Les Bibliothèques publiques vivent presque les mêmes mutations que les Bibliothèques universitaires en France. D’après les résultats d’une enquête technique 553 conduite par la DLL, en 1998 auprès des 2188 Bibliothèques municipales de communes de plus de 2 000 habitants, le nombre des Bibliothèques informatisées continue de progresser : 52,8% en 1998 contre 38% en 1995 554 pour le même échantillon.
Malgré cette progression apparente, l’enquête nous apprend que les projets de ré-informatisation interviennent en moyenne tous les 8 ans, alors que l’Etat prescrit l’âge moyen des systèmes informatisées de Bibliothèques à 5 ans. Ce constat a permis au Conseil Supérieur des Bibliothèques de déduire que les Bibliothèques publiques « ne suivent apparemment pas la course effrénée de l’évolution du matériel, ce qui peut conduire à s’interroger sur leur capacité d’adaptation aux bouleversements en cours» 555 .
Il s’avère, en outre, que le coût d’investissement dans les projets d’informatisation ou de re-informatisation dépasse largement les prévisions des Bibliothèques publiques. L’enquête de la DLL indique que la moitié des 73 Bibliothèques informatisées interrogées, desservant entre 20 000 et 50 000 habitants, ont investi en 1998 plus de 700 000 francs 556 que le coût prévu. A cela s’ajoute la hausse du coût annuel de la maintenance des systèmes informatisés qui représente de 6,2% à 9,4% du total des investissements de ces établissements.
Par ailleurs, les statistiques fournies par la DLL depuis 1995, indiquent que les budgets d’acquisition des Bibliothèques publiques françaises régressent ou dans les meilleurs des cas, stagnent 557 . Les villes de 20 000 à 100 000 habitants sont celles qui ont eu le plus de difficulté à reconduire les budgets des années précédentes. Citons à titre d’exemple, la moyenne des dépenses d’acquisition en francs par habitant des 2421 Bibliothèques municipales interrogées par la DLL en 1998. Cette moyenne s’élève à 14,58% contre 14,01% en 1997 et 13,79% en 1996.
L’ouverture au public est en diminution régulière à cause de l’insuffisance des budgets de fonctionnement de ces établissements. En effet, pour les villes de plus de 30 000 habitants, la moyenne des heures hebdomadaires d’ouverture au public est de 19h21 en 1998 contre 19h30 en 1995 et 20h08 en 1990.
Au regard des chiffres fournis par la DLL de 1995 à 1998, nous pouvons constater avec prudence, que les Bibliothèques publiques, comme les Bibliothèques universitaires, suivent difficilement l’évolution technologique.
De surcroît, il semble que le progrès menace l’équilibre budgétaire de ces établissements. Soulignons cependant que les efforts déployés par les bibliothécaires de lecture publique pour suivre cette évolution sont considérables en France. En effet, le nombre de personnels a augmenté en général selon les statistiques publiées en 1998 par la DLL. Ce nombre est passé de 17338 en 1997 à 18351 en 1998 558 dans les Bibliothèques municipales de plus de 30 000 habitants.
De plus, le nombre des Bibliothèques publiques qui offrent un accès au réseau Internet (que ce soit gratuit ou payant, libre ou restreint) a sensiblement augmenté ces dernières années. Parmi les services en ligne qui sont accessibles au public via ce réseau, nous pouvons citer la messagerie électronique, les forums, le transfert de fichiers 559 , la consultation en ligne de documents patrimoniaux et de collections courantes (couvertures d’imprimés, extraits sonores, extraits vidéos) 560 .
Cette nouvelle offre de services conduit le bibliothécaire de lecture publique a acquérir une certaine technicité. P. Bazin 561 en témoigne en mettant en évidence les fonctions quotidiennes qui sont acquittées aujourd’hui, dans les Bibliothèques publiques en France. En effet, le bibliothécaire a pour fonction de numériser des contenus, de récupérer des documents électroniques, de créer de métadata susceptibles de baliser finement ces documents, et de relier les documents filtrés entre eux dans l’espace hypertextuel.
