3- Les motivations passives.

Certains ont arrêté leur choix de carrière professionnelle sans dynamisme particulier pour l’engagement pris, sans agir vraiment de façon énergique, en donnant le sentiment de subir les opportunités que la vie présente et en quelque sorte sans grande détermination et projet pour leur avenir. 8,3 % des répondants font intervenir une motivation passive.

Etudions tout d’abord la motivation que nous avons résumée par “faute de mieux, par élimination” 1,5 % des répondants. Pour certains, cela peut être, au début, un choix négatif. Quand on a une licence ou une maîtrise, on s’engage dans l’enseignement sans vraies réticences mais sans être particulièrement interessé. Pour d’autres, le hasard, le cours des choses font que l’entrée dans le métier est plutôt due au regret des autres professions.

Certains avouent que leurs motivations pour l’enseignement étaient nulles au départ et qu’ils y sont arrivés par hasard : 3,9 %. Il y a encore une autre série pour qui c’était le débouché principal de leurs études : 2,9 %. Ils y sont donc parvenus par une “pente naturelle” en fonction de leurs études et choix antérieurs.

Tableau 129 : La première motivation pour l’enseignement en fonction du dipôme possédé avant l’entrée dans l’établissement. (Graphique 168, Annexes, tome 2)
diplôme
motivations
actives matérielles passives
bac 62 % 27,5 % 10,5 %
D.U. 1°cycle 56 % 36 % 8 %
D.U. 2°,3°cycle 46,5 % 47 % 6,5 %
autre D.U. 47 % 50 % 3 %

Au moment de l’entrée dans le métier, plus le niveau de diplôme est élevé, plus les motivations matérielles sont fortes et, par conséquent, les motivations actives ainsi que passives baissent.

Tableau 130 : La première motivation pour l’enseignement en fonction de l’origine socio-professionnelle. (Graphique 169, Annexes, tome 2)
origine socio-prof.
motivations
actives matérielles passives
agriculteur 61,5 % 38 % 0,5 %
artisans 47,5 % 42 % 10,5 %
chef d’entreprise 57 % 28,5 % 14,5 %
cadre supérieur 50 % 40 % 10 %
enseignant 73 % 23 % 4 %
cadre moyen 52 % 34 % 14 %
ouvrier 56 % 33 % 11 %
employé 65 % 31 % 4 %
autre 20 % 79 % 1 %

Les motivations actives sont très importantes pour les enfants d’enseignants. Par ailleurs, il ne semble pas exister de relation entre origine socio- professionnelle des maîtres et motivation pour entrer dans le métier.

Tableau 131 : La première motivation pour l’enseignement en fonction de l’expérience avant l’enseignement. (Graphique 170, Annexes, tome 2)
expérience
motivations
actives matérielles passives
commerce... 47,5 % 48 % 4,5 %
monde agricole 5 % 90 % 5 %
social, médical... 49 % 50 % 1 %
autre 49,5 % 38 % 12,5 %
études 57 % 33 % 10 %
foyer 33 % 66,5 % 0,5 %
exp. d’enfants 75 % 20 % 5 %

Lorsque les maîtres étaient au foyer avant d’enseigner, c’est essentiellement le cas de femmes, les motivations matérielles sont très importantes. Par ailleurs, ceux qui ont eu une expérience professionnelle avec des enfants ont, eux, au contraire, d’importantes motivations actives.

Tableau 132 : La première motivation pour l’enseignement en fonction du moment du choix de devenir enseignant. (Graphique 171, Annexes, tome 2)
moment du choix
motivations
actives matérielles passives
études primaires 73 % 16 % 11 %
collège 60 % 28,5 % 11,5 %
lycée,entrée univ. 59 % 35,5 % 5,5 %
ét. universitaires 55 % 36 % 9 %
e.professionnelle 40 % 59 % 1 %
ne savent pas 28,5 % 57 % 14,5 %

Plus le moment du choix de devenir enseignant est précoce (école primaire) plus les motivations actives sont importantes. Inversement, les motivations matérielles augmentent proportionnellement à un choix tardif.

Pour ceux qui ont choisi de devenir enseignants à des moments différents de leur vie d’écolier, de collégien, de lycéen ou d’étudiant, nous relevons l’importance des motivations matérielles et passives. Le manque de motivations actives chez certains explique qu’ils aient hésité à s’engager à un moment précis ou ne sachent pas exactement à quel moment s’est fait leur choix. Néanmoins, leur décision d’engagement peut être sûre.

Tableau 133 : La première motivation pour l’enseignement en fonction de l’âge d’entrée dans l’enseignement du premier degré. (Graphique 172, Annexes, tome 2)
âge d’entrée
motivations
actives matérielles passives
18 / 20 ans 57 % 29 % 14 %
21 / 25 ans 62 % 32,5 % 5,5 %
26 / 35 ans 39,5 % 54,5 % 6 %
plus de 35 ans 44 % 45 % 11 %

Chez ceux qui sont entrés jeunes, les motivations actives sont importantes. Pour d’autres qui y sont venus entre 26 et 35 ans, les motivations matérielles augmentent . Cela peut s’expliquer par le fait qu’à cette tranche d’âges les personnes appréhendent peut-être le chômage. Après 35 ans, la peur de celui-ci et les motivations matérielles s’équilibrent avec des motivations actives.

