IV.2. Résultats

Une analyse de variance (2 x 2) a été appliquée à la latence des rejets corrects des distracteurs. Le pourcentage de rejets corrects n'est pas présenté en raison de l'observation d'un effet plafond : les participants avaient des performances quasi-parfaites (99,65% de rejets corrects). Les variables analysées sont le genre de la personne recherchée (femme vs. homme) et le genre des distracteurs (femmes vs. hommes). Ces deux variables sont intra-sujets. Les moyennes et écart-types par condition sont présentés dans le Tableau 11. Pour information, les femmes célèbres recherchées ont été correctement reconnues dans 90,6% des cas avec une latence moyenne de 612 ms alors que les hommes ont été correctement reconnus dans 95,5% des cas avec une latence moyenne de 586 ms. La différence n'est pas significative au niveau de la latence mais, au niveau du pourcentage, les femmes célèbres ont été moins souvent reconnues que les hommes célèbres (F (1, 15) = 6.78, p<.05).

Tableau 11 : Latence des rejets corrects (ms) des distracteurs selon leur genre et le genre de la personne recherchée.
Personne recherchée : Femme Homme
Distracteurs : Femmes Hommes Femmes Hommes
Moyenne
(écart-type)
527
(75)
480
(59)
500
(63)
526
(66)

Le genre de la personne recherchée n'a pas d'effet significatif. Par contre, le genre des distracteurs a un effet significatif : les hommes étaient rejetés plus rapidement que les femmes (498 ms vs. 512 ms ; F (1, 15) = 4.94, p<.05). De plus, l'interaction entre ces deux facteurs est significative (F (1, 15) = 44.99, p<.0001) : alors que les distracteurs féminins étaient rejetés plus vite lorsque les participants recherchaient un homme plutôt qu'une femme (500 ms vs. 527 ms ; F (1, 15) = 8.02, p<.02), les distracteurs masculins étaient, eux, rejetés plus rapidement lorsque les participants cherchaient une femme plutôt qu'un homme (480 ms vs. 526 ms ; F (1, 15) = 34.44, p<.0001). De ce fait, les distracteurs masculins ont été rejetés plus rapidement que les distracteurs féminins lorsque la personne recherchée était une femme (480 ms vs. 527 ms ; F (1, 15) = 48.42, p<.0001) alors que ce sont les distracteurs féminins qui étaient rejetés le plus rapidement lorsque la personne recherchée était un homme (500 ms vs. 526 ms ; F (1, 15) = 11.33, p<.01).

Afin d'étudier l'association entre le temps de rejet et la féminité/masculinité des distracteurs, nous avons calculé le coefficient de corrélation de Bravais-Pearson entre le temps mis pour les rejeter et le temps mis pour catégoriser correctement leur genre. Donc, pour chaque distracteur, nous avons retenu son temps moyen de rejet et nous l'avons comparé à son temps moyen de catégorisation. Dans un premier temps, le coefficient de corrélation est calculé sans tenir compte du genre de la personne recherchée. Dans un second temps, nous distinguons le temps de rejet selon que le distracteur a ou non le même genre de la cible. Aucune de ces corrélations n'est significative (voir Tableau 12). Pour information, nous avons calculé les coefficients de corrélation en ne considérant que les visages dont le genre est le plus saillant (i.e., pourcentages de catégorisation les plus élevés ou latences les plus courtes). Ces coefficients ne sont pas significatifs que l'on considère les 80, 40 ou 20 distracteurs dont le genre est le plus saillant.

Tableau 12 : Coefficients de corrélation de Bravais-Pearson (R) entre la latence des rejets corrects et le pourcentage ou la latence des catégorisations correctes du genre en fonction du genre de la personne recherchée et des distracteurs.
Latence des rejets corrects
Genre des distracteurs par rapport à la personne recherchée Même
genre
Genre
différent
Ensemble
Pourcentage de catégorisation correctes 01 -.07 -.04
Latence des catégorisation correctes -.01 04 01

Une autre approche a été utilisée pour étudier l'effet du genre en fonction de la féminité/masculinité des distracteurs. Les distracteurs ont été ordonnés selon la typicité de leur genre. L'ordre est d'abord déterminé à partir du pourcentage moyen de catégorisation correcte du genre. Ceux qui ont le même pourcentage sont ensuite ordonnés selon leur latence moyenne de catégorisation correcte. Quatre groupes sont créés selon les performances de catégorisation. Le premier rassemble les 40 visages dont le genre est le moins bien reconnu et le quatrième les 40 visages dont le genre est le mieux et le plus rapidement reconnu. Les deuxième et troisième groupes rassemblent des visages pour lesquels les performances de catégorisation sont intermédiaires. La taille de l'effet du genre est ensuite déterminée pour chaque distracteur en soustrayant son temps de rejet moyen lorsqu'il n'a pas le même genre que la personne recherchée de son temps de rejet moyen lorsqu'il a le même genre. Cette opération indique le gain éventuel de temps de rejet lorsque le genre de la personne recherchée est différent. La taille moyenne de l'effet du genre pour chaque groupe de distracteurs est rapportée dans le Tableau 13. Pour déterminer si cette taille est significative, nous avons réalisé une analyse de variance pour chaque groupe avec un seul facteur, le genre de la cible (même genre que le distracteur, genre différent). L'analyse révèle que l'effet du genre n'est pas significatif pour les distracteurs dont le genre est le moins bien reconnu, i.e. le groupe 1 mais il l'est pour les deuxième (F (1, 39) = 6.44, p<.05), troisième (F (1, 39) = 9.10, p<.01) et quatrième groupes (F (1, 39) = 8.70, p<.01).

