2.2- Etudions maintenant les facteurs à la classe.

Ils affectent directement l’activité pédagogique parce qu’ils imposent des limites et des tensions qui gênent le travail quotidien en classe. On y retrouve les indicateurs plus immédiats du malaise des maîtres.

Le premier d’entre eux : moyens et conditions de travail.

Les recherches sur le malaise des enseignants J 0 mettent souvent en avant le rôle du manque généralisé de moyens. En effet, les enseignants motivés par des innovations pédagogiques sont souvent découragés par le manque de moyens et de matériels pédagogiques.

Nombre d’entre eux dénoncent la flagrante contradiction entre, d’une part, le soutien et le prestige dont jouit le renouvellement pédagogique auprès des instances responsables du système éducatif et de la société en général et, d’autre part, la non attribution de moyens nécessaires pour la mener à bien. Cela aboutit souvent à susciter une attitude d’inhibition et de désengagement vis-à-vis de leur travail .

Ce manque de moyens touche aussi bien le matériel pédagogique que les locaux, le mobilier.

Les conditions de travail, aujourd’hui leur imposent des réunions régulières entre eux et avec les partenaires du système éducatif que sont, en premier lieu, les parents d’élèves mais aussi les associations,... On peut même affirmer qu’un enseignement de qualité, dans l’esprit des instructions officielles, est le fruit d’une équipe qui, réagissant à certaines tentations de s’abandonner à la routine comme défense inhibitoire face aux difficultés rencontrées, essaie de pallier, par un surcroît d’énergie et d’enthousiasme, le manque de moyens. De nombreux enseignants s’en plaignent donc. Toute amélioration de leur travail exige de leur part un effort supplémentaire pour obtenir les aides espérées et faire évoluer l’institution.

Beaucoup s’en plaignent donc. L’hétérogénéïté des classes est difficile à gérer car elles sont encore trop chargées en effectif. Certains avouent qu’il leur est difficile de soutenir efficacement les élèves en grosse difficulté. Il manque dans certains départements de nombreux maîtres spécialisés. Ceux qui sont chargés de la rééducation et les psychologues scolaires partant à la retraite ne sont souvent plus remplacés. D’autres sont fréquemment seuls face à des enfants qui ont de lourds problèmes sociaux, familiaux et culturels. De graves problèmes de violence apparaissent même dans les écoles.

Mais ils regrettent également des nouvelles procédures d’orientation qui les ont dessaisies de leur pouvoir au profit de celui des familles. Elles ont la possibilité de faire appel en cas de décision d’une prolongation de scolarité dans un cycle. Il faut savoir qu’elles obtiennent en règle générale satisfaction et qu’ils se sentent parfois bafoués. L’administration tient peu compte de leur avis et, en accord avec l’esprit de la loi d’orientation de 1989, approuve presque systématiquement les procédures d’appel des parents.

Le second facteur interne à la classe, c’est l’augmentation d’actes de violence et d’incivilité dans les institutions scolaires.

Dès 1980 aux Etats-Unis, des données plus précises sur ce phénomène ont été recueillies par la National Education Association N 1 . Il en ressort qu’il y a eu au moins 5 % de la population enseignante des établissements publics de ce pays qui ont un jour été victimes de violence. On enregistre par ailleurs une augmentation constante de ces cas. En dehors de ces violences physiques avérées, environ 25 % des professeurs affirment avoir craint une agression de la part des élèves.

Par ailleurs, dans le même rapport émanant de l’O.I.T., d’autres études montrent également l’accroissement de la violence dans les institutions scolaires israéliennes, britanniques, suédoises et françaises.

Ce phénomène dans les classes permet de bien illustrer les mécanismes qui alimentent en partie le malaise des enseignants et qui découlent des conditions psychologiques et sociales d’exercice de cette profession. En effet, le problème de la violence ne touche qu’une minorité et reste un phénomène isolé. Mais du point de vue psychologique, il est démultiplié et de nombreux enseignants qui n’ont jamais été agressés et ne le seront probablement jamais, en seront pourtant inquiets et ressentent un malaise qui mine leur confiance et leur sécurité.