Mais qui sont-ils ceux qui entrent dans le métier après 36 ans ?

Ces maîtres ont déjà eu, à près de 70 % d’entre eux, une expérience professionnelle. 2,5 % seulement ont occupé une activité avec des enfants. 22 % étaient au foyer ; il s’agit ici essentiellement de femmes.

Tableau 134 : Expérience avant l’enseignement en fonction de l’âge d’entrée dans l’enseignement du premier degré. (Graphiques 173, 174, Annexes, tome 2)
expérience
âge d’entrée
18 / 20 ans 21 / 25 ans 26 / 35 ans + 35 ans
commerce, industrie 1,5 % 7 % 27 % 44,5 %
monde agricole 0,5 % 1 % 0,5 % 2,5 %
domaine social 0,5 % 2 % 15,5 % 11 %
autre 2,5 % 11,5 % 30 % 11 %
uniquement études 86 % 63 % 18 % 6,5 %
au foyer 3 % 1 % 3 % 22 %
responsabilité d’enfants 6 % 14,5 % 6 % 2,5 %
Tableau 135 : Moment du choix de devenir enseignant en fonction de l’âge d’entrée dans l’enseignement du premier degré. (Graphiques 175, 176, Annexes, tome 2)
moment du choix
âge d’entrée
18 / 20 ans 21 / 25 ans 26 / 35 ans + 35 ans
études primaires 29 % 14,5 % 6 % 20 %
collège 32,5 % 12,5 % 6 % 2 %
lycée, entrée universitaire 20 % 20,5 % 6 % 11 %
études universitaires 12 % 42,5 % 15,5 % 11 %
suite expér. prof. 0,5 % 7 % 48 % 45 %
ne savent
pas
6 % 3 % 18 % 11 %

Pour les enseignants entrés dans le métier après 26 ans, le moment du choix est tardif, en particulier après une expérience professionnelle.

Ce sont des humanistes, qui aiment les enfants. Ils ont plus de trente ans, possèdent au moins une licence. Ils ont travaillé plusieurs années comme employés de bureau, techniciens, informaticiens, mères de famille, éducateurs, médecins... Ils se sont mariés, ont eu des enfants, ont peut-être divorcé ou voyagé; en somme, ils ont vécu. Ils sont les nouveaux professeurs d’école, apparus à partir de 1989, une espèce inconnue jusqu’en 1986, date à laquelle l’accès au concours d’entrée à l’école normale a changé. Dès 1986, sur l’ensemble des élèves-maîtres d’école normale, un peu moins d’un sur deux seulement y est entré directement en sortant de la faculté. Les autres ont effectué des détours plus ou moins longs, plus ou moins sinueux. Ceux âgés de plus de vingt-cinq ans représentent déjà plus d’un tiers de l’ensemble des reçus au concours. “Minoritaires dans leur classe à l’école normale, ils deviennent vite des leaders, entraînant les plus jeunes, s’adressant facilement aux professeurs” observe Andrée Louvet, chercheuse à l’Institut National de Recherche Pédagogique (1989).

Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de l’Education Nationale et René Monory, son successeur, sont tous les deux les pères de ces nouveaux instituteurs. Le premier a réformé en profondeur l’accès à ce métier en 1986 : désormais, les candidats devraient avoir obtenu le D.E.U.G. ou un diplôme de premier cycle d’études supérieures équivalent. Auparavant, seul le baccalauréat était nécessaire. Le second a dû résoudre un problème complexe, sachant qu’il fallait remplacer quelques 135 000 instituteurs partant à la retraite d’ici l’an 2000. Ainsi, le problème était d’en recruter autant, alors même que le concours était devenu plus difficile. En permettant, en 1987, aux diplômés âgés de trente à quarante ans de se présenter, René Monory a sauvé la situation : la limite d’âge était, jusque là, bloquée à trente ans. Les campagnes d’information pour signaler aux étudiants et aux diplômés les postes à pouvoir, ont, elles aussi, commencé à porter leurs fruits. Le nombre de candidats augmenta et, parmi eux, la proportion de ces élèves-instituteurs plus âgés s’accrut.

Depuis quelques années, les écoles reçoivent ces sujets recrutés après trente-cinq ans. La notion de mobilité professionnelle est si timide dans l’Education Nationale que ces adultes en reconversion bousculent le milieu. Ces enseignants plus âgés se comportent différemment et sont, dans un premier temps, exigeants quant à la formation. Ils revendiquent une part d’autonomie à l’intérieur du système.

Mais qui sont-ils ceux qui viennent embrasser sur le tard la carrière d’enseignant ?