Pour cet auteur, la technicité attribue «des pouvoirs nouveaux qui semblent les autoriser à intervenir de façon beaucoup plus directe dans la chaîne de diffusion, de transmission et même d’élaboration des savoirs, etc. [Leur tâche consiste à] soigner les procédures de repérage, de comparaison, de collégialité, etc. [L’auteur ajoute que] cette technicité procédurale est la garantie d’un élargissement du champ de vision et d’une recherche de clarté dans l’organisation de l’offre documentaire » 562 .
Malgré l’importance de ces changements, le Secrétaire Général du Conseil Supérieur des Bibliothèques, se concertant avec quatre Conservateurs et un Inspecteur Général des Bibliothèques, 563 affirme que les Bibliothèques publiques doivent remplir leurs missions fondamentales de service public, à savoir :
D’ailleurs, nous remarquons d’après la description historique de l’évolution des Bibliothèques publiques en France fournie par M. Poulain 564 , que les missions fondamentales de ces établissements n’ont pas changé depuis le début du XXe siècle :
Premièrement, les Bibliothèques publiques sont nécessaires au bon exercice d’un gouvernement démocratique 565 , raison pour laquelle elles doivent être, comme l’école, gratuites et laïques, conformément à l’article 4 de la charte des Bibliothèques élaborée en 1991 par le Conseil Supérieur des Bibliothèques.
Deuxièmement, chaque établissement doit proposer des services et des ressources qui vont dans le sens des préoccupations de l’ensemble des habitants de la commune. Dans cette optique, B. Calenge évoque la triple vocation des Bibliothèques publiques vis-à-vis de leurs collectivités territoriales. Il s’agit :
D. Baillon-Lalande insiste sur la responsabilité culturelle des Bibliothèques publiques. Elles se trouvent être, selon cet auteur, « les seuls lieux de mémoire de la production éditoriale d’hier et d’aujourd’hui, à l’heure où les libraires, faute de disponibilité financières et de place, n’ont ordinairement plus de politique de stocks, et où les éditeurs pilonnent de plus en plus rapidement les ouvrages » 567 .
Cette idée est confirmée par T. Giappiconi et P. Carbone qui mettent en relief le rôle des Bibliothèques publiques dans le développement du métier du livre à l’échelle nationale. Pour eux, les politiques d’acquisition des documents menées par ces établissements «constituent de facto une intervention publique dans le secteur économique de l’édition et de la librairie » 568 . Pour D. Taesch-Wahlen 569 , les Bibliothèques publiques sont des partenaires pour tous les autres établissements : du centre culturel aux écoles, en passant par les théâtres, les festivals, les associations, etc. .
Troisièmement, les Bibliothèques publiques jouent un rôle primordial dans l’accès à la citoyenneté. Cette notion s’impose aujourd’hui à l’évidence comme légitime et pertinente dans le champ de l’intervention sociale, éducative et culturelle. La citoyenneté permet à chaque individu d’avoir une place d’acteur qui lui permettra, compte tenu de son âge et de son développement, de s’informer, de s’exprimer, d’agir et de prendre des initiatives 570 .
Rappelant à ce niveau, que la convention des droits de l’enfant en 1989 considère les enfants comme des acteurs sociaux à part entière comme les adultes et les personnes de troisième âge. En France, des dispositifs multiples sont mis en place par différents établissements publics pour développer la participation active de l’enfant dans la société. Parmi ces établissements figure la Bibliothèque publique dont la mission est à l’évidence claire : il s’agit de préparer l’enfant à devenir un citoyen autonome, responsable et solidaire. Comme l’école et les institutions éducatives, la Bibliothèque publique doit donner l’occasion à l’enfant de développer ses compétences créatives et d’apprendre la vie en société et le respect de l’autre 571 .
En plus de ces missions ayant un intérêt de politique publique, les Bibliothèques publiques doivent veiller au bon usage des deniers communaux et le prouver ; car « les citoyens ont le droit de savoir si les ressources sont utilisées le mieux possible » 572 . Ils ont le plein droit de donner leur avis sur le fonctionnement de la Bibliothèque et sur ses prestations de services, voire être associés dans une mesure plus ou moins large à sa gestion. Ce progrès d’idées correspond à la conception moderne des droits individuels face aux pouvoirs institués et met davantage l’accent sur l’enjeu de la transparence et de l’organisation rationnelle des Bibliothèques publiques.
