II.2.2. Discriminabilité A' et critère de décision B'' : ...

nous avons calculé les indices A' et B'' de la théorie de la détection du signal en considérant que la condition de signal correspond aux situations ou le visage sourit alors que le bruit correspond aux condition ou le visage est neutre. Nous avons appliqué une analyse de variance (2 x 2) sur A' et B''. Les variables sont la familiarité (familiarisé vs. inconnu) et l'expression apprise (neutre vs souriante). La première variable est intra-sujets alors que la seconde est inter-sujets. Les moyennes et écart-types par conditions sont rapportés dans le Tableau 18.

Tableau 18 : Discriminabilité (A') et critère de décision (B'') de l'expression émotionnelle de visages familiarisés et inconnus.
Familiarité : Familiarisé
Familiarité : Familiarisé Inconnu
Expression souriante apprise :
A'
B''
0,97
0,64
(0,07)
(0,75)
0,92
0,25
(0,11)
(0,91)
Expression neutre apprise :
A'
B''
0,92
0,39
(0,07)
(0,83)
0,93
0,09
(0,08)
(0,97)
( ) écart-type

L'expression apprise n'a pas d'effet sur la discriminabilité ni sur le critère de décision. La familiarité à un effet sur le critère de décision (F (1, 38) = 12.74, p<.001) : le critère est plus strict lorsque les visages ont été familiarisés (0,52 vs. 0,17). La familiarité n'a pas d'effet sur la discriminabilité mais elle interagit avec l'expression apprise sur cet indice (F (1, 38) = 4.12, p<.05). Cette interaction indique que la familiarisation avec des visages souriants a augmenté la discriminabilité de l'expression de ces visages lors de la reconnaissance ultérieures de leur expression faciale (0,97 vs. 0,92 pour les visages non familiarisés ; F (1, 38) = 5.05, p<.05) alors que la familiarisation avec des visages neutres n'a pas eu d'effet significatif. L'interaction entre la familiarité et l'expression apprise n'est pas significative pour le critère de décision.

Ainsi, la familiarisation avec un visage souriant augmente la probabilité de reconnaissance de cette expression faciale. Cette amélioration ne porte pas uniquement sur la reconnaissance du sourire mais aussi sur celle de la neutralité expressive. Au contraire, la familiarisation avec un visage neutre n'a aucun effet sur la reconnaissance ultérieure de l'expression, et ceci quelle qu'en soit la nature. Cette observation ne confirme pas l'hypothèse selon laquelle il y aurait en mémoire des représentations faciales expressives. Si tel avait été le cas, la familiarisation avec un visage souriant n'aurait favorisé que la reconnaissance du sourire. Ce n'est pas ce qui a été observé et ceci alors même que, dans la condition de familiarisation avec un visage souriant et de reconnaissance du sourire, c'est la même photographie qui a été utilisée (ce qui n'est évidemment pas le cas si l'expression à reconnaître est neutre, i.e. change). Autrement dit, et en reprenant la terminologie de Bruce et Young (1986), la reconnaissance de l'expression "sourire" peut être basée à la fois sur un code "pictural" et aussi, éventuellement, sur une représentation expressive. Malgré cela, l'influence de la familiarisation avec un sourire concerne aussi la neutralité dans une mesure proportionnelle.

L'utilisation d'indices de la théorie de la détection du signal éclaire les modalités d'intervention de la familiarité : elle rend le critère de décision plus strict mais, surtout, elle augmente la discriminabilité de l'expression faciale émotionnelle, notamment lorsque la familiarisation se fait avec des visages souriants. Il apparaît donc une influence précoce de la familiarité sur l'extraction des informations faciales émotionnelles.

Donc, dans cette expérience, l'effet de la familiarité ne peut s'expliquer par l'intervention de représentations mnésiques expressives spécifiques à une personne. Il semblerait plutôt que la familiarité favorise le traitement global de l'expression faciale. On sait, d'ailleurs, que la familiarité d'un stimulus favorise sont traitement (Jacoby & Dallas, 1981). Les visages familiers sont, notamment, traités plus rapidement que les visages inconnus dans des tâches telles que l'appariement d'identité (e. g., Young et al., 1986b). Dans le même ordre d'idées, la recherche de Dubois et al. (1999) indique que la familiarité favorise le traitement de l'information faciale (i.e., le genre), même lorsque cette dernière n'est pas sensée être extraite par le processus qui permet l'accès à l'identité. On peut donc suggérer que l'influence de la familiarité qui est observée ici s'explique par un phénomène d'amélioration du traitement perceptif ; le traitement de l'information faciale est plus efficace lorsque les visages sont familiers, y compris lorsque ce traitement porte sur une information autre que l'identité et la familiarité. Dans ce cas, l'expression d'un visage familier est plus facilement reconnue, quelles que soient ses représentations, expressives ou non, en mémoire. Une nouvelle expérience a donc été réalisée afin d'éprouver la plausibilité d'une telle interprétation.