INTRODUCTION

Le Grand Bazar de Lyon, premier grand magasin lyonnais, ouvre ses portes en 1886, soit une vingtaine d'années après la création des grands magasins parisiens, le Bon Marché en tête1. Vitrines des mutations économiques et urbaines de la deuxième moitié du 19e siècle, ces commerces fascinent. Tout concourt au faste des lieux : ils sont installés sur les grandes artères qui viennent d'être percées, par Haussmann à Paris comme par Vaïsse à Lyon, leur architecture, en fer, est résolument moderne et crée d'amples espaces, aérés et lumineux. Dans ces décors, grandioses, l'abondance des marchandises, leur variété, le soin avec lequel elles sont présentées, doivent transformer la consommation, en faire un moment de plaisir. Le cadre est ainsi à la hauteur de la révolution des structures commerciales opérée. Car les grands magasins sont, avant tout, des entreprises qui font entrer la distribution dans une dimension jusque-là inconnue. Tout est plus grand, tout va plus vite que dans la boutique : la rotation des stocks, la gamme des produits proposés, la surface de vente, le chiffre d'affaires, les bénéfices ou le nombre de salariées2.

De toutes ces facettes des grands magasins, qui sont autant de domaines de recherches possibles, une seule est à l'origine de cette thèse : les salariées. La main-d'oeuvre des grands commerces est, en effet, au croisement de trois préoccupations essentielles, centres d'intérêts personnels suscités par des problèmes sociaux contemporains et remodelés par des interrogations historiographiques, qui définissent le sujet de cette étude. Des "demoiselles de magasin" aux actuelles caissières de grandes surfaces, le commerce devait d'abord permettre de retracer un siècle de travail féminin. Il s'agissait ensuite de faire l'histoire d'un groupe social et professionnel, celui des "employées de commerce", encore largement inconnu par rapport au nombre d'études sur les "ouvriers" ou "ouvrières". Pour le 19e siècle en particulier, ces salariées sont trop souvent réduites à un seul personnage emblématique, celui des "demoiselles de magasin", érigé en figure fascinante et effrayante pour la France de l'époque par le roman d'Emile Zola, Au Bonheur des Dames, paru en 1883. La recherche devait, enfin, mettre à jour l'organisation du travail dans le commerce et son évolution. Dès l'origine, l'histoire du Grand Bazar qu'il s'agissait d'écrire n'était donc ni une histoire de la consommation, ni une histoire économique de l'entreprise, ni une histoire de ses élites dirigeantes, mais une histoire sociale, une histoire du travail.

Les questions, relativement indéfinies, qui se posaient au départ dans ces trois domaines, se sont précisées et infléchies au fil des lectures et de la recherche. La manière dont elles se présentent aujourd'hui s'explique et se justifie alors par l'état des savoirs.

Notes
1.

Michael B. Miller, Au Bon Marché, 1869-1920, Le Consommateur apprivoisé, Paris, A. Colin, 1987, 240 p.

2.

La graphie "-e-" doit rendre visible les femmes, qui, selon les règles de la grammaire française, devraient être comprises dans le masculin pluriel, voir les explications à la fin du paragraphe «de l'histoire du travail des femmes à une histoire sexuée » de l'introduction.