Toujours dans ce même rapport du Bureau International du Travail à Genève, on relevait que les agressions sont plus nombreuses dans le second degré, dans une proportion de 5 à 1 par rapport au primaire. Elles sont le fait de garçons et touchent surtout les hommes. Leur répartition varie selon l’environnement. Elles atteignent 15 % dans les grandes agglomérations urbaines, 6 % dans les petites villes et 4 % dans les zones rurales. Les établissements de grande taille sont également plus touchés. On peut sans doute avancer que l’anonymat et la faiblesse des relations dans ces établissements favorisent l’apparition d’actes de violence.

Aujourd’hui encore, les chiffres démontrent qu’elle existe dans les établissements scolaires, même dans le premier degré. Le problème réel, ce sont ces élèves “impossibles”.

Marie, professeur d’école depuis 21 ans, dès sa sortie de l’école normale a souhaité travailler avec des enfants difficiles. Mais, aujourd’hui, “c’est trop dur...” et, lorsqu’elle rentre en classe elle a “l’impression d’aller à l’abattoir”. Un cas parmi d’autres, témoin de l'important malaise qui mine aujourd’hui l’Education Nationale : les professeurs, en particulier d’école sont en train de “craquer”. Ces hussards fatigués, parfois désespérés, souvent révoltés, risquent, physiquement, moralement, de démissionner. Il y a donc ceux qui partent, et les autres, innombrable armée de ceux qui se sentent de plus en plus mal. Dès qu’on les interroge, ils expriment désarroi et amertume. Leur mission n’a cependant jamais été si importante. Jamais certains, pour la remplir, ne se sont sentis si désarmés dans notre société où le savoir a une place aussi capitale. Les instituteurs ont toujours eu l’habitude d’enseigner à des enfants de toutes origines sociales. En revanche, l’application progressive du fameux slogan “80 % d’une classe d’âge au baccalauréat” a entraîné une ouverture massive des portes du collège et du lycée. La mise en place de la loi d’orientation confirme bien ce phénomène, tout particulièrement en ce qui concerne le premier degré. En effet, elle préconise qu’il n’y ait plus, si besoin, qu’une seule et unique prolongation de scolarité, afin que tous les enfants puissent entrés en classe de sixième au plus tard à 12 ans. Les écoles sont de plus en plus confrontées aux difficultés sociales et à une très grande hétérogénéïté. Les professeurs sont en première ligne. Aberration du système : ce sont les enseignants les plus jeunes, donc les moins expérimentés, qui sont affectés à des établissements sensibles. Une enseignante à peine sortie de l’I.U.F.M. vient d’être nommée dans une école de banlieue en Z.E.P.: “Je n’ai pas été préparée à travailler dans de telles conditions. Les enfants livrés à eux-mêmes avec des parents chômeurs pour la plupart sont des durs ”. Chaque année, de nombreux enseignants nommés en Z.E.P. désirent fuir leur établissement et certains obtiennent leur mutation. Une autre, sortie également depuis peu de l’I.U.F.M., est remplaçante dans les quartiers nord de Marseille, secteur où toutes les écoles où elle intervient sont en Z.E.P. .Elle exprime son indignation :J’ai quelquefois peur dans certaines classes de C.M.2. Les élèves crient, s’insultent tout le temps et même m’insultent... Il n’y a plus de respect pour le professeur. On se demande dans quel monde on est. La discipline est inexistante...

Il faut enfin évoquer, face à la montée de la violence, la crise de la discipline qui, après avoir été critiquée parce qu’imposée à tous de façon extérieure et arbitraire, n’a pu être remplacée par un ordre plus juste, acquis grâce à la collaboration de chacun.

