III. Conclusions

En résumé, ces deux expériences montrent que les schizophrènes ont des difficultés à dissocier l'expression faciale émotionnelle et l'identité d'un visage. Lors d'une tâche d'appariement, ils tendent à prendre le changement d'une information pour une variation de l'autre. Notamment, le changement d'identité est interprété comme un changement d'expression. De même, l'étude de cas indique que des changements d'expression peuvent être pris pour des changements d'identité. Cette dernière observation rejoint celle rapportée par Young et al. (1996) sur une patiente ayant subi une amygdalectomie. L'utilisation du paradigme de Garner (1984, 1986) indique, par ailleurs, que les deux informations ne font pas l'objet d'une attention sélective. Tout d'abord, comme le rapportent Schweinberger et ses collaborateurs (Schweinberger et al., 1999 ; Schweinberger & Soukup, 1998), des participants sains sont sensibles aux changements d'identité quant ils doivent classer des visages selon leur émotion. Cette même interférence s'observe aussi avec des patients schizophrènes. De plus pour ces derniers, l'interférence est liée à la sévérité des symptômes négatifs ; plus ces derniers sont importants, plus l'interférence sera grande. Par ailleurs, les performances et les déficits pour les deux informations sont significativement corrélés dans les deux expériences rapportées, notamment lorsque les performances moyennes de l'ensemble des participants sont considérées. Une telle observation indique que la capacité à extraire une information est liée à la capacité à extraire l'autre. La présence d'un déficit dans le traitement de l'une ces informations prédit donc, statistiquement, la présente d'un déficit pour l'autre information. A première vue, cette observation n'est évidemment pas compatible avec les dissociations classiquement présentées. A première vue seulement : on peut suggérer que, lors d'une baisse concomitante de l'efficience à traiter les deux informations, le seuil fixé pour conclure à une atteinte ne soit franchi que pour une des deux informations.

Deux réflexions nous semblent importantes à l'issue de cette étude. La première est que même des participants sains ne peuvent pas porter sélectivement leur attention sur l'émotion faciale. L'indépendance totale des deux processus peut donc être remise en cause. La seconde est que des patients peuvent perdre leur capacité à dissocier l'information émotionnelle et l'information d'identité ou à leur porter une attention sélective. Une telle dissociation nécessite donc l'intégrité d'un processus cérébral, sans laquelle les deux informations ne peuvent être traitées indépendamment. Notre étude de la schizophrénie suggère que ce processus est - ou implique - un processus attentionnel.

Schweinberger et ses collaborateurs, n'observant pas d'interférence de l'émotion sur la classification de l'identité, suggèrent que l'identité, à la différence de l'émotion, peut être traitée sélectivement (Schweinberger et al., 1999 ; Schweinberger & Soukup, 1998). Cependant, le fait que l'expression n'interfère pas avec la classification de visages selon leur identité ne démontre pas que l'interaction entre les deux processus est unidirectionnelle. Tout d'abord, l'absence d'un effet n'indique pas, méthodologiquement parlant, qu'il n'existe pas. En particulier, il est possible que le paradigme ne soit pas approprié pour le mettre en évidence. Par ailleurs, nous avons présenté dans un chapitre précédent (Chapitre 3) de nombreuses données qui indiquent que le traitement de l'expression faciale émotionnelle peut influencer l'accès à l'identité et la familiarité d'un visage (e. g., Dolan et al., 1996 ; Pellegrin et al., 1997, 1998 ; Sansone & Tiberghien, 1994 ; Young et al., 1996). Les résultats que nous rapportons dans le Chapitre 6 vont aussi dans ce sens.