2- Le malaise des enseignants du premier degré.

Les raisons institutionnelles du malaise sont multiples : la fin du monopole enseignant sur l'école qui doit fonctionner avec l’intervention de divers partenaires et en particulier les parents d’élèves, l'image des maîtres qui est souvent ternie, des réformes incessantes qui les perturbent. Lorsque plusieurs conditions institutionnelles néfastes sont réunies, on pense sérieusement à partir.

Un exemple a été relevé pendant les entretiens. C’est le témoignage d’un enseignant qui, avec 4 ans d’ancienneté, est prêt à démissionner car, chaque année, il est nommé sur des postes en complément de services (jusqu’à 4 postes, tous avec des niveaux et disciplines différents) malgré son voeu d’être sur une seule classe.

D’autres facteurs peuvent engendrer un malaise certain. A bout de nerf, à bout de souffle, ils disent avoir au moins de bonnes raisons de baisser les bras, en particulier par rapport aux conditions d'exercice, quelquefois difficiles, du métier.

On ne peut parler des enseignants du premier degré comme d’un ensemble homogène. La diversité des niveaux auxquels ils enseignent et celle des types d’établissement génèrent des représentations extrêmement variées de la profession.

En ce qui concerne, donc, l’enseignement du premier degré, une très grande majorité des enseignants se déclare contents de leur métier et, d’ailleurs, il en est de même pour les parents. Ces maîtres s’accordent pour une identité commune, dans laquelle ils mettent en avant leur rôle de pédagogue et d’éducateur. Néanmoins, si la plupart s'associe à à vouloir faire réussir les élèves, leur hétérogénéïté croissante ne le permet pas toujours. Ils doivent diversifier leurs méthodes, s’adapter à des nouveaux codes culturels et, dans les zones les plus sensibles, socialiser plus qu’enseigner, pour une réussite difficilement évaluable...

Ces difficultés émergent aujourd’hui dès les classes de maternelle. Malgré un rapport plutôt étroit avec l’institution et, en particulier, une hiérarchie facilement accessible, par l’intermédiaire des Inspecteurs de l’Education Nationale, les maîtres se sentent seuls devant les problèmes du terrain et se réfugient souvent derrière les textes et programmes officiels pour essayer de justifier leur manière d’agir. Ils se retrouvent ainsi pris entre les exigences des Instructions Officielles et des connaissances requises en fin de cycle et la réalité des classes. Il faut parfois partir d’un niveau tout autre, avant de prétendre aborder le programme.

Les maîtres doivent également gérer les oppositions qui peuvent exister entre leurs propres conceptions de l’enseignement et les demandes des élèves et des familles. Certains qui ont des conceptions particulières et adaptées sur la transmission des savoirs, sont souvent confrontés à une demande beaucoup plus utilitariste. Ils doivent ainsi repenser leurs pratiques professionnelles.

Beaucoup cherchent à améliorer leur efficacité. S’appuyant sur les recherches didactiques et pédagogiques, ils s’engagent sur des méthodes innovantes (pédagogie différenciée, travaux interdisciplinaires...). Mais, hélas, ils se heurtent vite alors aux contradictions du terrain et aux contraintes matérielles (effectifs, horaires, rigidité du système ...) ou même à l’hostilité des collègues plus traditionnels, et finissent par se décourager devant les obstacles.

En somme, ils exercent leur métier dans une diversité de situations paradoxales et chacun va être amené à se construire une identité. La personnalité de tout maître opère une négociation entre le statut que sa profession lui attribue et la pratique quotidienne à laquelle il est confronté. En effet, ils doivent faire face à des situations imprévisibles, dont personne ne leur avait vraiment parlé et auxquelles nul n’a pensé à les préparer. En outre, ils font l’objet de nombreuses critiques, qui les traitent de nantis, de paresseux, de responsables des maux de notre système éducatif et de son insuffisance à former les jeunes pour l’avenir. C’est dans ce contexte que leur malaise est une réalité, qui en touche beaucoup et, est devenue un sujet de recherche.

On peut définir le malaise des maîtres comme l’ensemble de réactions, de démission, de découragement, maximalistes, agressives ou angoissées, qu’en tant que groupe professionnel à la recherche de son identité, ils manifestent depuis une vingtaine d’années.

S’y intéresser a pour but, au-delà d’un discours misérabiliste sur leur condition, de favoriser l’analyse des causes et des circonstances qui ont créé ce malaise, afin de proposer des solutions efficaces.

Un rapport de l’O.C.D.E. O évoquait la démoralisation diffuse des personnels enseignants, alors que certains indicateurs relèvent une baisse de la qualité de l’enseignement. Mais peut-on améliorer ces résultats alors que les innovations et les efforts en ce sens doivent toujours s’établir sur le volontariat ? Peut-on les solliciter de puiser éternellement dans leur temps personnel pour y participer ? Par ailleurs, avec des personnes démoralisées, il sera bien laborieux d’atteindre l’objectif, approuvé et consenti par tous : donner une formation de qualité à tous les jeunes afin qu’ils puissent s’insérer à notre société. Wolfgang Mitter W 0 indique, dans ses études comparatives des systèmes éducatifs européens, qu’ils peuvent subir une période de déception qui conditionne largement l’exercice de leur profession. Il rapporte ce fait à la déqualification qu’ils subissent, compte tenu de leur niveau de formation. De son côté, Blase J 1 a décrit aux Etats-Unis, en 1982, un “processus de détériorisation de l’efficacité pédagogique”, dû aux conditions actuelles d’exercice de l’enseignement.

On parle du malaise des enseignants depuis de nombreuses années, mais c’est au début des années quatre-vingts qu’il devient un objet de recherche au sujet duquel des revues spécialisées ont publié plus de cinq cents études. Le terme “malaise enseignant” recouvre tous les effets négatifs que les conditions psychologiques et sociales de l’enseignement ont sur la personnalité des professeurs.

Quels en sont les indicateurs?

Les recherches ont mis en évidence deux sortes de facteurs impliqués (Blase, 1982).

Tout d’abord, on peut relever des facteurs structuraux ou de contexte, qui agissent indirectement en diminuant l’efficacité et la motivation de l’enseignant.

Mais il y a aussi des facteurs qui agissent directement sur le travail de l’enseignant dans sa classe, suscitant alors des sentiments désagréables.

Notes
O.

.C.D.E. L’enseignement obligatoire face à l’évolution de la société.,Paris, O.C.D.E.,1983.

W.

. Mitter, Goal aspects of teacher education., European Journal of Teacher Education, 8,3, pp. 273-282.1985.

J.

.J. Blase, A social psychological grounded theory of teacher stress and burnout., Education Administration Quarterly,18,4, pp. 93-113, 1982.