II. Reconnaissance du visage et catégorisation du genre

Comme nous l'avons vu au début de ce chapitre, la relation entre le processus de catégorisation du genre et le processus de reconnaissance du visage a suscité des modèles contradictoires. Bruce et Young (1986) considèrent que les deux processus sont parallèles et indépendants. Avant eux, Hay et Young (1982) avaient proposé qu'ils opèrent dans des sous-systèmes distincts, tout en proposant une connexion avec les URVs, suggérant ainsi que la catégorisation ou tout autre traitement visuel réalisé sur le visage puisse influencer l'activation de ces unités. H. Ellis (1986) a proposé une conception bien différente : selon lui, la reconnaissance d'un visage implique des processus de catégorisation de plus en plus fins, débutant avec la simple décision que le stimulus est un visage et s'achevant par la décision que ce visage est celui de telle ou telle personne. Avant d'arriver à ce stade ultime d'identification, des catégorisations de complexité intermédiaire sont réalisées et, en particulier, la catégorisation du genre.

La relation entre la catégorisation du genre et la reconnaissance du visage est une question particulièrement ardue. Pour l'expression et l'identité, il est clair que ces deux informations doivent être dissociées pour être spécifiquement traitées de façon correcte. Ce n'est pas aussi évident pour le genre et l'identité. La "logique" voudrait que ces deux dernières informations soient particulièrement liées puisqu'elles ne sont quasiment jamais dissociées dans notre environnement : une personne donnée est d'un genre donné ... et n'en change que très rarement. On comprendrait mal pourquoi le système cognitif écarterait une information qui peut l'aider à identifier la personne. On le comprendrait d'autant moins que la catégorisation du genre est un processus plus rapide que l'identification (Bruyer et al., 1993 ; Sergent, 1986a). Par exemple, Sergent (1986a) a rapporté que le genre de visages familiers est catégorisé plus rapidement (490 ms en vision centrale) que la profession n'est retrouvée (577 ms) ou que la personne n'est dénommée (696 ms). L'accès au genre demande donc, en moyenne, 87 ms de moins que l'accès aux informations sémantiques et 119 ms de moins que la dénomination en vision centrale. Le genre a donc la possibilité temporelle d'influencer ces deux derniers processus. Nous allons cependant voir que la tendance actuelle considère les deux processus comme parallèles et indépendants.