I.2.3. Corrélation entre les deux tâches : ...

afin de déterminer si les performances pour les deux informations sont liées, nous avons calculé le coefficient de corrélation de Spearman entre le pourcentage et la latence d'appariements corrects de l'émotion et de l'identité. Nous avons calculé ce coefficient en considérant, dans un premier temps, tous les participants ensemble puis, dans un second temps, nous avons analysé les schizophrènes et les contrôles séparément. Les résultats sont présentés dans la Figure 24.

En considérant l'ensemble des participants, la corrélation est significative entre le pourcentage d'appariement de l'émotion et de l'identité (ρ = .53, p<.001) ainsi qu'entre leurs latences (ρ = .72, p<.0001). Il apparaît donc que lorsqu'un participant est moins bon pour traiter l'identité, il tend à l'être aussi pour traiter l'expression émotionnelle. Si on considère uniquement les schizophrènes, la corrélation est toujours significative pour le pourcentage (ρ = .53, p<.05) et pour la latence (ρ = .61, p<.01). Donc, le déficit pour traiter l'identité s'accompagne d'un déficit proportionnel dans le traitement de l'expression faciale émotionnelle. Considérer les participants contrôles isolément indique que la corrélation est toujours significative pour la latence (ρ = .62, p<.01), mais elle ne l'est plus pour le pourcentage (ρ = .14)35.

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Figure 24 : Corrélation entre les performances pour l'appariement d'émotion et d'identité des schizophrènes et des contrôles.

I.2.4. Etude individuelle de cas : ...

les patients schizophrènes sont ici étudiés individuellement. Pour chaque condition expérimentale, un niveau de performance normal est déterminé à partir des performances des participants contrôles. En adoptant l'approche de Archer et al. (1992, 1994), la performance d'un patient schizophrène est considérée atteinte lorsqu'elle est inférieure de plus de deux écart-types à la performance des participants contrôles. Les performances individuelles des patients sont présentés dans le Tableau 25.

L'observation du Tableau 25 indique que 7 patients schizophrènes sont atteints pour les deux tâches, 1 n'est atteint que pour l'émotion et 3 ne sont atteints que pour l'identité. Il apparaît donc, comme le suggéraient Archer et al. (1992, 1994), que certains patients sont atteints spécifiquement dans le traitement d'une des informations. Néanmoins, pratiquement la moitié des schizophrènes ont des performances normales (9/20). Parmi ceux qui sont atteints, une grande partie le sont pour les deux informations (7/11).

Il apparaît aussi que certains patients préservés - en moyenne générale - pour une information sont en fait atteints pour certaines conditions. C'est le cas pour l'émotion des patients 8 et 18 et, pour l'identité, des patients 4, 8, 16 et 20. Il faut remarquer que dans tous ces cas, la condition où les deux photographies étaient exactement les mêmes est atteinte. Cette condition est aussi très souvent atteinte pour les patients ayant un déficit à un niveau général. Lorsque la photographie était la même, les participants contrôles ont eu des performances quasi-parfaites, ce qui s'explique très certainement par la reconnaissance de la photographie en plus de celle de l'émotion/identité. Il apparaît donc que certains patients schizophrènes ne parvenaient pas à détecter que la photographie était la même et que, par conséquent, l'émotion ou la personne ne pouvaient qu'être les mêmes. Ils semblent donc présenter un problème au niveau du code "pictural" (Bruce & Young, 1986)36.

Tableau 25 : Etude individuelle des performances des schizophrènes.
Consigne Emotion Identité
Réponse Même Différent Moy. Même Différent Moy.
Changement Non Oui Non Oui Non Oui Non Oui
Contrôles :
Moyenne 98,13 71,50 93,88 84,75 87,06 98,25 96,13 95,25 96,38 96,50
écart-type 2,28 12,34 8,49 9,96 5,99 2,31 3,76 5,55 3,85 2,50
Schizophrènes :
Patient 1 100 70 100 90 90 97,5 95 97,5 100 97,5
Patient 2 100 77,5 82,5 72,5 83,1 92,5 90 97,5 95 93,8
Patient 3 97,5 75 95 80 86,9 100 92,5 97,5 100 97,5
Patient 4 100 47,5 92,5 92,5 83,1 92,5* 95 95 97,5 95
Patient 5 97,5 87,5 40* 15* 60* 82,5* 67,5* 87,5 87,5* 81,3*
Patient 6 42,5* 40* 72,5* 52,5* 51,9* 100 97,5 95 100 98,1
Patient 7 85* 2,5* 95 100 70,6* 85* 75* 95 97,5 88,1*
Patient 8 90* 62,5 77,5 75 76,3 90* 92,5 95 100 94,4
Patient 9 90* 5* 62,5* 92,5 62,5* 90* 72,5* 95 85* 85,6*
Patient 10 77,5* 45* 87,5 77,5 71,9* 75* 62,5* 90 92,5 80*
Patient 11 95 72,5 100 77,5 86,3 100 92,5 100 100 98,1
Patient 12 95 12,5* 15* 85 51,9* 87,5* 95 62,5* 52,5* 74,4*
Patient 13 95 52,5 97,5 80 81,3 100 97,5 92,5 92,5 95,6
Patient 14 100 62,5 87,5 87,5 84,4 80* 82,5* 90 97,5 87,5*
Patient 15 100 67,5 95 85 86,9 100 100 67,5* 77,5* 86,3*
Patient 16 100 70 92,5 75 84,4 92,5* 100 95 100 96,9
Patient 17 92,5* 0* 85 97,5 68,8* 75* 12,5* 100 97,5 71,3*
Patient 18 92,5* 47,5* 85 85 77,5 80* 82,5* 87,5 77,5* 81,9*
Patient 19 97,5 12,5* 82,5 97,5 72,5* 100 12,5* 97,5 90 75*
Patient 20 100 57,5 82,5 85 81,3 92,5* 95 100 100 96,9
* Pourcentage à plus de deux écart-types de la moyenne du groupe contrôle