Pour illustrer cette demande, citons l’avis du député-maire de Saint-Denis qui met en avant le rôle de la Bibliothèque municipale de Saint-Denis. Pour lui, cette Bibliothèque doit accompagner les transformations sociales de la commune et se mettre au service des citoyens très différents les uns des autres. Elle doit, dit-il, « innover, élaborer un projet de service qui intègre les citoyens, permettre un accès plus large au savoir et être au centre des pratiques culturelles et éducatives» 573 . Pour autant, la Bibliothèque municipale de Saint-Denis manque, d’après son directeur, de moyens financiers et demande plus de temps, d’agents et de réflexion pour être en adéquation avec les besoins des citoyens de sa commune 574 . Cet exemple, illustre bien le problème financier que rencontrent la plupart des Bibliothèques publiques en France.
En conclusion, nous pouvons dire que la fonction publique dans son ensemble (i.e. l’Etat et les collectivités territoriales) est davantage confrontée à une certaine complexité dans la gestion de ses crédits en raison de la rapidité des mutations techniques, sociales et économiques (précédemment évoquées). La question qui se pose à un manager de Bibliothèque publique est de savoir comment remplir ses missions fondamentales alors que ses dépenses (le coût des prestations de service) augmentent et ses recettes (les subventions publiques) stagnent, voire diminuent progressivement.
T. Giappiconi propose de contourner ce problème par l’appréciation des moyens par rapports aux objectifs et dont le résultat sera utile à la maîtrise des dépenses de l’Etat. L’expertise conduite par les Bibliothèques publiques leur permet, selon cet auteur, de «jouer un rôle crédible d’aide à la décision auprès de l’administration et de l’autorité politique de tutelle. Cette fonction d’expertise recouvre l’évaluation des besoins financiers (c’est-à-dire des dépenses directes et indirectes) et un rôle de conseil, d’aide à la décision en matière de tarification des services et de recherche de financements complémentaires (ventes de produits annexes, mécénat)» 575 .
La DLL publie ce type d’enquête tous les trois ans.
Direction du Livre et de la Lecture. L’équipement informatique des Bibliothèques municipales et départementales : évaluation 1998.
Informatisation et ressources électroniques, http://www.ENSSIB.fr/autres-sites/csb-rapp98_texte.htm (site web consulté le 17 février 2000).
Direction du Livre et de la lecture, op. cit., p. 15.
L. Santantonios. « Les Bibliothèques sont plus nombreuses mais moins riches », in : Livres hebdos, n°236, 14-2-1997, pp. 54-57.
Il convient de prendre ce résultat avec précaution car le nombre des Bibliothèques interrogées par la DLL était de 2328 en 1998 et de 2152 en 1997.
notamment le service de téléchargement de documents électroniques via le protocole FTP.
Direction du livre et de la lecture, op. cit., p. 40.
P. Bazin. «Bibliothèque publique et savoir partagé», in : Bulletin des Bibliothèques de France, t.45, n°5, 2000, pp. 48-53.
idem, p. 50.
Un compte rendu des propos des participants à la table ronde est publié dans la revue « la Gazette » (numéro paru le 7 décembre 1998).
M. Poulain. Les Bibliothèques publiques en Europe, Paris : Ed. du cercle de la librairie, 1992.
T. Giappiconi et P. Carbone, op. cit., 1997, p. 18.
B. Calenge, op. cit., 1993, p. 13.
D. Baillon-Lalande, op. cit., p. 35.
idem, p. 31.
D. Taesch-Wahlen. Concevoir, réaliser et organiser une Bibliothèque. Mémento pratique à l’usage des élus, des responsables administratifs et des bibliothécaires, Paris : Ed. du cercle de la librairie, 1997.
S. Hypach. « Généraliser la participation sociale des enfants », in : Réussir, n°44, juin 2000, pp. 2-5, p. 4.
J. Le Gal. « Pour une citoyenneté participative », in : Réussir, n°44, juin 2000, pp. 6-8.
B. Leprat, “Les Bibliothèques à l’épreuve de l’évaluation”, in : La Gazette, 7 décembre 1998, pp. 6-10.
P. Braouezec, M. Deloule et L. Matray. « Bibliothèque et citoyenneté », in : Bulletin des Bibliothèques de France, t.45, n°5, 2000, p. 62, pp. 62-65.
Idem.
T. Giappiconi, op. cit., 1998, p. 33.