Tableau 13 : Taille de l'effet du genre (en ms) selon la typicité du genre des distracteurs.
Groupes groupe 1 groupe 2 groupe 3 groupe 4
Pourcentage moyen de catégorisation correcte du genre : 82,97 96,72 100 100
Latence moyenne (ms) des catégorisations correctes du genre : 625 549 532 500
Taille de l'effet du genre (ms) :
(écart-type)
8
(38)
19 *
(53)
21 **
(43)
21 **
(45)
* p< ;.05, ** p< ;.01

Les résultats de cette expérience indiquent nettement que le genre influence le rejet des distracteurs. Les participants qui doivent reconnaître une personne donnée (cible) pré-activent la représentation mnésique du visage de cette personne. L'ensemble des stimuli présentés est alors comparé à cette représentation et le système cognitif produit une décision d'appariement (i.e., de reconnaissance) ou non. Lors de la comparaison d'un visage cible à un distracteur, une différence de genre accélère la décision de rejet. Malgré cela, il n'y a pas de corrélation "linéaire" entre le temps de catégorisation du genre et le temps de rejet. Cette observation est en accord avec les résultats de Bruce et al. (1987) qui n'observent pas de corrélation entre la masculinité des visages et les décisions de familiarité. Néanmoins, lorsque les visages sont regroupés selon la typicité de leur genre, on observe que ceux dont le genre est le moins marqué ne suscitent pas un temps de rejet plus court quand ils n'ont pas le même genre que la personne recherchée. Au contraire, les visages dont le genre est plus facilement et rapidement reconnu donnent lieu à un tel effet du genre.

Le fait de ne pas trouver de relation linéaire entre le temps de rejet et la typicité du genre des visages n'est pas si surprenant. Une telle relation serait attendue dans le cas où le genre serait activé avant la reconnaissance du visage et lui serait nécessaire ou, encore, dans le cas où il serait la seule dimension qui permette la reconnaissance du visage. Il n'y a pas de raison de le penser. On sait déjà que le genre n'entretient pas de relation sérielle avec la reconnaissance. De plus, dans le cas où le genre serait une dimension de la reconnaissance d'un visage, il ne serait certainement pas la seule. D'autres dimensions ont déjà été mentionnées dans la littérature comme, par exemple, la distinctivité du visage. On sait, notamment, qu'un visage distinctif est plus facilement rejeté qu'un visage typique quand il ne correspond pas à une personne connue. Dans notre tâche, un visage donné peut donc être rapidement rejeté pour au moins deux raisons : parce qu'il est distinctif ou parce qu'il a un genre très marqué qui ne correspond pas à la personne cherchée. Plusieurs événements peuvent alors se produire. Tout d'abord, un visage dont le genre est marqué peut aussi être très distinctif. Cette distinctivité fera qu'il sera rejeté rapidement sans qu'un effet de genre ne puisse se manifester. Au contraire, un visage dont le genre est moins marqué peut ne pas être du tout distinctif. Dans ce cas, l'effet du genre pourra prendre le dessus alors même que le genre est relativement long à déterminer. On comprend, dans ces conditions, qu'aucune relation linéaire ne soit mise à jour. Par contre, regrouper les visages selon la typicité de leur genre permet d'atténuer les variations des autres dimensions. On peut penser que la répartition des visages distinctifs vs. non distinctifs dans les différents groupes est équivalente. Cette procédure, comme nous l'avons vu, permet de mettre en évidence que l'effet du genre sur le rejet des distracteurs est bien lié de la typicité de leur genre.

Les résultats que nous venons de rapporter ne permettent cependant pas d'établir avec certitude que l'effet du genre résulte effectivement de la catégorisation préalable du visage en femme vs. homme. Une autre explication est possible. On peut admettre que, généralement, une femme ressemble plus à une autre femme qu'à un homme, i.e. elles partagent un plus grand nombre de caractéristiques faciales. Les individus de chaque genre partagent un certain nombre de caractéristiques faciales qui les distinguent des individus de l'autre genre. Par exemple, la distance entre les sourcils et les yeux est généralement plus grande pour les femmes que pour les hommes (Campbell et al., 1999). Donc, quand on recherche une femme, les distracteurs féminins ressemblent probablement plus à cette femme que les distracteurs masculins. On peut donc interpréter l'effet du genre rapporté dans cette expérience comme un simple effet de similarité entre les visages de même genre. Pour tester cette hypothèse, nous avons donc réalisé une nouvelle expérience où la similarité entre la personne recherchée et les distracteurs était la même, quel que soit leur genre.