D Les raisons de ne pas partir.

Jusqu’ici, nous avons étudié les réponses des maîtres qui, pour une ou plusieurs raisons, ont pensé sérieusement à quitter l’enseignement. Il y en a, toutefois, un grand nombre (63 %) qui répondent ne pas l’avoir envisagé.

Parmi eux, 75 %, fermement, ne pensent pas quitter et 25 % ne prévoient pas de s’en aller mais, sont plus nuancés.

Quels motifs fournissent-ils ?

Globalement, les raisons données sont de trois types. On n’y pense pas, simplement parce qu’on se plaît dans l’enseignement, ou qu’on ne peut imaginer une autre carrière, ou qu’on tient trop aux avantages “matériels” de l’enseignement.

Pour quelle raison n’a-t-on jamais pensé sérieusement à quitter l’enseignement ? (graphique 151).

Parmi ceux qui n’imaginent pas renoncer à leur métier :

Trois motifs principaux pourraient apparaître :

  1. Eprouver du plaisir à enseigner. 46 % du total des répondants, 72,5 % de ceux qui n’ont jamais pensé à quitter ont un réel plaisir à exercer leur métier, à vivre avec des enfants . Cette satisfaction est attribuée surtout au fait que chaque année est une année nouvelle. De l’une à l’autre, le travail est très varié, puisque les élèves sont différents : il est possible alors de se renouveler tout le temps. La fatigue est suppléée par sa variété. Il y a toujours quelque chose à découvrir.
  2. On ne pense pas à quitter (12 % du total des répondants, 19,5 % de ceux qui n’ont jamais pensé à quitter l’enseignement). Même si l'on en avait l'envie, on ne voit pas ce qu'on ferait d'autre ou alors l'on n'a pas la formation adéquate pour entreprendre une autre carrière. Il y a également très souvent une méconnaissance de “l'extérieur”.
  3. Les avantages matériels (5 % du total des répondants, 8 % de ceux qui n’ont jamais pensé à quitter l’enseignement). On peut avoir peur de les perdre.

La sécurité de l’emploi joue ici un grand rôle. Par ailleurs, les conditions de travail (liberté, vacances, changement de poste, mutation, temps partiel...) sont quasiment irresistibles; on ne les retrouve pas ailleurs, même dans le secteur public.

Certains maîtres, effectivement, dans leur pratique de la classe “n’en peuvent plus” mais leur profession est beaucoup trop attirante pour qu’ils la quittent. Ils y ont trop d’avantages.

Il faut par ailleurs noter une quatrième raison, d’une autre nature : on ne pense pas à quitter parce que l’on se prémunit contre la lassitude ou le surmenage. Certains savent peut-être se prémunir en aménageant des conditions de travail et leur degré d'investissement dans le travail. C’est par exemple le cas de ceux qui décident une de ses “mesures préventives”:

Tableau 106 : L’âge des maîtres qui n’ont jamais pensé à quitter l’enseignement. (Graphique 152, Annexes, tome 2)
âge % d’enseignants qui n’ont jamais pensé à quitter l’enseignement
moins de 26 ans 100 %
26 / 35 ans 66 %
35 / 45 ans 57 %
plus de 45 ans 63 %
Tableau 107 : Le motif qui explique pourquoi on n’a jamais pensé à quitter l’enseignement en fonction de l’âge des maîtres. (Graphique 152, Annexes, tome 2)
âge
motif de ceux qui n’ont jamais pensé à quitter
plaisir à enseigner ne pensent pas n’osent pas
moins de 26 ans 77 % 23 %  
26 / 35 ans 68,5 % 25,5 % 6 %
36 / 45 ans 81,5 % 11,5 % 7 %
plus de 45 ans 65,5 % 22 % 12,5 %

C’est parmi les maîtres de 36 à 45 ans que l’on trouve le moins de personnes qui n’ont jamais envisagé de quitter leur métier. Parmi eux, il y a le plus grand nombre de ceux qui n’y songent pas parce qu’ils éprouvent du plaisir à enseigner.

Parmi ceux de plus de 45 ans, 63 % n’ont jamais prévu sérieusement d’y renoncer, en particulier 12,5 % parce qu’ils n’osent pas. Que faire d’autre ? Il faut rappeler que cette promotion est peu diplômée.

