2- Le mauvais fonctionnement du système éducatif.

Peut-on dans cette perspective s’interroger sur la finalité de l’école aujourd’hui?

Certes non, si l’on veut entrer dans le détail ; probablement oui, si l’on essaie au préalable de représenter quelques-uns des points cardinaux sur lesquels l’enseignement en France est articulé.

Avant tout, il faut nous interroger sur la place de l’école dans la société et sur son fonctionnement.

On lui demande maintenant de répondre à une triple attente : culturelle (on voudrait qu’elle épanouïsse les enfants), professionnelle (on voudrait qu’elle leur donne une formation dans l’optique d’un emploi), sociologique (on souhaite qu’elle sélectionne les enfants si possible). Certaines familles, nous l’avons vu, même si elles sont préoccupées par l’avenir social de leurs enfants, démissionnent au profit de l’école et accordent de lourdes responsabilités au système éducatif. D’autres, quant à elles, s’impliquent de plus en plus. Les enseignants, eux, se retrouvent tiraillés entre de multiples exigences parfois contradictoires. Il est clair que, de l’école primaire à l’enseignement supérieur, s’impose une dimension de l’utilité. L’école distribue les diplômes plus ou moins prestigieux et utiles. Parfois, même quand leur fonction n’est pas précise, leur absence bloque toute perspective.

Par ailleurs, on s’aperçoit que l’école est assaillie par toutes sortes de maux empruntés à la société. L’école n’est plus l’oasis préservée du chômage, de la violence, de l’incertitude, de la perte des valeurs et, dans certains cas, de l’associabilité. Malheureusement, la société a tendance à voir en elle, à tort, le remède à tous ses maux.

Il en résulte un accablement, un étouffement de cette dernière par toutes sortes de responsabilités qu’elle n’a pas à assumer et qui inversent la hiérarchie des missions qui lui incombent. Elle a, en premier lieu, une mission culturelle, puis professionnelle, enfin sociologique. Aujourd’hui, à l’école on s’attacherait, parfois, d’abord à sélectionner les élèves. Les parents raisonnent et spéculent en fonction d’une certaine sélection, les enseignants sont obligés d’y penser également (même dans le premier degré) et d’entrer dans une logique de course aux diplômes. Ensuite, on s’efforce de donner une formation professionnelle convenable. Quant à s’épanouir, éveiller les esprits, former le jugement et ouvrir au monde, cette mission devient très difficile.

Cet inversement tient précisément au fait que, dans notre société, l’école et ce qu’elle produit, à savoir un diplôme, tiennent un rôle beaucoup trop important.

L’école souffre de se voir confier des responsabilités aussi absurdes et démesurées. Il est nécessaire de la remettre à sa place pour qu’elle retrouve son élan et son rôle culturel.

Si l’on attend trop de l’école, on risque d’en obtenir trop peu à l’arrivée, et surtout pas l’essentiel, à savoir une fonction culturelle.

Pour François Dubet, elle est devenue un lieu où s’enchevêtrent de multiples statégies. L’“expérience scolaire” est une construction subjective, dans laquelle chacun attribue un sens à sa scolarité, en fonction des motivations qui lui sont propres. Mais alors, y va-t-on “pour avoir un métier”, comme le suggère Bernard Charlot ? Pour s’instruire ? Pour se constuire en tant qu’individu ?

Les politiques éducatives de ces dernières années peuvent être considérées comme des facteurs d’amélioration de la qualité. En effet, la création des I.U.F.M., la loi d’orientation avec la notion de projet d’école, le travail en équipe et en cycles, le partenariat, l’ouverture sur l’extérieur, la revalorisation des carrières font que le métier change. Les politiques de cette dernière décennie sont centrées sur l’apprenant et liées au projet d’école. Les maîtres du premier degré relèvent leur impact sur le développement “des nouveaux rôles de l’enseignant”. Ils constatent une prise en compte de plus en plus nette des processus d’apprentissage dans la conception actuelle de leur profession. On est bien passé du modèle du “magister” au modèle du “pédagogue”, centré sur l’apprenant. Avec le choix d’un système éducatif de masse, il s’est produit une modification du public scolaire et, à chaque cycle d’apprentissage, les enseignants sont confrontés à des élèves de niveau plus hétérogène, moins préparés aux exigences du second degré, qui ont besoin d’être munis d’outils intellectuels, d’apprendre à apprendre. Cela implique une évolution de leur qualité, car ils deviennent des médiateurs. Or, même s’ils constatent cette évolution, ils ne peuvent pas totalement l’approuver car tous ne s’y sentent pas engagés.

