1 ère partie : 1886-1936

Entre 1886 et 1936, la gestion de la main-d'oeuvre est le fruit d'une liberté patronale quasi totale, à peine écorchée par le droit du travail naissant. La prétendue "sécurité de l'emploi" dont devraient bénéficier les "employées", selon la terminologie utilisée125, ne se fonde, en effet, sur aucune protection légale. Le temps de travail d'abord, contrairement à celui des ouvrières et ouvriers, n'est l'objet d'aucune restriction avant la loi de 1906 sur le repos hebdomadaire et il faut même attendre 1919 pour qu'une limite à leur journée de travail soit établie, qui s'élève alors à huit heures. En matière de contrats de travail, ensuite, la législation est identique pour les ouvrières et ouvriers et les employées. C'est dire que rien n'oblige les employeurs et employeuses à assurer aux employées des contrats plus stables qu'aux ouvrières ou ouvriers. De la fin du 19e siècle à 1936, une longue bataille est engagée par celles et ceux qui souhaitent restreindre l'entière liberté de rompre les contrats dont disposent les employeurs et employeuses. Les avancées, établies dans la jurisprudence, remettent alors progressivement en cause la conception libérale du droit contractuel. Elle+s trouvent leur aboutissement en 1936, dans la conclusion de contrats collectifs de travail. La rémunération des employées de commerce, enfin, ne fait l'objet d'aucune réglementation avant la signature des conventions collectives en 1936. Ces différents éléments, qui composent les conditions objectives de travail des salariées de commerce, ne rendent pas le statut "d'employée" nécessairement enviable pour des "ouvriers" et "ouvrières". C'est même avant la Première Guerre mondiale, lorsque la journée de travail n'est même pas limitée, qu'il l'est le moins, alors que la chronologie des liens entre employées et ouvrières ou ouvriers habituellement établie est exactement opposée, elle parle de "prolétarisation" des "employées" à partir des années 1920126. Pour approcher l'identité professionnelle des "employées de commerce" et son évolution sur la période, l'étude des profils professionnels des salariées du Grand Bazar s'avère donc nécessaire. La croissance des effectifs du magasin, à partir de la Première Guerre mondiale, en parfaite conformité avec celle de l'ensemble de la catégorie des "employées", s'y prête d'ailleurs parfaitement. Or, c'est cette augmentation numérique du groupe qui est censée être à l'origine de la "prolétarisation" des employées et se traduire par l'embauche de femmes. L'analyse précise du développement économique du magasin permet alors de comprendre la manière dont les femmes y sont embauchées et d'interroger aussi le phénomène de "féminisation" de la main-d'oeuvre.

Notes
125.

Voir les références bibliographiques indiquées à ce propos dans l'introduction.

126.

Le débat a également été exposé en introduction.