I.2.3. Le rôle du mouvement

L'expression d'une émotion est une activité motrice relativement rapide qui peut se développer en moins d'une seconde. Une expression émotionnelle n'est ainsi quasiment jamais perçue comme une image arrêtée mais, au contraire, comme un phénomène dynamique. Quel est donc le rôle du mouvement dans la perception et la reconnaissance de l'expression émotionnelle ?

Afin de pouvoir étudier le rôle du mouvement en minimisant les informations sur l'aspect du visage, plusieurs auteurs ont utilisé la technique des points lumineux développée par Johansson (1973). Cette technique consiste à placer plusieurs points lumineux sur les articulations d'acteurs qui sont ensuite filmés dans le noir en train d'effectuer certains types de mouvements. On présente le film a des sujets qui ne voient alors que des points lumineux en mouvement. On a pu ainsi montrer que les sujets parviennent bien à reconnaître les types de mouvements effectués (Johansson, 1973), mais aussi le genre et même l'identité des personnes, et ceci simplement à partir du pattern de déplacement de ces points (Cutting & Kozlowski, 1977 ; Kozlowski & Cutting, 1977). Bassili (1978, 1979), puis Bruce et Valentine (1988) ont adapté cette technique aux visages en plaçant des points lumineux sur les visages d'acteurs auxquels ils demandaient d'exprimer différentes émotions. Ils ont observé que les participants parviennent très correctement à reconnaître les expressions faciales simplement à partir du pattern de déplacement des points. Le mouvement à lui seul est donc suffisant pour permettre la reconnaissance des expressions faciales émotionnelles.

La question est maintenant de savoir comment sont combinées les informations statiques et celles de mouvement. Humphreys, Donnelly et Riddoch (1993) ont rapporté le cas d’un patient prosopagnosique, H. J. A., qui est incapable de reconnaître les expressions faciales à partir d’images statiques. Il arrive cependant à identifier correctement les expressions quand elles sont produites sous ses yeux par l’expérimentateur - donc, avec des informations de mouvement - ou même à partir du déplacement de points lumineux. Il s’agit d’un cas de dissociation entre un processus impliqué dans la reconnaissance d’expressions faciales statiques et un autre processus impliqué, lui, dans la reconnaissance d’expressions faciales dynamiques. Ce patient présente le même type de dissociation pour la lecture labiale selon que les images sont en mouvement ou statiques (Campbell, 1992).

La distinction entre une voie statique et une voie dynamique dans le traitement de l’expression faciale concorde avec les données physiologiques qui montrent des systèmes fonctionnels séparés pour le traitement des formes en mouvement et celui des formes statiques (Desimone & Ungerleider, 1989). Les données de Humphreys et al. (1993) favorisent d'ailleurs un modèle où les expressions sont catégorisées séparément dans des canaux sensibles au mouvement et aux formes statiques. Les sorties de ces canaux seraient alors combinées à un niveau supérieur dans un système "d’évaluation sociale" (selon leurs propres termes).