4- Tendances générales du cycle de vie des enseignants du second degré (Michael Huberman).

L’étude est réalisée dans une perspective classique, celle de la “carrière”.

Nous pouvons relever des “séquences” ou des “maxicycles” dans les carrières des individus différents dans une même profession mais aussi, d’une manière plus large dans celles de personnes exerçant des professions variées. Néanmoins, ces périodes ne sont pas toujours vécues dans le même ordre et tous les membres d’une même profession ne les vivent pas obligatoirement toutes.

‘“Le développement d’une carrière est ainsi un processus, non pas une série d’événements. Pour quelques uns, ce processus peut paraître bien linéaire, mais pour d’autres il y a des plateaux, des régressions, des culs de sac, des déclics, des discontinuités.” ^M 3 ’

En 1988, Michaël Huberman a délimité des “phases” ou des “stades” de la vie en classe.

• L’entrée dans la carrière .
  Deux aspects, “la survie” et “la découverte”, sont relevés.
  Le premier correspond au “choc du réel”. C'est toute la période pendant laquelle le jeune maître va être confronté à la vie de la classe et à la découverte de ses difficultés. Dans sa pratique, il va procéder par tâtonnement et accentuera la préoccupation de soi-même. Il se posera des questions par rapport à sa position, à son rôle dans le nouveau métier qu’il exerce. Il va se rendre compte qu’il peut exister un décalage entre ses idéaux et les réalités quotidiennes de la classe.
  En revanche, l’aspect “découverte” va se traduire par un certain “enthousiasme” à faire partie “d’un corps de métier constitué”, mais aussi à expérimenter sa pratique, éventuellement à avoir sa propre classe, ses élèves.
  La littérature classique sur la socialisation professionnelle réunit ces deux aspects ainsi que leurs déterminants sous le nom “exploration”.
• Une seconde phase, “la stabilisation”, se traduit par un engagement définitif de la part de l’enseignant mais aussi de l’institution. Ces paramètres sont variés. En premier lieu : ceux qui sont de nature pédagogique. L’enseignant va consolider sa pratique. Mais aussi, des facteurs psychologiques l’aideront à acquérir une plus grande “aisance”, voire une certaine “détente”. On pourra parler d’“un confort psychologique”. C’est également le moment de l’appartenance à un groupe de pairs.
• La troisième phase, dite “d’expérimentation ou de diversification”, est celle qui correspond à deux positions. Pour les uns , la consolidation pédagogique de la phase de “stabilisation” étant réalisée, il s’agit maintenant de “majorer son apport et son impact au sein de la classe”. ^I 4 Pour les autres, la position est plus “institutionnelle”, car il va être maintenant temps de “s’attaquer aux aberrations du système qui justement réduisent l’impact virtuel en classe” ^I 5 .
  C’est à ce moment que pourra se manifester “la problématique de l’ambition personnelle” par réaction à une recherche active “des responsabilités personnelles”. Les enseignants désirent faire face à de “nouveaux défis”, par peur de la routine.
• Certains (plus d’hommes que de femmes) passent par une phase “modale de remise en question”, dont les “symptômes peuvent aller d’un léger sentiment de routine à une réelle crise existentielle face à la poursuite de la carrière” ^M 6 .
  Il est ainsi possible de voir apparaître progressivement un sentiment de routine à partir de la phase de “stabilisation”. “Ils font leur boulot, ni plus ni moins, juste la quantité requise, aidés en cela par la précision des normes, des emplois du temps, des programmes. Les carcans des textes et des réglements leur sert à fixer la stricte limite de leur assiduité... Le feu sacré s’éteint en douceur...en un état de cynisme impensé, d’ankylose bienfaisante...un contrat de couleur rouille” ^H 7 .
• Le problème surmonté, il y aura “la phase modale de sérénité et de distance affective”. Il s’agit, en quelque sorte, “d’un état d’âme”. Les enseignants se sentent “moins énergiques, voire moins investis mais aussi moins soucieux, face aux problèmes courants en classe.” ^M 8
  Rappelons, également, la présence d’une “distance affective vis à vis des élèves”. Ce sont eux qui vont se détourner affectivement de leur professeur et cet éloignement ne cessera de croître.
• Relevons encore qu’il peut exister une phase de “conservatisme et plaintes” correspondant à ceux de 50-60 ans, pendant laquelle un nombre important devient “râleur”, remettant en cause l’évolution de la politique éducative et les mentalités des élèves et de leurs jeunes collègues.
  Cette phase rejoint les études plus générales réalisées “sur la relation entre l’âge et le conservatisme”. Des recherches psychologiques ¹ 9 relèvent l’orientation que certaines histoires de vie peuvent avoir avec l’âge en particulier à plus de rigidité, de dogmatisme, de prudence et de nostalgie du passé mais aussi à moins d’innovation et surtout à un sentiment de protection par rapport à ce qui est déjà possédé. Ce changement serait croissant jusqu’à la cinquantaine où là, il s’accélèrerait.
• La dernière phase est celle du “désengagement”. Il s’agit ici “d’un repli progressif” ainsi que d’“une intériorisation accrue vers la fin de la carrière”.Ils “se détacheraient progressivement, sans rancune, de l’investissement professionnel, pour consacrer plus de temps à eux-mêmes et à une vie sociale plus réfléchie” ^M 0 .

II faut noter cependant que la démonstration empirique d’une telle phase n’a pas été faite de façon univoque. En effet, nous ne pourrions penser que les enseignants se comporteraient autrement vers la fin de leur carrière que d’autres personnes qui ressentiraient les mêmes pressions sociales ou la même évolution psychologique. Par ailleurs, nous relevons des études ^H 1 qui reconnaissent l’existence de professeurs qui, désinvestissent déjà à mi-carrière parce qu’ils auraient été déçus des résultats de leur travail ou des contraintes et exigences institutionnelles.