple clic de souris. Parmi les problèmes soulevés par la littérature, concernant l’hypertextualité, nous pouvons citer la surcharge cognitive des liens qui se traduit par le sentiment d’égarement dans l’hyperespace (H. Le Crosnier, « l’hypertexte en réseau : repenser à la Bibliothèque », in : Bulletin des Bibliothèques de France, n°2, 1995, pp.23-31).
Contrairement à l’édition «classique » des documents, rigoureusement contrôlée par des comités de lecture dont le rôle consiste à évaluer la qualité du contenu des documents, l’édition électronique échappe à tout contrôle. En effet, tout un chacun peut créer son propre site pour diffuser ses travaux de recherche, ses idées sur et les diffuser sur le réseau Internet.
MAchine Readable Cataloguing..
Il s’agit souvent de saisir l’adresse URL du document électronique qui se présente sous forme d’un identifiant ayant une fonction semblable aux identifiants classiques, tels que l’ISSN (pour les publications en série) et l’ISBN (pour les ouvrages).
Le champ 856 existe dans les formats de catalogage normalisé UNIMARC (format d’échange universel) et USMARC (format d’échange utilisé par les Bibliothèques aux Etats-Unis).
On désigne sous le nom de métadata, un ensemble de rubriques associées à un document électronique, et donnant des informations sur son contenu (c’est-à- dire le document). Ces informations doivent être repérées par les moteurs de recherche ( http://www.nlc-bnc.ca/pubs/netnotes/fnotes63.htm , site web consulté le 15 mai 2000).
Comité National d’Evaluation des établissements publics, à caractère scientifique, culturel et professionnel. Les missions de l’enseignement supérieur : principes et réalités, Rapport au Président de la République, juin 1997, pp. 43-44.
idem.
Connu sous le sigle SU, le Système Universitaire est un projet de réseau commun de Bibliothèques universitaires, conduit par l’Agence Bibliographique de l’Enseignement Supérieur (ABES). La société néerlandaise PICA assure la maîtrise d’œuvre informatique du SU. Ce système doit intégrer le pancatalogue des ouvrages, la catalogue des périodiques (CCN/PS), le catalogue des thèses (Télethèse) et le système de PEB, afin de constituer un seul catalogue collectif qui englobe l’ensemble des collections de 101 Bibliothèques universitaires. Le système doit permettre un gain de temps considérable et une meilleure efficacité de la coopération inter Bibliothèque. De même, ce système fera partie intégrante du Catalogue Collectif de France, celui-ci étant un programme confié à la Bibliothèque Nationale de France avec les pôles associés. Ainsi, chaque Bibliothèque universitaire pourra soit cataloguer en local soit dériver la notice dans le SU, si elle existe, et la transférer dans le système local. Dans ce dernier cas, la notice sera récupérée par messagerie électronique en format texte ( d’après le site web de l’ABES consulté le 09 mars 2000, http://www.abes.fr/comor.htm ).
M-D Heusse. «L’évaluation dans les Bibliothèques universitaires en France », in : L’évaluation des Bibliothèques universitaires dans l’espace francophone, congrès de l’ABCDEF, Dakar, 17-18 mars 1993,
pp. 129-137.
M. Crozier. L’évaluation des performances des établissements universitaires, Paris : La documentation française, 1990, 108p. .
Les Bibliothèques des Universités, http://www.ENSSIB.fr/autres-sites/csb-rapp98_texte.htm (site web consulté le 17 février 2000).
Décret N°85-258 du 21 février 1985, paru dans le journal officiel du 23 février 1985.
G. Solle, « Calcul de coûts et management des établissements universitaires », in : Politiques et management public, vol.13, n°2, cahier1, juin 1995, pp. 1-33.
E. Cohen, op. cit. 1996.
C. Gaillard. « La comptabilité publique en France », in : Diriger une Bibliothèque d’enseignement supérieur, Presses de l’université du Québec, 1995, P. 224, pp. 221-226.
G. Solle, op. cit., 1995.
Selon l’article 4 de l’arrêté du 4 juillet 1985, le directeur de la Bibliothèque universitaire, accompagné par un secrétaire qui le désigne, prépare les délibérations du Conseil de la documentation et les rapporte au Conseil d’administration de l’Université.
Les crédits sont passés de 150 Million de Francs (MF) en 1988 à 535 MF en 1999.
Les Bibliothèques des universités, http://www.ENSSIB.fr/autres-sites/csb-rapp98_texte.htm (site consulté le 17 février 2000).
P. Carbone, « Le renouveau des Bibliothèques universitaires », in : Bulletin d’informations de l’Association des Bibliothécaires Français, n°182, 1999, pp. 7-11, p.8.
Rapport Van Dooren : Bibliothèques universitaires et nouvelles technologies, http://www.education.gouv.fr/rapport/vandooren/partenar.htm (site web consulté le 13 janvier 2000).
Idem.
Le décret 95-550 du 4 mai 1995 favorise la coopération entre les bibliothécaires et les informaticiens (journal officiel du 6 mai 1995).