la composition des dossiers de retraite

Si la CIRRIC n'a pas instruit elle-même le dossier (c'est le cas pour 54 des 103 "B" retrouvés), les documents présents dans le dossier sont moins nombreux. Deux seulement ont été utilisés dans le cadre de cette étude, intitulés "reconstitution de carrière" et "renseignements généraux". Les autres, extrêmement techniques, détaillent les calculs précis des montants dus par chaque caisse et sont illisibles pour celles et ceux qui ne connaissent pas cette comptabilité. Le premier récapitule les différentes étapes de la carrière des salariées, de l'âge de 16 ans à la cessation d'activité. Le document est divisé en cinq colonnes, où doivent être mentionnées les dates de début et de fin de chaque période de la vie professionnelle, la nature de cette période (salariée, non-salariée, inactif ou inactive, maladie, chômage), puis, s'il y a lieu, le nom et l'adresse de l'employeur, l'activité de l'entreprise et l'emploi occupé par la ou le salariée puis la caisse de retraite qui doit liquider les droits pour la période. Le second document, qui comporte des données précises concernant l'état civil, a permis de compléter les renseignements contenus dans les dossiers de personnel. Y sont en effet mentionnés les nom, prénom et date de naissance des conjoints et des enfants, les dates éventuelles de mariage, de divorce et de décès. Lorsque la CIRRIC a elle-même constitué le dossier de retraite des salariées (49 des 103 dossiers), ont aussi été conservés tous les documents nécessaires à l'établissement de la "reconstitution de carrière" et des "renseignements généraux". Pour l'instruction de leur dossier, les salariées doivent, en effet, fournir des fiches d'état civil et récapituler elles- et eux-mêmes le déroulement de leur propre carrière, justificatifs (c'est-à-dire certificats de travail délivrés par les employeurs) à l'appui.

Dans les deux cas, que la caisse ait ou non instruit elle-même le dossier, les renseignements fournis posent plusieurs types de problèmes. Le plus important, pour cette étude qui s'attache aux parcours professionnels des salariées, concerne la connaissance des postes de travail occupés. Pour le calcul des pensions auxquelles donnent droit les différents emplois traversés au cours de la carrière, la caisse de retraite procède à la classification de chacun d'entre eux au sein d'une grille établie pour l'ensemble des caisses relevant du régime ARRCO. Les salariées non cadres doivent être réparties entre neuf catégories : "ETAM", "employé mensuel", "ouvrier mensuel", "ouvrier-apprenti-manoeuvre", "mineur", "travailleur à domicile", "saisonnier", "gens de maison" et "divers". Une telle liste, qui ne distingue même pas employée de bureau et employée de commerce, par exemple, est donc moins détaillée que ne le sont les catégories socioprofessionnelles115. En outre, ce sont les employées de la caisse de retraite qui effectuent la classification des emplois à partir des déclarations des salariées, en fonction, par conséquent, de leur propre représentation du monde professionnel. Parfois pourtant, la grille n'est pas strictement respectée et certaines séquences de travail sont désignées, dans le document "récapitulation de carrière" constitué par les caisses de retraite, comme celles de "femmes de ménage" ou "employées de bureau". Mais ces exceptions sont rares. Ainsi, toutes les salariées sont-elles et ils dites "employées" pendant leur emploi au Grand Bazar, quel que soit le poste occupé (réserviste, vendeur, vendeuse ou employée de bureau). Il est alors aussi difficile de savoir quel poste était véritablement occupé lorsque les salariées sont dites "employées" ou "ouvriers" ou "ouvrières" dans l'industrie. Sur ce point, disposer de la reconstitution de leur carrière par les salariées (lorsque la CIRRIC a instruit le dossier) permet d'avoir des renseignements bien plus précis. L'activité de l'entreprise n'est, ensuite, quasiment jamais indiquée dans le document informatique émanant des caisses de retraite. De même, l'adresse n'est pas systématiquement mentionnée et lorsqu'elle l'est, il n'est pas rare qu'il s'agisse de celle du siège social, bien souvent parisien, alors que les salariées ont pu travailler dans des succursales. Dans leur déclaration, les salariées sont souvent plus précises sur ces deux points. Ces éléments ont rendu rapidement vaine une quête dans d'autres sources, l'indicateur Henry en particulier, des secteurs d'activité des entreprises.

La connaissance des parcours professionnels se heurte enfin à des problèmes d'exhaustivité dans les reconstitutions de carrière. Des lacunes concernent d'abord des périodes pour lesquelles les salariées ne peuvent avancer de preuves quant à leur activité. C'est régulièrement le cas pour des emplois des années 1920 ou 1930, certaines entreprises ayant disparu avec la crise puis la guerre. Le travail effectué peut alors être mentionné dans la reconstitution de carrière faite par la ou le salariée, mais lorsqu'on ne dispose que du document de la caisse de retraite, la période n'est pas renseignée et notée "non validable". Les dates de début et de fin d'emploi sont ensuite rarement connues précisément par la caisse qui instruit le dossier. Dès lors, il arrive à de nombreuses reprises que des intervalles de quelques mois voire de plusieurs années manquent dans la reconstitution chronologique des parcours professionnels, qui peuvent cacher des périodes de chômage, d'inactivité mais aussi d'activité.

Pour l'analyse des modes d'emploi des salariées, une source complémentaire des dossiers du personnel très importante a été retrouvée dans les archives du Grand Bazar, qui n'est cependant disponible que pour les années 1920, les "déclarations de salaires".

Notes
115.

Voir Alain Desrosières et Laurent Thévenot, Les Catégories socioprofessionnelles, ouvrage cité.