IV.2.2. Discriminabilité (d') et critère de décision (β) : ...

afin de déterminer si l'effet de la familiarité concerne réellement les aspects perceptifs, nous avons calculé des indices de discriminabilité (d') et de critère de décision (β) de la théorie de la détection du signal31. Le d' et le β sont calculés pour chaque participant. La condition de signal est celle ou la cible est souriante (et le masque neutre), la tâche étant de dire si le visage est souriant ou non. La condition correspondant au bruit est donc celle ou la cible et neutre (et le masque souriant). Une analyse de variance (2 x 2) a ensuite été réalisée séparément pour les d' et les β. Les variables analysées sont la familiarité du masque antérograde (célèbre vs. inconnu) et la familiarité de la cible (célèbre vs. inconnue). Ces deux variables sont des variables intra-sujets. Les moyennes et écart-types par conditions sont rapportés dans le Tableau 21.

Tableau 21 : Discriminabilité (d') et critère de décision (ß) pour la détection du sourire en fonction de la familiarité du masque et de la cible.
Familiarité du masque : Célèbre Inconnu
Familiarité de la cible : Célèbre Inconnue Célèbre Inconnue
d' 2,01 (0,88) 1,63 (0,77) 2,12 (0,95) 1,94 (0,78)
ß 0,91 (2,05) 1,40 (1,99) 1,01 (2,33) 0,55 (0,32)
( ) écart-type

La familiarité de la cible exerce un effet significatif sur la discriminabilité : l'expression est plus discriminable si la cible est célèbre plutôt qu'inconnue (2,07 vs. 1,79 ; F (1, 31) = 6.97, p<.05). La familiarité du masque tend à diminuer la discriminabilité de l'expression de la cible, mais cet effet est marginal (F (1, 31) = 4.12, avec un seuil de 4.15 pour p<.05).

La familiarité du masque a aussi un effet sur le critère de décision qui est moins strict quand le masque est célèbre plutôt qu'inconnu (ß = 1.16 vs. ß = 0.78 ; F (1, 31) = 5.45, p<.05). De plus, l'interaction entre la familiarité du masque et la familiarité de la cible est, elle aussi, significative (F (1, 31) = 5.73, p<.05). Cette interaction indique que le critère de décision est le moins strict quand le masque est célèbre et la cible inconnue par rapport aux autres conditions de familiarité (ß = 1.40 vs. ß = 1.01 lorsque le masque est inconnu et la cible célèbre ; F (1, 31) = 7.35, p<.05; vs. ß = 0.91 lorsque le masque et la cible sont célèbres ; F (1, 31) = 19.83, p<.01; et vs. ß = 0.55 lorsque le masque et la cible sont inconnus ; F (1, 31) = 6.15, p<.05). Les autres conditions ne diffèrent pas significativement entre elles.

Globalement, ces résultats confirment donc nos hypothèses. L'interférence antérograde augmente quand le masque antérograde est célèbre alors que la cible est inconnue. En d'autres termes, les participants tendent à percevoir l'expression du premier visage plus souvent s'il est célèbre plutôt qu'inconnu. Cette observation n'est cependant faite que lorsque le masque est neutre (et la cible souriante). Quand le masque est souriant et célèbre, les participants perçoivent mieux l'expression d'une cible neutre et inconnue. Dans ce dernier cas, il semble que l'association de la familiarité et du sourire en masque favorise la discrimination perceptive du masque et de la cible. Percevant plus distinctement le masque, les participants sont alors plus à même de répondre correctement sur l'expression de la cible. Les indicateurs d' et β de la théorie de la détection du signal permettent de mieux comprendre le rôle de la familiarité ; elle entraîne non seulement un abaissement du critère de décision, mais surtout une augmentation de la discriminabilité de la cible lorsque cette dernière est célèbre. Elle tend même à diminuer la discriminabilité lorsqu'elle est associée au masque. Il est à noter que la familiarité n'influence par la discriminabilité de l'identité ou de la familiarité elle-même, mais de l'expression faciale émotionnelle.

Ces données montrent que les participants perçoivent plus souvent l'expression du visage masque s'il est souriant et la cible neutre que dans le cas contraire. L'interférence antérograde du sourire est donc plus élevée que celle de l'expression neutre. Toutefois, le protocole expérimental utilisé ici ne permet pas d'en tirer une conclusion définitive. Pour cela, il aurait fallu prendre en considération les deux autres conditions expérimentales où le masque et la cible auraient eu la même expression, souriante ou neutre. Ces conditions expérimentales ne pouvaient pas être mises en oeuvre dans ce paradigme car il n'aurait pas été possible de déterminer objectivement si les participants percevaient l'expression du premier ou du second visage. Cependant, Calis et Mens (1986) ont manipulé ces conditions dans une tâche portant sur l'identité. Ils observent aussi un tel biais du sourire, le masque antérograde étant plus souvent identifié s'il sourit et que la cible est neutre. On peut donc penser que le sourire amplifie l'interférence antérograde, sans doute en augmentant la discriminabilité du visage d'une manière similaire à la familiarité.

Notes
31.

Les indices d' et β sont utilisés à la place des indices A' et B'' car les premiers sont ceux que nous avons utilisés dans un premier temps et ils sont communiqués (Baudouin, Sansone, & Tiberghien, 1997). Une seconde raison est que l'utilisation des indices A' et B'' confirme les observations sur le critère de décision, mais seule une tendance, non significative, apparaît sur la discriminabilité.