L'observation des performances par condition indique aussi que dans certaines conditions plusieurs patients ont eu des performances plus mauvaises que ce que donnerait le hasard : les patients 7, 9, 12, 17 et 19 ne dépassent pas les 12,5% de bonnes réponses lorsque l'appariement portait sur une émotion identique, avec changement de l'identité ; les patients 17 et 19 ne dépasse pas ce pourcentage lorsque la consigne portait sur l'identité et que l'émotion changeait. Dans tous ces cas, les patients schizophrènes ne répondaient pas au hasard mais ils prenaient un changement de la seconde dimension pour un changement de la première. Cette observation ne peut pas s'expliquer par le fait que les patients aient répondu à la mauvaise dimension, puisque tous - sauf le patient 12 - ont répondu au-dessus du hasard lorsque la seconde dimension ne changeait pas mais que la première le faisait. Au contraire, il apparaît que le changement de la seconde dimension a faussement été pris pour un changement de la première, sur laquelle portait la consigne.

Les résultats de cette expérience nous éclairent sur plusieurs points. Tout d'abord, les patients schizophrènes apparaissent atteints pour les deux types de tâches, ce qui confirme la tendance actuelle de la littérature qui considère que le déficit du traitement de l'information faciale chez ces patients est généralisé (e. g., Salem et al., 1996). Il apparaît aussi que le trouble des schizophrènes relève de la discrimination de l'information faciale, puisqu'ils se différencient des participants contrôles au niveau de A' mais pas de B''. De plus, comme dans les études de Archer et al. (1992, 1994), certains patients sont atteints uniquement pour une des deux informations, ce qui irait plutôt dans le sens de l'hypothèse de modularité. Néanmoins, d'autres observations sont en désaccord avec cette hypothèse.

Tout d'abord, on observe une corrélation entre les performances et les déficits pour les deux informations : plus un patient est atteint pour traiter l'émotion, plus il l'est pour traiter l'identité - et vice versa. Il y a aussi une corrélation de même type si l'on mesure la latence d'extraction des deux informations - elle se manifeste pour les patients et les participants contrôles. La capacité et, par conséquent, l'atteinte de cette capacité apparaissent donc intimement liées pour les deux types d'informations. Ensuite, les variations de la seconde dimension perturbent d'avantage les schizophrènes que les contrôles : ils éprouvent plus de difficulté à extraire une information pertinente d'une information non pertinente. Certains patients confondent même les deux informations, alors qu'ils ont pourtant bien compris la consigne, comme l'attestent leurs performances dans les autres conditions. Le fait qu'un patient confonde un changement d'expression avec un changement d'identité a déjà été rapporté pour une patiente ayant subi une amygdalectomie (Young et al., 1996). Quatre schizophrènes présentent même, dans notre expérience, le pattern inverse : ils confondent un changement d'identité avec un changement d'expression faciale émotionnelle.

L'atteinte au niveau de la discriminabilité conduit à penser que le problème des patients schizophrènes touche un niveau perceptif. Cette hypothèse permettrait d'expliquer les corrélations observées : les patients percevant mal le visage ont du mal à répondre à toute question le concernant. On peut donc suggérer, comme le font Archer et al. (1992, 1994), que l'atteinte concerne l'encodage structural. Une autre hypothèse est, cependant, plausible. En effet, les patients tendent à prendre le changement d'une information pour une variation de l'autre ; on peut donc suggérer qu'ils ont des difficultés à dissocier les deux sources d'informations. L'expérience suivante a donc été réalisée pour tester les capacités d'attention sélective de ces patients.

Notes
35.

Notons que les performances sont très bonnes pour les contrôles surtout pour l'appariement d'identité (voir Tableau 23). L'absence de corrélation significative peut donc s'expliquer par un effet plafond.

36.

Notons cependant que dans cette condition les performances des contrôles sont très bonnes, quasiment parfaites, et que l'écart-type est relativement faible.