b- la rémunération

Dès lors qu'on aborde cette question de la gestion de la main-d'oeuvre et quel que soit le point de vue adopté, la rémunération des salariées occupe une place centrale dans l'analyse. La flexibilité des horaires de travail permet, en effet, à l'entreprise de réduire au maximum le coût de la main-d'oeuvre, quand les politiques sociales veulent retenir le personnel en lui offrant un "sursalaire". La rémunération est ici considérée comme l'ensemble de ce qui est reçu par la ou le salariée, c'est-à-dire le salaire (qui correspond au travail effectué) mais aussi les compléments salariaux fruits des "politiques sociales", l'indemnisation des jours de maladie, le versement des pensions de retraite, le paiement de jours de congés ou les avantages en nature. Elle n'est indépendante ni du poste de travail (le montant du salaire étant lié au poste de travail), ni du mode d'emploi (on l'a vu avec temps partiel), mais n'est pas non plus entièrement déterminée par ces deux éléments, le bénéfice des politiques sociales faisant intervenir l'ancienneté et le mérite individuel. Elle est donc susceptible d'avoir une influence directe (c'est-à-dire pas uniquement par le biais des deux autres variables) sur la gestion de la main-d'oeuvre, dans la mesure où elle motive la stabilité et l'instabilité des salariées dans l'emploi.

Dès lors, dans l'étude qui suit, sont distingués trois éléments, ceux qui, réunis, forment un "emploi" : le poste de travail, la rémunération et le "mode d'emploi". L'expression "mode d'emploi" est directement issue de la distinction entre "travail" et "emploi" opérée par Margaret Maruani. Elle désigne la modalité particulière d'accès de la ou du salariée au marché du travail constituée par son embauche. Deux éléments essentiels composent cette "manière d'être embauchée" : le temps de travail et la durée de l'embauche. Le but de cette recherche est alors de voir les différentes manières dont ont été agencés ces trois éléments au cours d'un siècle. Leur combinaison relève de décisions patronales, qui doivent cependant respecter les cadres réglementaires existant. L'évolution du droit du travail, qui se met progressivement en place depuis le 19e siècle, joue alors un rôle fondamental. Mais les employeurs doivent aussi tenir compte des pratiques de leurs concurrents (dont la main-d'oeuvre est potentiellement la même) et de l'état du marché du travail (la disponibilité ou non des salariées des différentes qualifications). L'attitude des salariées face aux emplois qui leur sont proposés, qui dépend en partie de ce qu'elles et ils peuvent espérer sur le marché du travail, permet alors de cerner dans quelle mesure les emplois des grands magasins sont considérés comme porteurs d'une identité professionnelle possible.

La recherche des identités professionnelles, qui devait être au départ le préalable à une étude sur les identités sociales des salariées du Grand Bazar, a ainsi pris une ampleur inattendue. Elle est devenue le centre des interrogations, un problème en soi. Il manque sans doute aux études historiques, celle-ci en particulier, un aspect important de l'identité professionnelle, la connaissance de la manière dont les personnes concernées se définissent elles-mêmes. Mais l'histoire qui est faite ici est celle d'éléments objectifs qui sont au fondement de la constitution des identités professionnelles : les postes de travail, les salaires, les emplois et les parcours professionnels.

Pour mener à bien cette recherche, l'ensemble des archives du Grand Bazar de Lyon étaient disponibles, extrêmement bien conservées depuis l'ouverture du magasin en 1886.

Les dossiers de personnel sont la source principale de cette étude, centrée sur le travail et l'emploi des salariées. Ils ont été complétés par la consultation de dossiers de retraite, qui permettent de reconstituer l'ensemble des carrières. Tous ces renseignements ont été consignés dans une base de données, à partir de laquelle l'analyse des parcours professionnels a été menée.