Tableau 108 : Le sexe des maîtres qui n’ont jamais pensé à quitter l’enseignement. (Graphique 153, Annexes, tome 2)
sexe % d’enseignants qui n’ont jamais pensé à quitter l’enseignement
masculin 52,5 %
féminin 67 %
Tableau 109 : Le motif qui explique pourquoi on n’a jamais pensé à quitter l’enseignement en fonction du sexe des maîtres. (Graphique 153, Annexes, tome 2)
sexe
motif de ceux qui n’ont jamais pensé à quitter
plaisir à enseigner ne pensent pas n’osent pas
masculin 76 % 17 % 7 %
féminin 60,5 % 28,5 % 11 %

Plus de deux femmes sur trois n’ont jamais eu l’idée de quitter l’enseignement, contre un homme sur deux. 40 % des femmes qui n’y ont jamais songé, c’est, parce que cette idée leur a toujours été étrangère ou qu’elles n’osent pas envisager un départ. Lorsqu’un homme n’y pense pas, c’est, pour 76 % d’entre eux, parce qu’ils aiment enseigner.

Tableau 110 : L’ancienneté générale d’enseignement des maîtres qui n’ont jamais pensé à quitter l’enseignement. (Graphique 154, Annexes, tome 2)
ancienneté % d’enseignants qui n’ont jamais pensé à quitter l’enseignement
0 / 3 ans 75 %
4 / 6 ans 75 %
7 / 14 ans 51,5 %
15 / 25 ans 57,5 %
26 / 35 ans 67 %
plus de 35 ans 62,5 %
Tableau 111 : Le motif qui explique pourquoi on n’a jamais pensé à quitter l’enseignement en fonction de l’ancienneté générale d’enseignement des maîtres. (Graphique 154, Annexes, tome 2)
ancienneté
motif des maîtres qui n’ont jamais pensé à quitter
plaisir à enseigner ne pensent pas n’osent pas
0/3 ans 70 % 24 % 6 %
4/6 ans 74,5 % 25 % 0,5 %
7/14 ans 73,5 % 16 % 10,5 %
15/25 ans 80,5 % 13 % 6,5 %
26/35 ans 67,5 % 21,5 % 11 %
plus de 35 ans 60 % 20 % 20 %

Les maîtres possédant entre 7 à 15 ou 15 à 25 ans d’ancienneté ont, pour près d’un sur deux, un jour projeté d’abandonner l’enseignement. Parmi ceux qui ont cette même ancienneté et n’y ont jamais pensé, un taux élevé éprouve un réel plaisir à l’exercer. Ils y sont plutôt bien.

Parmi ceux ayant plus de 35 ans d’ancienneté, près de 40 % n’y ont pas songé parce qu’ils n’ont pas osé ou vraiment imaginé faire aute chose.

Tableau 112 : L’affectation des maîtres qui n’ont jamais pensé à quitter l’enseignement. (Graphique 155, Annexes, tome 2)
affectation % d’enseignants qui n’ont jamais pensé à quitter l’enseignement
direction/Maître-Formateur 56 %
titre définitif 67 %
titre provisoire 62 %
plusieurs services 69 %
remplaçants 55 %
Tableau 113 : Le motif qui explique pourquoi on n’a jamais pensé à quitter l’enseignement en fonction de l’affectation des maîtres. (Graphique 155, Annexes, tome 2)
affectation
motif de ceux qui n’ont jamais pensé à quitter
plaisir à enseigner ne pensent pas n’osent pas
direction / M.F. 74,5 % 17 % 8,5 %
titre définitif 72 % 20,5 % 7,5 %
titre provisoire 71,5 % 28 % 0,5 %
plusieurs services 76,5 % 23 % 0,5 %
remplaçants 71 % 0,5 % 28,5 %

C’est parmi les directeurs d’école et les remplaçants que l’on trouve le plus de ceux qui ont eu sérieusement l’intention d’arrêter leur carrière professionnelle. Ceci pourrait expliquer le fait que certains aient choisi d’assurer les fonctions de remplaçant, poste sur lequel ils ont un engagement moindre que s’ils avaient la responsabilité d’une classe ou, pour d’autres, préféré la charge d’une direction d’école ou d’un poste de maître-formateur, fonctions qui leur permettent de “s’évader” de leur classe par des tâches administratives ou de formation.

Ces deux types de postes correspondent à un choix de désengagement direct avec les élèves. Le remplaçant s’investit moins qu’un autre dans une classe. Il a moins de rapport avec les parents, mais aussi moins de dynamisme dans ses actions au sein des écoles.

Les directeurs ont, pour la plupart, toujours une fonction d’enseignement, mais leur travail dans l’établissement est essentiellement celui d’animation et de gestion administrative, même si un grand nombre n’a pas de décharge.

