Introduction

La profession d’enseignant s’est trouvée brutalement, dans les années quatre-vingts, en crise, en particulier en 1986 où, pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, l’Education Nationale n’a pas réussi à recruter tous les instituteurs dont elle avait besoin : sur 5000 postes offerts, seulement 4700 furent pourvus. Or cette profession avait longtemps paru protégée, à l’abri du chômage, entourée de privilèges jalousés (les vacances en particulier ...).

Cette situation était d’autant plus paradoxale qu’elle est survenue dans un contexte économique caractérisé depuis plus d’une dizaine d’années par un chômage important chez les jeunes. Or, même si, aujourd’hui, le nombre de candidats au concours de recrutement des professeurs d’école est le double, voire le triple, de celui des admis, il semble que ce métier, malgré la sécurité de l’emploi qu’il assure, ait peu à peu perdu son attrait. D’autre part, cette crise n’affecte pas seulement son renouvellement. Elle le touche dans sa globalité. En effet, à l’intérieur même du corps des instituteurs, parmi ceux qui ont accédé à cette profession il y a quelques années, certains ne désirent plus enseigner et ont la volonté de faire autre chose. “‘L’enseignement aujourd’hui, c’est le radeau de la Méduse. Ceux qui restent, c’est parce qu’ils n’ont pas pu partir’ .” F

Ce jugement est certainement bien négatif. Il existe autour de nous des hommes et des femmes qui rayonnent de bonheur dans leur métier d’enseignant, même à la veille de leur retraite. Cependant, il n’y a pas de mois où nous n’entendons ou ne lisons dans les médias les confidences de ceux qui déclarent vouloir changer de métier L . Les mots de lassitude sont presque toujours les mêmes. Ils témoignent d’un certain refus “du changement vécu”, “de la situation qui s’est dégradée”. D’autres encore, qui sont le signe d’une véritable démission, expriment un réel malaise, qui ne peut être vécu jusqu’à la retraite. Certains souhaitent, tant qu’ils le peuvent encore, “essayer autre chose” I .

Mais il y a d’autres fuites : les plus brillants écrivent, et les moins sincères, peut-être, courent vers des postes de conseillers pédagogiques, de responsables à la M.G.E.N., voire aux responsabilités syndicales et publiques, vu les horizons qu’elles apportent. Tous les ans, nous voyons de nouveaux maîtres solliciter à leur tour des postes avec un demi service, ou souhaiter être totalement déchargés.

Cette situation est préoccupante car, dans les prochaines années, l’Etat devra remplacer quarante pour cent des instituteurs qui, en activité aujourd’hui, partiront à la retraite.

Dans ce contexte, les motivations des enseignants sont multiples et très différentes. Plusieurs d’entre-eux ont assurément beaucoup de satisfaction à pratiquer leur métier. Mais certains éprouvent des moments de doute et des désirs de changement. Sont-ils nombreux et à quoi cela tient-il ? C’est ce qui nous a amené à notre problématique :

Les maîtres du premier degré éprouvent-ils, au cours de leur carrière, le désir de ne plus enseigner, de changer d’activité professionnelle ? Quels en sont les facteurs ? En quoi certains aspects de leur vie peuvent-ils influer sur ce souhait ?

Notre hypothèse est qu’ilest fonction :

  • - de facteurs externes liés à l’image, aux rôle et fonction du maître du premier degré
  • - de facteurs internes, dépendant eux-mêmes
    • des motivations initiales
    • des conditions d’exercice par rapport aux élèves
    • par rapport aux autres enseignants
  • - de l’articulation des deux facteurs précédents.

Notre travail doit, dans un premier temps, commencer par une exploration du champ bibliographique. Ainsi, les synthèses des travaux d’autres chercheurs pourront servir de référents théoriques.

Nous nous proposons, ensuite, d’étudier les représentations que les maîtres du premier degré ont de leur métier. A cette fin, notre recherche a comporté une enquête constituée d’entretiens et d’un questionnaire centrés sur l’éventualité de ce désir mise en lien avec leurs motivations initiales mais aussi avec les conditions d’exercice de leur profession.

Enfin, la seule analyse d’une réalité actuelle ne peut suffire. Ce travail doit conduire à une réflexion aboutissant à des propositions destinées à éviter mais aussi, peut-être, à accompagner la crise que certains peuvent éprouver.

Notes
F.

. Bayrou, 1990 - 2000 La décennie des mal appris, Paris, Flammarion, 1990.

L.

’actualité littéraire et pédagogique de la rentrée 1999 se fait l’échos d’un certain mal-être enseignant. A lire en particulier : Philippe Milner, A bas les élèves !, Albin Michel, 1999; Nicolas Revol, Sale prof, Fixot, 1999; William Reymon, Mémoire de profs : mission, joies et craintes, les profs parlent, Flammarion, 1999.

I.

l faut cependant relever que le nombre de véritables démissions est très faible puisqu’il ne concerne, pour l’année scolaire 1998-1999, que 23 enseignants (dont 16 femmes et 7 hommes).

Toujours pour la même année scolaire, on relève 29 intégrations dans un autre corps (13 femmes et 16 hommes) et 64 autres sorties (33 femmes et 31 hommes).