II. Conclusions

La manipulation des fréquences spatiales mène à des conclusions similaires à celles faites en manipulant les caractéristiques faciales (Chapitre 4) : de la même manière qu'il existe un recouvrement de caractéristiques faciales, il existe aussi un recouvrement des gammes de fréquences spatiales qui permettent le mieux de reconnaître les différentes informations du visage. Au niveau fréquentiel, les fréquences oscillant de 1,20 à 6 cy/° sont celles qui permettent le mieux de discriminer toute information sur le visage, celles oscillant de 1,20 à 3 cy/° permettant de la traiter le plus rapidement. Cette observation confirme ce qui a déjà été observé pour la reconnaissance du visage et le généralise à d'autres informations telles que le genre et l'expression faciale émotionnelle. Les autres gammes de fréquences peuvent néanmoins permettre la reconnaissance de l'information faciale, mais leur efficience dépend, cette fois ci, de l'information en question. Le genre peut être correctement catégorisé à travers l'ensemble des fréquences visibles. Ceci est très probablement lié à la grande diversité des caractéristiques du visage qui peuvent servir de base à une catégorisation correcte. On peut d'ailleurs noter que ces caractéristiques sont représentées dans l'ensemble des gammes de fréquences. Certaines indices, tels que le volume ou le style de coiffure ainsi que la forme globale du visage, sont perceptibles dans des gammes de fréquence très basses. D'autres, au contraire, ne peuvent être perçus avec précision que sur la base de hautes fréquences spatiales. C'est le cas, par exemple, de la distance entre le sourcil et l'oeil. L'étendue des fréquences permettant de réaliser correctement la tâche de catégorisation du genre peut donc refléter la diversité des indices pertinents. De même, pour l'appariement d'identité, l'ensemble des gammes de fréquence permet de réaliser correctement la tâche, même si le niveau de discriminabilité obtenu pour les fréquences de 1,20 à 6 cy/° est plus élevé. Il apparaît donc, ici aussi, que les autres gammes de fréquences apportent des informations susceptibles de permettre un appariement correct. Pour l'expression faciale émotionnelle, la discriminabilité pour les fréquences autres que celles oscillant entre 1,2 et 6 cy/° chute fortement, avec néanmoins un niveau intermédiaire pour celles qui s'étendent de 0,70 à 1,20 cy/° (bande 3). L'émotion du visage ne peut donc être bien discriminée qu'à travers un nombre plus restreint de fréquences. Les faibles variations de la forme du visage lors de l'expression d'un état émotionnel, ainsi que l'absence massive d'indices émotionnels apportés par la chevelure, expliquent très certainement que les plus basses fréquences donnent lieu à des performances très faibles.

Il est possible d'esquisser un parallèle entre les observations que nous venons de rapporter et celles relatées lors du Chapitre 4. Le fait que la reconnaissance d'une information soit meilleure dans une gamme de fréquences indique que c'est dans cette gamme que sont représentées les caractéristiques du visage qui permettent de reconnaître cette information. Ainsi, on peut suggérer que les informations configurales sont représentées dans des gammes de fréquences oscillant entre 1,20 et 6 cy/°. On peut aussi suggérer que les informations de surface sont représentées dans des gammes de fréquences jusqu'à 1,20 cy/°.

Enfin, le fait que la familiarité améliore la discriminabilité de l'information du visage pour des fréquences oscillant de 6 à 11 cy/°, qu'il s'agisse du genre, de l'expression faciale émotionnelle ou de l'identité, est un résultat "surprenant". Cette observation n'est pas en accord avec l'hypothèse d'indépendance entre la reconnaissance du visage et la catégorisation du genre ou le traitement de l'expression faciale émotionnelle (e. g., Bruce & Young, 1986). Selon cette hypothèse, seule la discriminabilité de l'identité aurait dû être affectée. Nous aurons l'occasion de revenir sur cette question.

Nous avons jusqu'ici présenté des recherches qui tentent de déterminer, d'une manière essentiellement descriptive, les caractéristiques du visage et les bandes de fréquences qui permettent d'extraire certaines informations faciales. Certaines résultats sont troublants, du moins si on se place dans le cadre théorique de l'hypothèse d'indépendance des processus sous-jacents. Tout d'abord, les différentes manipulations que nous avons effectuées pour perturber ces processus ont quasiment un impact d'amplitude similaire quelle que soit l'information faciale. De plus, la familiarité du visage favorise la discriminabilité de l'information faciale pour certaines fréquences spatiales, là encore quelle qu'elle soit. Ce dernier effet est attendu lorsque la tâche porte sur l'identité, et il a déjà été observé (e. g., Bruce, 1982 ; Campbell et al., 1996 ; Young et al., 1986b). Mais il n'est pas attendu lorsqu'elle porte sur une autre information. La familiarité résulte d'un processus d'identification du visage qui est supposé modulaire et, donc, indépendant des processus chargés d'accéder à d'autres informations faciales comme le genre ou l'expression (cf. Bruce & Young, 1986). Or, nos résultats indiquent que la familiarité favorise la discriminabilité de l'information faciale quelle qu'en soit la nature. Dans les chapitres qui suivent, nous allons donc étudier plus précisément cette hypothèse d'indépendance et les solutions alternatives qui peuvent lui être opposées.