Tableau 114 : Le niveau d’enseignement des maîtres qui n’ont jamais pensé à quitter l’enseignement. (Graphique 156, Annexes, tome 2)
niveau d’enseignement % d’enseignants qui n’ont jamais pensé à quitter l’enseignement
maternelle 63 %
élémentaire 63 %
maternelle & élémentaire 63,5 %
Tableau 115 : Le motif qui explique pourquoi on n’a jamais pensé à quitter l’enseignement en fonction du niveau d’enseignement des maîtres. (Graphique 156, Annexes, tome 2)
niveau d’enseignement
motif de ceux qui n’ont jamais pensé à quitter
plaisir à enseigner ne pensent pas n’osent pas
maternelle 65,5 % 24,5 % 10 %
élémentaire 76 % 17 % 7 %
matern. / élém. 74,5 % 17 % 8,5 %

Il existe autant de maîtres à l’école maternelle qu’en élémentaire qui n’ont jamais imaginé renoncer à leur métier. Cependant, parmi eux, c’est dans la première que l’on trouve le moins de ceux qui n’ont pas songé à l’abandonner parce qu’ils y ont du plaisir. Parce qu’il y a plus de femmes que d’hommes, ces résultats rejoignent et confirment ceux que nous avions étudiés lorsque nous avions observé le facteur sexe.

Tableau 116 : Le niveau de diplôme le plus élevé possédé des maîtres qui n’ont jamais pensé à quitter l’enseignement. (Graphique 157, Annexes, tome 2)
diplôme % d’enseignants qui n’ont jamais pensé à quitter l’enseignement
baccalauréat 64 %
D. 1° cycle enseign. sup 62,5 %
D. 2° et 3° cycle 62 %
autre diplôme 57 %
Tableau 117 : Le motif qui explique pourquoi on n’a jamais pensé à quitter l’enseignement en fonction du niveau de diplôme le plus élevé possédé aujourd’hui. (Graphique 157, Annexes, tome 2)
diplôme
motif de ceux qui n’ont jamais pensé à quitter
plaisir à enseigner ne pensent pas n’osent pas
bac 66 % 22 % 12 %
D.U.1°cycle 75 % 18 % 7 %
D.U. 2°cycle 75 % 20 % 5 %
autre D.U. 99 % 0,5 % 0,5 %

La possession d’un diplôme élevé ne semble pas influencer le souhait de ne pas interrompre sa carrière, exception peut-être pour les titulaires d’un autre diplôme universitaire. Mais notre enquête n’a pas précisé à quel type d’autre diplôme nous avons à faire; peut-être sont-ce des diplômes professionnels. Ceux qui, à 57 %, n’ont jamais eu le désir de quitter possèdent tous un plaisir à exercer leur métier.

Est-ce à dire que les titulaires de ce type de diplôme “osent” prévoir abandonner l’enseignement lorsqu’ils en ont des raisons ?

Tableau 118 : La première motivation de départ pour l’enseignement du degré par rapport aux raisons de n’avoir jamais pensé à quitter l’enseignement. (Graphique 158, Annexes, tome 2)
motif de ceux qui n’ont jamais pensé à quitter l’enseignement
motivations de départ
actives matérielles passives
plaisir 67 % 27,5 % 5,5 %
on n’y pense pas 40 % 52 % 8 %
on n’ose pas 60 % 30 % 10 %
Tableau 119 : La première motivation de départ pour l’enseignement du degré des maîtres qui ont pensé à quitter l’enseignement. (Graphique 158, Annexes, tome 2)
  motivations actives motivations matérielles motivations passives
ceux qui ont pensé à quitter l’enseignement 46,5 % 41 % 12,5 %

Ceux qui n’ont jamais envisagé de s'en aller parce qu’ils éprouvent un réel plaisir ont eu, pour 67 %, des motivations actives. La poursuite de cette carrière avec une totale satisfaction serait liée à une entrée dans l’enseignement conséquente à des motivations actives. Le fait de ne pas penser à le quitter parce que l’on ne voit pas ce que l’on ferait d’autre ou n’ose pas décider d’un départ serait à rapprocher davantage d’une accession au métier associée à des motivations d’origine passive ou matérielle. Dans cette même logique, celui qui aurait commencé sa carrière avec des motivations matérielles et passives serait plus qu’un autre sensible au fait de songer à l’arrêter.