Les politiques mises en place par le ministère sont, dans l’ensemble, jugées négativement, même s’ils pensent qu’elles peuvent effectivement développer la qualité et favoriser en conséquence la réussite des élèves. En réalité, elles ont jusqu’à présent surtout touché des volontaires, car elles demandent toutes un investissement personnel supplémentaire.

D’après notre enquête, 51 %, dans le premier degré considèrent que l’enseignement fonctionne mal aujourd’hui, contre 49 % d’un avis contraire.

En 1980, une étude du Ministère de l’Education Nationale E 5 montrait que ces chiffres étaient respectivement de 70 % et 29 %. Cette montée de la satisfaction peut s’expliquer en partie par des facteurs d’ordre politique, le corps enseignant constituant un traditionnel vivier des partis de gauche.

Ils paraissent plus indulgents à l’égard d’une politique menée, depuis 1981, essentiellement par des gouvernements de gauche : il n’en demeure pas moins que leur jugement est globalement critique. Il est vrai que, malgré les couleurs politiques des différents ministères depuis près de vingt ans il y a une continuité logique entre les réformes et dans leur mise en place.

Les enseignants du primaire paraissent majoritairement plus satisfaits (49 % d’entre eux) que ceux du secondaire (36 %) et du supérieur (38 %) I 6

Toutes les mesures prises par les différents gouvernements dans le domaine éducatif ne bénéficient néanmoins pas systématiquement d’un soutien de la part des maîtres du premier degré. Rappelons, en particulier, le projet des “maîtres-directeurs” de René Monory et celui de la mise en place d’“une Charte pour bâtir l’école du XXI° siècle” de Claude Allègre qui à la suite de grandes manistestations de désapprobation n’ont pu être effectifs.

Tableau 174 : Jugement sur les mesures prises par le Ministère.
  satisfaisante pas satisfaisante indice d’approbation
la réorganisation de l’école primaire en trois cycles 45 % 22 % + 23
la mise en place de projet d’école 52 % 38 % + 14
la relance des Z.E.P. 59 % 23 % + 36
la modification des rythmes scolaires 58 % 34 % + 24
la revalorisation des enseignants 36 % 62 % - 26
La création des I.U.F.M. 46 % 39 % + 7

L’indice d’approbation atteint + 36 points pour la relance des Z.E.P..

L’indice d’approbation est de + 24 points pour la modification des rythmes scolaires, de + 23 points pour la réorganisation de l’école primaire et de + 14 points pour la mise en place de projet d’école. Ces trois mesures reçoivent un soutien plus fort chez les jeunes enseignants: chez les moins de 35 ans, l’indice d’approbation atteint + 32 points pour la première, + 28 points pour la seconde et + 26 points pour la troisième, alors qu’il est respectivement de + 20 points, + 10 points et + 4 points chez les enseignants âgés de plus de 45 ans.

La réorganisation de l’école primaire obtient un soutien plus fort en maternelle (indice d’approbation de + 29 points) qu’à l’école élémentaire (+ 8 points)

Face à un diagnostic général pessimiste, les enseignants reconnaissent toutefois au Ministère de l’Education Nationale sa volonté de faire évoluer le système. Toutes les mesures éducatives mises en place depuis la loi d’orientation de 1989 bénéficient de leur soutien dans le premier degré. Parmi les exigences fondamentales exprimées pour améliorer le fonctionnement de l’éducation, l’une des plus urgentes, à leurs yeux, ne leur paraît cependant pas véritablement mise en oeuvre ou, tout au moins, pas suffisamment : la revalorisation, financière ou qualitative, de leur fonction dans la société. De nombreuses revendications ont eu lieu ces dernières années pour accélérer le passage de tous les instituteurs dans le corps des professeurs d’école.

Malgré les difficultés rencontrées, les maîtres du premier degré éprouvent de la satisfaction à exercer leur métier. Certes, ceux qui y sont entrés avec des motivations actives et sans aucune hésitation ont une vie professionnelle plus sereine. Ceux qui travaillent en milieu rural les conservent davantage. Leurs conditions d’exercice sont peut-être meilleures.

Lorsqu’un enseignant a un fort engagement personnel (cela concerne plus particulièrement le sujet masculin, ayant des responsabilités institutionnelles) sa vie professionnelle peut altérer ses motivations intrinsèques et le conduire, à ne pas rechoisir, s’il le pouvait, le même métier et à en préférer un autre.

Notes
E.

nquête réalisée par la SOFRES pour le Ministère de l’Education Nationale 1991

I.

d.