I.4. L'imagerie cérébrale ... à la rescousse ?

Si l'on compare les observations neuropsychologiques ou les images cérébrales associées à la reconnaissance des visages et au traitement de l'expression faciale émotionnelle, on s'aperçoit que, bien souvent, des structures cérébrales distinctes semblent sous-tendre le traitement de ces deux types d'information. La reconnaissance du visage est généralement altérée quand des lésions concernent le cortex temporal inférieur (e. g., A. Damasio et al., 1982 ; Meadows, 1974). L'imagerie cérébrale de participants sains a confirmé et précisé cette localisation ; le gyrus fusiforme est apparemment spécifiquement activé par le visage et plus particulièrement par son identité. Le traitement de l'expression faciale émotionnelle implique une région temporale plus latérale, le sulcus temporal supérieur, ainsi que l'amygdale, l'insula et le système limbique (pour une revue, voir Haxby et al., 2000).

Plusieurs études se sont intéressées conjointement aux bases neuronales des deux types d'information (Dolan et al., 1996 ; Fried et al., 1982 ; Sergent, Shinsuke, MacDonald, & Zuck, 1994). Elles ont d'abord indiqué une implication de régions cérébrales distinctes dans la reconnaissance des visages et le traitement de l'expression faciale (Fried et al., 1982 ; Sergent et al., 1994). Par exemple, la stimulation électrique de certaines régions cérébrales chez des patients épileptiques peut altérer la reconnaissance des visages ou celle des expressions, mais ces régions sont distinctes et ne se recouvrent pas (Fried et al., 1982). Lors d'une étude utilisant le PET-scan, Sergent et al. (1994) ont observé que des aires cérébrales distinctes participent au traitement de l'identité et au traitement de l'expression faciale. Dans une tâche impliquant la reconnaissance du visage, ils ont observé une activation du gyrus lingual droit (aire 18), du gyrus fusiforme droit (aire 37) et du gyrus para-hippocampique droit (aire 36). Lorsque la tâche impliquait le traitement de l'expression faciale, l'activation concernait le gyrus occipital moyen droit (aire 19) et le gyrus cingulaire droit et gauche (aire 23). Notons que ces deux tâches ont été comparées à une tâche de discrimination de sinusoïdes horizontales et verticales.

Les données obtenues à partir des études d’imagerie cérébrale ne vont cependant pas toujours dans le sens d’une stricte modularité ou indépendance des deux processus. Sergent et al. (1994), par exemple, ont fait la remarque que la stricte modularité des deux processus implique que si l'on soustrait l'activation d'un processus à celle de l'autre processus, l'image résultante devrait montrer les régions activées dans les deux processus. Ce n’est pas ce qu’ils ont observé. Lorsqu’ils soustrayaient l’activation pour l’expression de celle pour l’identité, l’activation du gyrus lingual droit disparaissait. De même, soustraire l’activation pour l’identité de celle pour l’expression entraînait la disparition de l’activation du gyrus occipital moyen droit. Sergent et al. (1994) ont donc suggéré que ces deux régions sont impliquées dans le traitement des deux informations, mais à des degrés divers. De ce fait, leur activation ne serait pas suffisante pour apparaître dans la tâche où elles sont le moins impliquées, mais elle serait suffisante pour faire disparaître l’activation résultant de l’autre tâche.

Dolan et al. (1996) ont quant à eux manipulé l’expression du visage lors d’une tâche d’appariement d’identité faciale. Les sujets devaient retenir en mémoire un visage pendant 45 secondes - intervalle pendant lequel l’évolution du flux sanguin cérébral est enregistrée - puis ils devaient le reconnaître parmi deux visages ayant une pose différente. Le visage maintenu en mémoire pouvait être souriant ou neutre. En considérant ensemble les conditions neutres et souriantes, ils ont observé une activation des gyri frontaux inférieurs droit et gauche (A47), du gyrus cingulaire antérieur gauche (A32) et du gyrus fusiforme droit (A20). Lorsqu’ils ont étudié l’activation des visages souriants par rapport à la condition contrôle, ils ont observé exactement le même pattern d’activation. Par contre, les visages neutres comparés à la condition contrôle ne donnaient lieu à une activation significative que dans le lobule pariétal inférieur gauche (A40). De plus, la comparaison des visages souriants et des visages neutres a révélé que l’activation des premiers est plus importante dans le gyrus frontal inférieur gauche (A47), dans le cortex cingulaire antérieur gauche (A32) et, surtout, dans le gyrus fusiforme droit (A20). Une nouvelle zone d’activation apparaissait aussi dans le thalamus. Dolan et al. (1996) en ont conclu : "the virtually identical pattern of neuronal response in the combined faces condition compared to that of the emotional faces condition alone implies that emotional salience is an important determinant of the magnitude of the associated neuronal responses" (p. 196). Leurs résultats suggèrent une implication des régions décrites plus haut dans d'autres processus que le traitement de l'identité perse. Une hypothèse plausible consiste à considérer que le sourire est un signal attentionnel. L'observation de l'activation du cortex cingulaire est favorable à cette hypothèse et peut expliquer l'absence d'activation des régions fusiforme et cingulaire dans la condition non émotionnelle. Ces auteurs ont conclu que leurs résultats démontrent que les systèmes neuronaux traitant l'identité et l'expression faciale sont séparés, mais avec des recouvrements. Les régions se recouvrant sont dans le gyrus fusiforme droit alors que les régions séparées impliquent le cortex pré-frontal ventral.