La discipline ? Une notion (périmée, semble-t-il parfois) qui ne s’appliquerait pas partout. Certains professeurs apprendraient-ils donc à gérer ces nouveaux élèves qui ne savent pas se taire, capables de faire voler les gommes et les crayons d’une table à l’autre, qui se comportent comme s’ils étaient devant la télévision ?

Un maître confie que “leur attention est tellement fragile qu’il est obligé de faire une pause toutes les dix minutes. Sinon, ils décrochent...

En 1991, à Vilgénis, les enseignants ont choisi l’humour pour exprimer leur malaise. Au lieu de se décourager ou de remâcher leur rancoeur, douze d’entre eux sont montés sur les planches et ont raconté leur malaise dans “tableau noir”, une pièce drôle et grinçante sur la vie des professeurs.

Il faut être d’une solidité morale à toute épreuve pour pouvoir supporter au quotidien, sans s'effondrer nerveusement ou moralement, une certaine violence. Il est très difficile, pour certains, de vivre des agressions orales ou même matérielles sur leur véhicule par exemple... Des maîtres de Mantes-la-Jolie ont encore le souvenir de leur collègue, enseignant remarquable et appliqué qui, insulté par une élève difficile, lui avait donné une claque. La mère avait porté plainte. Ne pouvant supporter l’opprobre, le maître s’était pendu dans son jardin. Un cas extrème sans doute, mais qui montre à quel point ces professeurs mettent à l’épreuve leur équilibre. Ils s’investissent trop dans leur métier, face à certaines familles hostiles ou inconscientes et à une administration souvent indifférente, parfois carrément négative.

Le niveau dramatiquement faible des élèves achève d’atterrer certains enseignants, qui constatent que la situation ne cesse de se détériorer, bien qu’ officiellement l’on affirme le contraire. Les évaluations nationales du ministère pour les classes de C.E.2 et de sixième confirment malheureusement que 20 % des élèves ne savent pas lire en sixième et 50 % ont du mal à comprendre le sens de ce qu’ils lisent. Les enseignants supportent d’autant plus mal cet échec qu’ils s’en sentent tenus pour responsables, alors qu’ils n’en sont qu’involontairement les acteurs.

D’autres facteurs internes à la classe sont l’accumulation de responsabilités et le surmenage .

La littérature spécialisée en langue anglaise associe souvent le concept de burnout au stress. Il s’agit du surmenage que subissent les enseignants épuisés, “vidés” par leur travail. Ils manquent de temps pour assurer les multiples responsabilités qui leur sont confiées. Cela serait souvent à l’origine de la fatigue qu’ils éprouvent et de ses conséquences. Il y a donc une surchage de travail qui les oblige à morceler leur activité. Ils doivent préserver une discipline rigoureuse, tout en maintenant dans sa classe un climat chaleureux et sympathique. Il leur faut stimuler les élèves les plus rapides et suivre ceux qui travaillent lentement. Il doit donc veiller sur l’atmosphère de la classe, tout en programmant ses activités, évaluer, conseiller, recevoir les parents et les entretenir sur l’évolution de leur enfant, organiser des activités extra-scolaires, participer aux conseils des maîtres, de cycles, d’école... (même si une heure hebdomadaire est dégagée pour ce type de réunion).

Les enseignants sont dépassés par l’imputation de responsabilités disproportionnées par rapport au temps et aux moyens dont ils disposent.

Notes
J.

. Dunham, Stress situation and responses, In : Stress in Schools, Hemel Hempstead, National Association of Schoolmasters, 1976.

C. Kyriacou et J. Sutdiffe Teacher stress : a review, Education review, 29, 4 , pp. 299-306, 1977.

Teacher stress : Prevalence, sources and symptoms, British Journal of Educational Psychology, 48, pp. 159-167, 1978.

O.I.T., Emploi et conditions de travail des enseignants , Bureau international du travail, 1981.

N.

ational Education Association, Teacher’s problems, Today’s education, nov.-déc., p.5, 1979 et sept.-oct., p. 21, 1980.