4/ les difficultés des années 1930

Les difficultés commencent pour le Grand Bazar dès le début des années 1930 comme le montre l'évolution du chiffre d'affaires. Son déclin s'amorce en 1930 et en 1935, il est revenu à son niveau le plus bas des années 1920 : 90 millions de francs. Les bénéfices chutent en revanche brutalement : en 1934, le Grand Bazar est déficitaire et il le reste trois années consécutives. La direction du Grand Bazar ne réagit pas au ralentissement des affaires du début des années 1930 par une restructuration immédiate des rayons et des produits vendus, finalement si récemment installés.

Contre le ralentissement de la consommation, des solutions sont cherchées dans trois directions. La première, fidèle à la politique suivie par Pariset depuis 1912, consiste à miser sur des produits nouveaux. Outre la vente de poissons exotiques et accessoires270, le magasin se tourne vers un créneau apparu dans les années 1920, les appareils électroménagers. Le premier Salon des appareils ménagers s'est tenu à Paris en 1923271. Chaque année y sont exposés aspirateurs, cireuses, cuisinières, radiateurs, grille-pains, machines à laver le linge, lave-vaisselles, robots de cuisine et même un premier réfrigérateur en 1926. Le Grand Bazar tient alors lui aussi, en janvier 1930, son premier "Salon ménager", en invitant les fabricants d'appareils électroménagers à venir faire des démonstrations. Le tissu industriel lyonnais, qui compte en particulier la société Paris-Rhône productrice de petits appareils électriques, favorise d'ailleurs la manifestation, qui est ensuite reconduite toutes les années272. Le système est progressivement étoffé par la participation de maisons toujours plus nombreuses et par l'organisation de conférences, faites par des ingénieurs présentant leur matériel et par des dames "expertes en enseignement ménager"273. Les appareils d'articles ménagers électriques constituent même un rayon au Grand Bazar à partir de 1936274. La direction tente ensuite de fidéliser la clientèle en développant les articles d'alimentation. Le Grand Bazar ne disposait jusque-là que de petits comptoirs de biscuits et de confiserie, installés au 35 rue de la République. En 1932, les assortiments proposés sont élargis et occupent une galerie des sous-sols du magasin principal. L'année suivante, les produits frais font leur apparition, vendus essentiellement à l'extérieur du magasin : sur toute la longueur de la rue Tupin sont installés beurre, fromages, oeufs et saucissons, les fruits et légumes devant s'approprier l'angle des rues Tupin et Grôlée275.

Les ventes réclames, enfin, disparues avec la relative prospérité du milieu des années 1920, réapparaissent au moment des premières difficultés, dès le début des années 1930. Mais l'ampleur et la durée de la crise leur donnent une nouvelle dimension. Au moment où les premiers magasins à prix uniques apparaissent en France, 50 ans après les débuts de Woolworth aux Etats-Unis, Fernand Pariset cherche une issue aux difficultés du Grand Bazar dans cette technique commerciale. La diffusion des magasins à prix uniques en Europe est lente. Woolworth s'implante en Angleterre au début du 20e siècle, mais il faut attendre l'entre-deux-guerres pour que des émules l'imitent dans les autres pays européens, à commencer par l'Allemagne. En France, c'est en 1928 que la Société française des Nouvelles Galeries Réunies crée la société Uniprix. Théophile Bader, patron des Galeries Lafayette, lance ensuite Monoprix en 1930, suivi des grands magasins du Printemps avec Prisunic, puis du Bon Marché, avec les Priminimes276. Fernand Pariset entreprend alors des "voyages d'étude" dans les maisons de détail en Allemagne et dans les pays du nord, avant de se rendre à la foire de Londres "pour visiter les grands magasins de nouveautés ainsi que les magasins à prix uniques de la ville, dans l'idée d'y chercher des articles nouveaux et des présentations meilleures"277. A son retour, il donne une place croissante aux ventes à prix fixes, dont les comptoirs permanents étaient jusque-là de taille réduite. En 1932, des présentoirs regroupant des articles de tous les rayons à 3, 5 et 10F sont installés dans une grande partie des sous-sols du magasin principal : c'est la "galerie des trois prix"278. Quelques mois plus tard, Fernand Pariset annonce au conseil d'administration son intention de renouveler l'opération au 3e étage du magasin, avec des comptoirs à 20, 30 et 50F279. Ils en occupent toute la surface et les meubles se contentent désormais du dernier niveau280.

La crise des années 1930 ne remet pas en cause immédiatement l'importance acquise par le magasin. Seule une réorganisation des réserves est effectuée. Quelques années plus tôt, le prix des locaux dans la presqu'île lyonnaise avait déjà incité le magasin à remplacer les entrepôts de la rue Jussieu et du quai de l'Hôpital – devenu quai Jules Courmont – par un autre situé rue Pasteur281. A partir de 1930, pour limiter les frais de location et de surveillance, la quasi totalité des réserves est progressivement concentrée en un seul lieu. De vastes locaux sont loués rue du Bourbonnais, à Vaise, en juillet et août 1930. Y sont alors transférés les stocks des rues Boileau, Basse-Combalot, du Bât-d'Argent et du quai Pierre Scize282. Une seule réserve demeure alors, rue Pasteur, jusqu'en 1935. Ensuite, tout le stock est concentré rue du Bourbonnais283.

L'évolution économique et spatiale du Grand Bazar entre 1886 et 1936 imprime son rythme à la croissance des effectifs et au développement de l'organisation du travail.

Notes
270.

ADR, 133J008, PV du CA du 20 mars 1935.

271.

Henri Morsel et Valérie Labrousse, "Le Développement de l'électroménager", dans Maurice Lévy-Leboyer et Henri Morsel (dir.), Histoire de l'électricité en France, tome 2, 1919-1946, Fayard, 1994, p.1271-1313.

272.

ADR, 133J007, PV des CA des 17 février 1930, 16 janvier 1931, 15 janvier 1932, 3 janvier 1933, 4 janvier 1934 et 133J008, PV du CA du 14 janvier 1936.

273.

ADR, 133J008, PV du CA du 14 janvier 1936.

274.

Idem, PV du CA du 5 mars 1936.

275.

ADR, 133J007, PV du CA du 13 avril 1932 et 12 mai 1933.

276.

Daniel Lefeuvre, article cité.

277.

ADR, 133J007, PV du CA du 16 janvier 1929 et 3 février 1933.

278.

Idem, PV du CA du 13 avril 1932.

279.

Idem, PV du CA du 3 juin 1932, 14 mars 1933.

280.

ADR, 133J280, catalogue Tout pour la maison de 1934.

281.

ADR, 133J006, PV du CA du 13 juin 1923 et 133J007, PV du CA du 11 mai 1927.

282.

ADR, 133J007, PV des CA des 4 juin, 3 juillet, 5 août et 19 septembre 1930.

283.

ADR, 133J008, PV des CA des 10 octobre 1934 et 16 janvier 1935.