I.2.2. Discriminabilité A' et critère de décision B'' : ....

nous avons calculé les indices de discriminabilité A' et de critère de décision B'' de la théorie de la détection du signal. La tâche étant de dire si le visage est familier ou non, la condition de signal correspond aux conditions ou les visages sont familiers, le bruit correspondant aux conditions où les visages sont inconnus. Une analyse de variance (2 x 2 x 2) a été appliquée sur A' et B''. Les variables analysées sont le temps de présentation (15 ms vs. 1000 ms) et l'expression (neutre vs. souriant). La première variable est une variable inter-sujets alors que la secondes est une variable intra-sujets. Les moyennes et écart types par conditions sont présentés dans le Tableau 9.

Tableau 9 : Discriminabilité (A') et critère de décision (B'') moyens selon la familiarité et l'expression des visages lors d'une tâche de décision de familiarité.
Discriminabilité Critère de décision
Expression : Neutre Souriant Neutre Souriant
15 ms : 0,73 (0,09) 0,70 (0,14) 0,16 (0,26) 0,07 (0,27)
1000 ms : 0,93 (0,04) 0,92 (0,07) 0,14 (0,72) 0,07 (0,58)
( ) : écart-type

Le temps de présentation a un effet significatif sur A', la discriminabilité de la familiarité étant meilleure lorsque les visages étaient présentés pendant 1000 ms plutôt que 15 (0,92 vs. 0,71 ; F (1, 46) = 78.35, p<.0001). L'expression a aussi un effet significatif sur A' : la discriminabilité de la familiarité des visages neutres est meilleure que celle des visages souriants (0,83 vs. 0,81 ; F (1, 46) = 4.29, p<.05). Ces deux facteurs n'interagissent pas sur A'. Aucun effet n'est significatif pour B''.

Les résultats de cette expérience indiquent que la décision de familiarité est influencée par l'expression émotionnelle : un visage inconnu souriant est jugé plus souvent familier - de manière erronée - que le visage de la même personne, mais avec une expression neutre. Pour les visages familiers (i.e., célèbres), l'influence du sourire n'émerge pas. Une explication possible de cette dernière observation peut tenir à la nature de la décision et au temps de traitement des visages célèbres. Comme l'indiquent nos résultats, une décision de familiarité est fournie plus rapidement qu'une décision de non-familiarité29. Il apparaît donc qu'une décision de familiarité est rendue dès que le système dispose de suffisamment d'informations pour conclure à la familiarité, alors qu'une décision de non-familiarité n'est rendue que lorsque le système a suffisamment traité le visage pour conclure qu'il n'y a aucune information de familiarité. Dans ce dernier cas, la conclusion est rendue moins rapidement. On peut donc suggérer qu'aucun effet du sourire n'est observé pour les visages célèbres car la rapidité de la décision les concernant ne laisse pas le temps au système de décision d'intégrer la présence d'un sourire. Dans le cas contraire, lorsque le visage est inconnu, un processus de recherche d'informations susceptibles d'augmenter la familiarité intervient. Si ce processus échoue, le visage est jugé non familier. A ce niveau, le sourire peut être faussement pris pour une indication de familiarité. L'observation d'un effet de l'expression au niveau de la discriminabilité seule éclaire les modalités d'influence du sourire : il rend la familiarité moins discriminable.

Contrairement à notre attente, l'effet de l'expression ne dépend pas du temps de présentation : le biais du sourire pour les visages inconnus n'interagit pas avec le temps dont disposent les sujets pour explorer le visage. Loin de discréditer nos hypothèses, ce résultat indique que l'effet de l'expression ne se manifeste pas uniquement dans des conditions difficiles (i.e., présentation de 15 ms).

Comme nous l'avons souligné, l'absence de biais du sourire pour les visages familiers n'indique pas forcement que le traitement de ce type de visage s'opère indépendamment de l'expression émotionnelle. Cette absence de biais pourrait plutôt tenir à la nature de la tâche : demander simplement aux participants de fournir une décision binaire de type "oui/non" revient à lui demander de répondre dès qu'il juge que le visage est familier. La décision peut donc être fournie dès qu'il dispose de suffisamment d'information. Le biais du sourire a alors un effet négligeable, qui n'apparaît pas statistiquement et qui, de plus, va dans le sens de la décision finale qui est que le visage est familier. On peut néanmoins se demander si l'intensité de la familiarité des visages célèbres n'est pas plus forte lorsqu'ils sourient. Pour tester cette hypothèse, une seconde expérience a été réalisée, sur le même modèle que la première mais en demandant aux participants de moduler leur décision de familiarité. Un biais du sourire devrait se manifester par un sentiment de familiarité plus fort pour les visages souriants, qu'ils soient inconnus ou célèbres.

Notes
29.

La même observation est fréquemment rapportée dans la littérature (voir, par exemple, Young et al., 1986b).