IV. Influence de la familiarité sur la reconnaissance de l'expression faciale émotionnelle de visages masqués (Expérience 10)

L'objectif de cette expérience est de voir si la familiarité d'un visage influence le traitement de l'expression faciale émotionnelle à un niveau précoce de traitement. Plus particulièrement, nous voulions savoir si cette influence intervient au niveau même de l'extraction des informations visuelles permettant la reconnaissance de l'expression. Le paradigme utilisé est celui du masquage (Sperling, 1960 ; Turvey, 1973). La présentation successive et rapide de deux visages provoque le masquage du premier par le second (masquage rétrograde). Seul un visage est alors perçu, le second. Cependant, dans certaines conditions, le premier visage peut aussi interférer avec la perception du second visage (masquage antérograde). Ce type de paradigme a déjà été utilisé dans le domaine de la reconnaissance des visages. Calis et Mens (1986), notamment, ont observé que lors de la présentation successive de deux visages familiers avec la même expression, le second visage tend à être perçu. Cependant, lorsque l'un des deux visages sourit alors que l'autre est neutre, les participants tendent à percevoir le visage souriant, même s'il a été présenté en premier. Les auteurs ont expliqué cet effet par la quantité d'information : le visage souriant apporte une information supplémentaire par rapport au visage neutre. Ce serait la présence de cette information supplémentaire qui favoriserait la perception du premier visage. Selon eux, ces résultats n'invalident pas l'hypothèse d'indépendance. Cependant, notons que, dans leur étude, le sourire oriente la perception vers l'identité de la personne qui l'exprime. On conçoit difficilement comment, si ces deux modules sont indépendants, la sortie d'un module fonctionnel (i.e., traitement de l'expression) peut orienter la sortie d'un autre module fonctionnel (i.e., reconnaissance de la première ou deuxième personne). Au contraire, nous suggérons que le sourire favorise le traitement du visage dans sa globalité, y compris le traitement portant sur des informations normalement prises en charges par d'autres processus. En référence au modèle de Bruce et Young (1986), l'effet du sourire porterait sur l'encodage structural, par un processus descendant.

D'un autre côté, si, comme l'ont suggéré Calis et Mens (1986), le sourire favorise la perception du visage par l'apport d'une information supplémentaire, on peut supposer que la familiarité du visage devrait avoir le même effet. Cette hypothèse permettrait d'expliquer les effets de familiarité rapportés dans les trois expériences précédentes. Nous avons donc réalisé une expérience où deux visages étaient présentés rapidement, de sorte que le second masque le premier. La tâche requérait une décision qui porte sur l'expression. Les deux visages n'avaient pas la même expression (neutre ou souriante), et les participants devaient indiquer l'expression qu'ils percevaient (souriante ou non souriante). La familiarité des deux visages était aussi manipulée. L'hypothèse est que l'expression d'un visage familier sera plus souvent perçue que celle d'un visage inconnu, quelle que soit sa place dans la séquence temporelle du paradigme.