Tableau 120 : Le motif qui explique pourquoi on n’a jamais pensé à quitter l’enseignement en fonction de la première motivation de départ pour l’enseignement du degré . (Graphique 158, Annexes, tome 2)
motivations
motif de ceux qui n’ont jamais pensé à quitter l’enseignement
plaisir on n’y pense pas on n’ose pas
actives 80 % 12,5 % 7,5 %
matérielles 61,5 % 31,5 % 7 %
passives 62,5 % 25 % 12,5 %

Parmi ceux qui ont eu des motivations actives avant leur entrée dans le métier et n’ont jamais pensé sérieusement à le quitter, c’est, pour 80 %, parce qu’ils ont un réel plaisir à enseigner. Mais, quand les motivations initiales étaient passives ou matérielles, ce ne sont alors plus que 61,5 % et 62,5 % qui n’ont jamais projeté de partir parce qu’ils éprouvent de la satisfaction à l’exercer.

E Prédictibilité et conséquence de la crise.

Peut-on prédire la crise ?

Y-a-t-il des facteurs de la carrière qui anticipent en quelque sorte un moment de doute sérieux ?

Y a-t-il une relation entre les motivations du début de carrière et une remise en question ?

Ces questions sont difficiles car ces facteurs peuvent être multiples et, parfois, se trouver en dehors de la vie scolaire.

Tableau 121 : La première motivation de départ pour l’enseignement du premier degré des maîtres qui n’ont jamais sérieusement pensé à quitter l’enseignement. (Graphiques 159 A et 159 B, Annexes, tome 2)
pensé à quitter ?
motivations
actives matérielles passives
non ferme 61 % 33 % 6 %
non avec nuance 62 % 31,5 % 6,5 %
oui ferme 48,5 % 40,5 % 11 %
oui avec nuance 46 % 41,5 % 12,5 %
Tableau 122 : Penser sérieusement à quitter ou non l’enseignement en fonction de la première motivation à l’entrée de la carrière. (Graphique 160, Annexes, tome 2)
motivations
pensé à quitter ?
oui ferme + oui avec des nuances non ferme + non avec des nuances
actives 30 % 70 %
matérielles 43 % 57 %
passives 53 % 47 %

La tendance est claire. Les motivations actives empêcheraient des moments de remise en question, alors que les motivations passives les anticipent, mais dans une moindre mesure. Les motivations matérielles sont entre les deux.

Les maîtres qui choisiraient l’enseignement par hasard ou parce que c’était le seul débouché de leurs études ou encore parce qu’après une entrée provisoire il a été trop difficile de changer, ont en quelque sorte pris un certain risque quant à une poursuite harmonieuse de leur carrière.

Ceux qui se sont engagés dans le métier avec des motivations matérielles mais aussi avec de nombreuses incertitudes connaîtraient plus que les autres, au cours de leur carrière, le désir de le quitter. C’est après 7 années d’exercice qu’ils commencent, effectivement, à manifester cette volonté. Ils n’ont, alors, plus d’intéret à le pratiquer, en ont une image négative et ne sont pas satisfaits de leurs revenus. Ils jugent sévèrement leurs rapports professionnels avec les autres enseignants mais aussi avec les parents d’élèves. L’envie de faire autre chose serait la raison principale qui déterminerait un départ. Ce sont les hommes ayant entre 7 et 14 ans d’ancienneté, entrés jeunes avec des motivations actives, qui éprouveraient plus intensément un malaise.

Chez ceux qui rencontrent des moments de doute, ces derniers n’apparaissent qu’en milieu de carrière si le choix de devenir enseignant s’est fait très tôt (dès l’école primaire) et s’ils ont débuté jeunes, avec des motivations initiales intrinsèques. Les femmes, plus que les hommes, seraient soumises à ces phases d’indécision dès les premières années d’exercice. Les maîtres ayant un forte ancienneté, ne les auraient rencontrées qu’au coeur de leur vie professionnelle : ce sont, en effet, des motivations actives qui ont animé l’engagement d’une grande partie d’entre eux. Mais ne pouvons-nous pas également admettre que la pratique du métier, dès son début, correspondait certainement davantage aux représentations qu’ils en avaient ?

Plus de deux hommes sur trois n’ont jamais pensé à s'en aller, essentiellement parce qu’ils ont un évident plaisir à exercer. Proportionnellement, ils sont plus nombreux que les femmes.

C’est parmi les maîtres ayant entre 15 et 25 ans d’ancienneté et portés par des motivations initiales actives que l’on rencontre le plus de ceux qui ont un réel bonheur à enseigner.