7.2- Des tendances hétérogènes d'évolution entre les enseignants et la population française, en ce qui concerne le sens donné au travail.

On ne note pas de différence fondamentale entre sexes en ce qui concerne le sens du travail, mais une accentuation des valeurs d'enrichissement intellectuel et d'utilité sociale chez les femmes.

Il est frappant de constater que, par certains aspects, les jeunes enseignants et les plus âgés ont beaucoup de points communs alors que les premiers s’opposent aux classes d’âge intermédiaire, et même aux jeunes Français.

On observe chez les enseignants âgés de 35 à 49 ans un tassement des valeurs communes du monde enseignant, qui les place en retrait (voire en rupture) de l'ensemble de leurs collègues, et les rapproche de l'ensemble des Français du même âge.

Il existe au sein de la population française une logique d'évolution qui se traduit par une forte corrélation entre l'âge et le sens attribué au travail : les motivations monétaires sont sensiblement plus intenses avant 35 ans qu'après et, globalement, régressent à mesure que l'âge est plus ou moins élevé. De même l'attachement extrême à un travail formateur fléchit-il au-delà de 35 ans (95 % des 21-28 ans, contre 84 % des 50-64 ans estiment important d'exercer un travail formateur).

Dans la population enseignante, cette logique se trouve sensiblement perturbée.

L'attrait pour un travail formateur s'atténue avec l'âge chez elle, tout comme dans l'ensemble de la population française.

Mais cette atténuation s'y exprime de façon contrastée. Alors que, dans la population française, les positions extrêmes fléchissent à mesure que l'âge s'élève, les enseignants les plus âgés sont proportionnellement plus nombreux que leurs cadets à estimer très important qu'un travail soit formateur (65 % contre 61 % en moyenne).

Dans l'ensemble de la population française, la préférence pour un travail d'intérêt général croît avec l'âge, au détriment d’un travail lucratif.

Chez les enseignants, la classe d'âge de 35 à 49 ans se situe en rupture avec cette logique et crée un hiatus avec les plus âgés. Ceux de 35 à 49 ans sont proportionnellement moins nombreux que leurs collègues à opter pour un travail d'utilité sociale.

Le tiers des Français préfèrent un travail lucratif sans grand intérêt à un travail passionnant mal rémunéré. Ce choix est corrélé à l'âge : il est un peu plus fréquent chez les jeunes.

Chez les enseignants, la corrélation s'inverse : la préférence pour un travail rémunérateur est plus forte au-delà de 35 ans, au point de provoquer un net fléchissement de la motivation d'épanouissement chez les 35-49 ans.

Au total, le monde enseignant se montre traversé de clivages d'âge très spécifiques, qui correspondent probablement à différentes périodes de recrutement, et traduisent les différentiels d'ajustement entre l'institution scolaire et la population française au cours de l'histoire récente.

Les enseignants les plus âgés se démarquent de leur génération par l'accentuation des dimensions d'expression et d'épanouissement.

Les plus jeunes se distinguent par une appétence inférieure à celle des Français du même âge pour les dimensions pécuniaires, et une intensification des motivations d'utilité sociale et d'épanouissement.

Les enseignants de 35 à 49 ans rompent partiellement avec les valeurs communes à l'ensemble du monde enseignant, en montrant une relative sensibilité aux motivations économiques.

Il semble qu'après avoir intégré jusqu'à ces dix dernières années des jeunes enseignants possédant des sensibilités au plus près de celles de leur classe d'âge et en rupture avec les mentalités de leurs aînés, l'Education Nationale tende progressivement à se déconnecter de la dynamique d'évolution des sensibilités, au point qu'un divorce s'esquisse entre les jeunes enseignants d'aujourd'hui et leur classe d'âge. Après avoir été un lieu précurseur du changement des mentalités, l'institution scolaire tend à regrouper des personnes un peu en retrait des mouvements majeurs d'évolution.

C'est manifestement chez les hommes que le décalage est le plus flagrant.

Alors que les structures de réponse des femmes enseignantes obéissent à une logique similaire à celles des jeunes Françaises, on observe une véritable distorsion des structures de réponses des enseignants masculins par rapport à celles des jeunes Français.

Ainsi, la proportion de femmes préférant un travail utile pour la collectivité passe de 61 % chez les jeunes Françaises à 77 % chez les enseignantes (+ 16 %), alors que la proportion chez les hommes passe de 39 % à 77 %, soit 38 points de plus.

De la même façon, la proportion de femmes choisissant un travail passionnant mais peu lucratif s'élève de 73 % chez les jeunes Françaises à 84 % chez les enseignantes (+ 11 %), tandis que, chez les hommes, cette proportion croît de 58 % à 80 %, soit + 22 %.

Les filtres les plus sélectifs mis en place par l'Education Nationale (au travers d'une conjonction d'éléments, comme : son image, sa politique salariale, ses orientations éducatives, son personnel actuel,...) opèrent davantage sur la population masculine.

Ce “filtrage” retient prioritairement des hommes très portés à l'expression et à l'épanouissement personnels et peu préoccupés par les aspects matériels de l'existence.

Chez les femmes éprouvant le besoin d’expression et d’épanouissement et également soucieuses de sécurité affective, il s’ajoute l’attrait de l’enseignement.