IV.2. Régions cérébrales impliquées dans la reconnaissance du visage

IV.2.1. Enregistrement unicellulaire chez le singe

Au début des années 70, Gross et ses collaborateurs (Gross, Rocha-Miranda, & Bender, 1972) ont enregistré des neurones corticaux dans le cortex temporal inférieur (TI) qui répondent lorsqu'un visage est présenté dans le champ visuel du singe. Depuis, de tels neurones, appelés "cellules faciales", ont été enregistrés dans TI et dans le plancher du sulcus temporal supérieur (STS) (Perrett, Rolls, & Caan, 1979), mais aussi dans l'amygdale (Leonard, Rolls, Wilson, & Baylis, 1985 ; Rolls, 1984), le cortex frontal latéral (Pigarev, Rizzolati, & Scandolara, 1979) et le cortex préfrontal inférieur (Wilson, Scalaidhe, & Goldman-Rakic, 1993). Dans le cortex temporal, deux régions semblent particulièrement "riches" en de telles cellules, l'aire TPO du sulcus temporal polysensoriel et les aires TEa et TEm du cortex TI où elles représentent de 10 à 20% des neurones qui répondent aux stimulations visuelles (e. g., Baylis, Rolls, & Leonard, 1987 ; Rolls & Baylis, 1986 ; Yamane, Kaji, & Kawano, 1988)9. Ces cellules sont sensibles au visage sans que sa position dans le champ récepteur affecte leur réponse (C. Bruce, Desimone, & Gross, 1981 ; Desimone, Albright, Gross, & C. Bruce, 1984). De même, elles ne sont pas sensibles aux changements de taille ou de distance (Perrett, Rolls, & Caan, 1982 ; Rolls & Baylis, 1986) ni au filtrage des hautes ou des basses fréquences spatiales (Perrett, Smith, Potter, Mistlin, Head, Milner, & Jeeves, 1984a ; Rolls, Baylis, & Leonard, 1985 ; Rolls & Baylis, 1986). L'altération de la couleur - consistant, par exemple, à présenter le visage à travers un filtre vert ou en noir et blanc - ainsi que le renversement du visage ne provoquent qu'une faible réduction de la réponse (Desimone et al., 1984 ; Perrett et al., 1982, 1984a, 1988 ; Rolls & Baylis, 1986). La latence de décharge est néanmoins plus longue dans ces derniers cas.

La réponse de certaines cellules faciales est modulée par l'identité ; elles répondent plus ou moins fortement selon qu'on leur présente des visages d'individus différents (e. g., Baylis, Rolls, & Leonard, 1985 ; Desimone et al., 1984 ; Hasselmo, Rolls, & Baylis, 1989 ; Kenderick & Baldwin, 1987 ; Perrett et al., 1984a ; Yamane et al., 1988 ; M. Young & Yamane, 1992). On considère donc généralement que ces neurones codent l'identité10. Ces cellules sont principalement localisées dans le cortex TI (e. g., Hasselmo et al., 1989).

Notes
9.

La spécificité de ces cellules n'est pas attestée par le fait qu'elles répondent uniquement au visage, mais parce que la réponse est au moins deux fois plus importante que pour tout autre stimulus présenté (e. g., Rolls & Baylis, 1986).

10.

Nous ne rentrerons pas ici dans le débat entre les partisans d'unités gnostiques ou cellules grand-mère (Konorski, 1967) et les partisans d'un codage distribué de l'identité. Nous noterons uniquement qu'un codage distribué semble le mieux correspondre aux observations qui ont été faites à ce jour (voir Gross, 1992).