II.2.2. Relations entre les traits et reconnaissance du visage

Young, Hellawell et Hay (1987) ont utilisé des visages composites construits à partir de la moitié supérieure et de la moitié inférieure du visage de deux personnes célèbres. Les deux parties étaient présentées soit de façon parfaitement alignée, constituant ainsi un nouveau visage "normalement constitué", soit elles étaient décalées (Figure 5). La tâche était de nommer la personne de la partie supérieure. Les participants se trompaient plus souvent et répondaient plus lentement lorsque les deux parties étaient parfaitement alignées. Ils trouvaient aussi la tâche plus difficile, comme si l'alignement des deux parties provoquait l'émergence d'un nouveau visage. Toutefois, cet effet de l'alignement disparaissait lorsque les visages étaient renversés. Young et al. (1987) ont observé le même type d’effet en utilisant des visages inconnus ou en contrastant les traits internes et externes. Endo, Masame et Maruyama (1989) ont répliqué cet effet avec des visages composites schématiques : la partie supérieure ou la partie gauche était reconnue plus lentement lorsqu'elle était alignée avec la partie inférieure ou la partie droite.

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Figure 5 : Illustration de l'effet de l'alignement de deux hémi-faces (adapté de Young et al., 1987).

Le rôle des informations configurales est aussi démontré à travers les études qui portent sur l'effet de supériorité des visages (Davidoff & Donnelly, 1990 ; Davidoff & Landis, 1990 ; Homa, Haver, & Schwartz, 1976 ; Mermelstein, Banks, & Prinzmetal, 1979 ; Van Santen & Jonides, 1978). Par exemple, Homa et al. (1976) ont observé que la perception des différents traits du visage est meilleure lorsqu'ils sont arrangés normalement plutôt que mélangés ou isolés. Ils utilisaient trois types de stimuli schématiques : des visages normaux, des visages aux traits mélangés et des traits isolés. Ils présentaient un de ces stimuli, puis les participants devaient reconnaître un des traits internes (les yeux, le nez ou la bouche) parmi deux possibilités. La reconnaissance d'un trait était meilleure quand il était inséré dans un visage normal au lieu d'être présenté seul ou inséré dans un visage dans lequel les traits étaient mélangés. Une approche similaire a été adoptée par Tanaka et Farah (1993). Ils demandaient à leurs sujets de bien regarder le nez d'une personne dessinée pour pouvoir le reconnaître plus tard. Le nez était soit présenté seul soit à sa position normale dans un visage. La tâche était ensuite de reconnaître ce nez parmi deux possibilités. Il était toujours présenté soit seul, soit dans le cadre du visage. Lorsqu'il était présenté à l'intérieur du visage, le reste du visage était exactement le même pour le nez déjà vu et le nouveau nez. Les participants reconnaissaient mieux le nez s'il était présenté dans un contexte facial plutôt qu'isolément. La mémorisation et la reconnaissance d'un trait facial sont donc fortement dépendantes de la configuration du reste du visage.

Il est donc maintenant clairement établi que la reconnaissance du visage se base principalement sur des informations de type relationnel et configural. Même si la reconnaissance peut s'opérer à partir du traitement componentiel des différentes régions faciales5, l'expertise humaine résulte du traitement de type configural.

Notes
5.

Les recherches qui montrent le rôle prépondérant des informations configurales sur les informations componentielles n'indiquent pas pour autant que ces dernières sont toujours inutilisées. Au contraire, elles permettent de réaliser un certain nombre de tâches, mais en commettant plus d'erreurs et en prenant plus de temps. Elles sont utilisées, en particulier, quand existe un trait remarquable ; grain de beauté, tâche de vin, etc...