I.2.2. Le rôle des traits et de la configuration

Ekman et Friesen (1975, 1978) ont recensé les modifications locales du visage qui apparaissent lors de la contraction musculaire qui accompagne un état émotionnel donné. Ils ont ainsi construit le Facial Action Coding System (FACS, Ekman & Friesen, 1978) qui permet de déterminer l'émotion selon les contractions musculaires visibles d'un visage (pour une approche similaire, voir le système de codage MAX proposé par Izard, 1979). Les différentes émotions peuvent ainsi être reconnues à partir des caractéristiques de certains traits. Par exemple, pour le dégoût, la lèvre supérieure s'élève, provoquant des plissements de la peau au niveau du nez. Pour la peur, les sourcils s'élèvent, les yeux s'écarquillent et la bouche s'ouvre. La colère provoque un abaissement des sourcils entre les yeux et la personne serre les lèvres ou, au contraire, montre les dents. La joie provoque un soulèvement des coins de la bouche alors que la tristesse provoque leur affaissement. Quelques recherches ont aussi porté sur le rôle des parties supérieures et inférieures du visage dans la reconnaissance des différentes expressions émotionnelles (Bassili, 1979 ; Calder, Young, Keane, Dean, 2000). Elles indiquent que la colère et la peur sont mieux reconnues à partir de la partie supérieure, la joie et le dégoût à partir de la partie inférieure et la surprise est aussi bien reconnue dans les deux conditions. Les résultats sont équivoques pour la tristesse : la reconnaissance est meilleure à partir de la partie supérieure dans la recherche de Calder et al. (2000) alors qu'elle est aussi bonne pour les deux régions dans la recherche de Bassili (1979).

Ainsi, on considère que le processus de reconnaissance des différentes expressions faciales émotionnelles est essentiellement déterminé par des modifications locales de certains traits faciaux. Cette description est évidemment de nature componentielle. On peut pourtant se demander quel rôle jouent les relations entre ces différents composants. Cette question a peu été abordée jusqu'ici. Parmi les quelques recherches, Wallbott et Ricci-Bitti (1993) ont demandé d'évaluer l'intensité émotionnelle de visages où ils faisaient varier un seul ou plusieurs traits d'un visage neutre. Ils ont observé que le visage exprime les différentes émotions à travers la variation d'un ensemble de traits (i.e., d'une configuration de traits) plutôt qu'à travers celle d'un seul trait. Par contre, Ellison et Massaro (1997) ont montré qu'il est possible de rendre compte de la reconnaissance d'une expression émotionnelle par la combinaison de variations locales - mais ils ont manipulé deux traits seulement (les sourcils et les coins de la bouche). Un rôle important des informations configurales dans la reconnaissance de l'expression faciale émotionnelle a été mis en évidence par Calder et al. (2000). Ils ont repris une procédure similaire à celle développée par Young et al. (1987) pour la reconnaissance du visage, mais dans une tâche de reconnaissance de l'expression faciale émotionnelle. La moitié supérieure du visage d'une personne exprimant une émotion était présentée avec la moitié inférieure de cette même personne exprimant une autre émotion. Les deux moitiés étaient alignées ou décalées (voir Figure 6). La reconnaissance de l'émotion sur chaque moitié du visage est perturbée lorsqu'elles sont alignées. Cet effet disparaît si les visages sont renversés. Il apparaît donc que les informations configurales jouent un rôle prépondérant dans la reconnaissance de l'expression faciale émotionnelle.

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Figure 6 : Illustration de la technique de visages composites appliquée à l'expression faciale émotionnelle (Adaptée de Calder et al., 2000).