Choisir ce métier à l’âge adulte quand on a des diplômes ou de l’expérience professionnelle, voilà qui surprend dans l’Education Nationale. Les maîtres des écoles lorsqu’ils se trouvent face à des débutants du même âge qu’eux voire plus âgés, sont quelquefois complétement déconcertés. Ces nouveaux maîtres suscitent au mieux de la commisération. Au pire, ils éveillent de la méfiance, tour à tour accusés d’une mentalité trop universitaire et d’un manque d’ambition. En fait, ils sont là parce que l’Education Nationale recrute, et le font savoir, éveillant au passage des envies d’enseigner.

Catherine, quarantre-six ans, est entrée a trente-neuf ans. Elle avait jusque là souhaité privilégier sa vie de famille et ses enfants. “Lorsque le dernier de mes enfants est entré en maternelle, j’ai passé le concours. Mon métier me permet de travailler sans pénaliser les temps de loisir de mes enfants.

Nombreux aussi sont les maris d’institutrices qui découvrent l’enseignement grâce à elles. “J’ai vu les avantages du métier. Il y avait des places au concours, j’ai donc tenté ma chance” explique Loïc, trente-huit ans, ancien photographe.

Parmi ceux qui sont entrés tardivement dans l’enseignement, certains sont arrivés par l’intermédiaire de l’A.N.P.E.. Jean-Michel quarante ans, s’est présenté au concours il y six ans. A l’époque, son épouse attendait un enfant et avait besoin d’un revenu fixe. Après des études de droit, il a été coursier à mobylette, guichetier à la S.N.C.F. et a, par moment, enseigné le piano.

Avec sa maîtrise de géographie, Brigitte, trente-sept ans, a cherché un poste dans la région parisienne, dans des organismes para-publics tels que l’Office National des Forêts. Sans succès. Elle s’est alors tournée vers l’enseignement. Dominique, trente-sept ans, a été éducatrice puis s’est retrouvée sans travail. Elle parle de reconversion alimentaire. Les exemples sont innombrables de ces entrées tardives dictées ouvertement par le besoin de gagner leur vie. A l’évidence, le chômage peut rendre l’enseignement attractif. Les I.U.F.M. accueillent davantage de diplômés en biologie, en lettres, en psychologie (secteurs d’emploi particulièrement fragiles), que d’étudiants en mathématiques, en gestion ou en informatique. Mais l’A.N.P.E. n’explique pas tout, loin de là. Jusqu’à sa réussite au concours, un peu plus d’un admis au concours d’I.U.F.M. sur quatre avait un emploi. Comme Laurent, trente-neuf ans, titulaire depuis trois ans, beaucoup ont souvent souhaité changer de secteur ou de métier.

A regarder de près le parcours de ces enseignants d’un genre nouveau, certaines coïncidences sont trop fréquentes pour ne pas être significatives. Presque tous ont déjà travaillé avec des jeunes ou encore en ont élevé. Dans ces milieux, nourris de Françoise Dolto et de sciences humaines, personne ne croira au hasard. L’enfant est une valeur commune et l’enseignement un engagement déjà bien affirmé.

Marianne, la quarantaine, entrée à l’Ecole Normale de Lyon en 1988, a fait des études d’assistante sociale puis de psychomotricienne et s’est présentée au concours de recrutement d’instituteurs.

Pierre a 35 ans et était psychologue avec des adolescents en échec scolaire. Catherine, mariée, mère de trois enfants a 41 ans et a décidé d’être enseignante dans le premier degré lorsque son troisième enfant est entré au collège. Tous deux ont terminé leur formation à l’I.U.F.M. il y a 2 ans et sont maintenant professeur d’école. Bien d’autres encore leur ressemblent. Pour eux tous, le crédo de la profession est “les enfants d’abord”.

‘“ L’instituteur doit d’abord aider les enfants à voir qu’ils ont des potentialités en eux. Il tient compte non seulement de l’intellectuel mais aussi de tout l’aspect psychologique. Il prépare l’avenir en aidant les enfants à faire des choix.”’

Chez eux, l’approche de l’élève est différente, ils parlent plus volontiers d’enfant. Leurs lectures, leur travail universitaire en sciences humaines ont changé leurs représentations du métier d’enseignant. Il y a aussi une volonté de mettre en pratique des innovations pédagogiques. Rentrés à quarante ans, ils retrouvent dans l’école un univers à leur image, où leurs valeurs sont admises et leurs idées applicables. Leur maturité personnelle, leur expérience professionnelle et leurs diplômes universitaires leur donnent un supplément d’assurance.

Tableau 136 : La première motivation pour l’enseignement en fonction du sexe. (Le tableau 135 correspond au graphique 177, Annexes tome1)
sexe
motivations
actives matérielles passives
masculin 52,5 % 38 % 9,5 %
féminin 57 % 35 % 8 %

Les enseignants masculins ont un peu plus de motivations matérielles et passives que les femmes, dont les motivations actives sont plus fortes.