2/ la place des femmes

La présence des femmes au sein du personnel du magasin est très faible avant la guerre – voir le tableau suivant. La focalisation sur les "demoiselles de magasin" est donc particulièrement trompeuse.

Tableau n°1 : Evolution du nombre de "B" présentes au Grand Bazar au 1er mars entre 1902 et 1936.
Année Femmes Hommes Total Pourcentage de femmes parmi les présentes
1902 4 32 36 11,11290
1903 4 48 52 7,69
1904 3 41 44 6,82
1905 4 38 42 9,52
1906 4 36 40 10
1907 4 35 39 10,26
1908 4 39 43 9,30
1909 4 42 46 8,70
1910 3 42 45 6,67
1911 2 41 43 4,65
1912 2 41 43 4,65
1913 4 43 47 8,51
1914 7 54 64 10,94
1915 9 25 34 26,47
1916 16 24 40 40,00
1917 31 31 62 50,00
1918 37 39 76 48,68
1919 37 40 77 48,05
1920 41 61 102 40,20
1921 35 58 93 37,63
1922 33 63 96 34,38
1923 25 51 76 32,89
1924 34 55 89 38,20
1925 31 62 93 33,33
1926 31 62 93 33,33
1927 33 63 96 34,38
1928 42 59 101 41,58
1929 42 60 102 41,18
1930 44 57 101 43,56
1931 34 58 92 36,96
1932 30 51 81 37,04
1933 30 53 83 36,14
1934 29 46 75 38,67
1935 29 43 72 40,28
1936 31 44 75 41,33

La chronologie pourrait laisser penser que la guerre a joué un rôle fondamental pour l'emploi des femmes puisque, de moins de 10% des salariées avant 1914, les femmes représentent jusqu'à la moitié du personnel en 1917. Mais l'observation du rythme d'arrivée des femmes au Grand Bazar – voir graphique n°1 "Evolution des embauches annuelles de 'B', 1886-1936" – montre que leurs embauches débutent juste avant la guerre, en 1913, c'est-à-dire au moment où le Grand Bazar commence à s'agrandir. Ainsi, sur les 15 entrées de femmes "B" qui se produisent entre 1902 et août 1914291, 11 ont lieu après 1912. La mobilisation masculine a certes contribué à l'importance du recrutement féminin : pendant la guerre (du 1er août 1914 au 31 décembre 1918), 132 des 287 "B" embauchées sont des femmes, soit près de la moitié (46%). Mais lorsque, conformément à l'obligation faite par la loi aux entreprises de reprendre les soldats démobilisés aux postes qu'ils occupaient avant la guerre292, les hommes reviennent au magasin, pendant le premier semestre de 1919 pour la plupart, ces femmes ne sont pas renvoyées chez elles : le nombre de présentes au Grand Bazar ne diminue pas, il augmente même entre 1919 et 1920 (voir le graphique n°2). La croissance plus importante du nombre d'hommes au Grand Bazar sur ces deux années est due au retour des mobilisés. Pendant la période qui suit, la présence féminine ne se dément pas, les femmes représentent entre le tiers et 40% de la main-d'oeuvre jusqu'en 1936.

C'est donc au moment où le volume du personnel s'est accru – c'est-à-dire entre 1913 et 1920 – que la place des femmes a augmenté au magasin. Elles n'y ont pas "remplacé" les hommes. En effet, ces derniers restent constamment majoritaires au Grand Bazar et ils sont même plus nombreux – en valeur absolue – à y travailler entre 1919 et 1936 qu'avant 1914 : ils sont passés d'un total de 250 à 280 présents en moyenne entre 1902 et 1914 à 360 ou 380 en moyenne, entre 1920 et 1936. Si "féminisation" du personnel il y a (les femmes sont désormais une partie importante de la main-d'oeuvre), elle est donc strictement relative. Conformément à ce que d'autres ont montré, cette arrivée des femmes correspond bien à une période de modification de la structure du travail au magasin (sous l'effet ici de la croissance de la main-d'oeuvre) et elle est loin de se produire uniformément à tous les postes et dans tous les services du magasin, même pendant la guerre293.

Notes
289.

Le mois de mars a été choisi, parce qu'il correspond à une période d'activité "moyenne" du magasin, qui n'est ni en pleine saison (de décembre par exemple), ni en "morte saison" le mois de février par exemple.

290.

Le nombre de femmes comme le nombre total de présentes est trop faible pour que les chiffres mis en italiques soient fiables.

291.

Entre 1902 et le 1er août 1914, jour où est proclamée la mobilisation générale. Il n'y a, en fait, aucune entrée de "B" au Grand Bazar entre le 22 juin et le 28 septembre 1914.

292.

Loi du 22 novembre 1918 ayant pour objet de garantir aux mobilisés la reprise de leur contrat de travail, Journal Officiel du 24 novembre 1918.

293.

Voir la bibliographie citée en introduction a propos du débat sur la "féminisation" des secteurs.