I.2.4. La discriminabilité des expressions faciales émotionnelles : La supériorité du sourire

Certaines expressions sont facilement discriminées l’une de l’autre, mais d’autres sont souvent confondues. La joie notamment est facilement distinguée de toutes les autres expressions. La colère se distingue bien de la peur, mais elle est souvent confondue avec le dégoût. De même, la surprise et la peur sont souvent confondues (e. g., Ekman, Friesen, & Ellsworth, 1982).

Il existe aussi de nombreuses données qui montrent que les différentes émotions ne sont pas toutes aussi faciles à reconnaître. Là encore, la joie apparaît être l’émotion la plus facilement et la plus souvent identifiée (e. g., Calder et al., 2000). Cette supériorité de la joie est aussi rapportée lors d’études de patients présentant des troubles neurologiques ou psychiatriques (e. g., Adolphs, H. Damasio, Tranel, & A. Damasio, 1996 ; Archer, Hay, & Young, 1992, 1994 ; Bowers, Bauer, Coslett, & Heilman, 1985 ; Braun, Baribeau, Ethier, Daigneault, & Proulx, 1988 ; Braun, Denault, Cohen, et Rouleau, 1994). Par exemple, Archer et al. (1992) ont observé que la joie est plus facilement reconnue que la colère, le dégoût ou la surprise par des sujets sains et des patients schizophrènes ou dépressifs. Par ailleurs, ces patients ont des problèmes par rapport aux participants sains pour toutes les expressions ... sauf pour la joie (pour une observation similaire avec des patients lésés, voir Adolphs et al., 1996). La supériorité du sourire sur les autres expressions faciales émotionnelles peut s'expliquer pour plusieurs raisons. D'abord, on peut noter que c'est la seule émotion positive, les autres étant toutes négatives. Ensuite, Ekman, Friesen et Ellsworth (1972) ont noté que la joie et l'expression émotionnelle la plus fréquemment manifestée dans de nombreuses cultures.

Il reste aussi quelques questions en suspens concernant certaines expressions faciales émotionnelles. Notamment, le statut de la neutralité n’est pas clairement défini. Bien que n’étant pas l’expression d’un état émotionnel, on peut se demander s’il s’agit simplement d’une absence ou d'un faible degré d’émotion. Dans leur étude sur le traitement catégoriel de l'expression faciale émotionnelle, Etcoff et Magee (1992) ont observé que la neutralité se "comporte" comme une catégorie par rapport aux émotions de joie et de tristesse. La surprise, elle aussi, a un statut particulier. Etcoff et Magee (1992) n'ont pas trouvé d’effet catégoriel entre la surprise et la joie ou la peur. Selon eux, cette observation est en accord avec deux constats : 1) le manque de preuves en faveur d'une dénomination universelle des expressions de surprise ; 2) certains arguments semblent montrer que la surprise n'est pas une émotion comme les autres. Elle serait un état cognitif qui se combine avec de véritables émotions comme la joie et la peur (voir Oatley & Johnson-Laird, 1987). Lazarus (1991) a d’ailleurs décrit la surprise comme une "pré-émotion".