2/ des causes de sorties inconnues

Pour expliquer cette importante instabilité du personnel du Grand Bazar, on ne dispose pas du motif de sortie de l'immense majorité des salariées. L'absence quasi totale de dossiers du personnel des "B" embauchées avant 1914 n'est pas seule en cause, puisque pour 143 seulement des 1 086 sorties de "B" qui se produisent entre août 1914 et août 1936, une indication est donnée. Il s'agit de 30 décès – parmi lesquels les cinq hommes "tués à l'ennemi" pendant la Première Guerre mondiale –, cinq départs au service militaire, 42 licenciements et 66 démissions. Parmi ces dernières, 21 lettres de démission n'ont pas été conservées – le dossier porte simplement la mention "démissionnaire" – et 20 autres ne donnent aucune explication à leur départ, ce qui porte à 25 seulement les motifs connus. Les deux qui sont principalement invoqués sont la santé et la famille (9 et 13 occurrences). De manière peu surprenante, ce dernier motif n'est considéré comme légitime et avoué que pour les femmes. Si Pierre Delaporte démissionne à la mort de son père en 1926, il ne le dit pas dans sa lettre de démission mais dans la demande de réintégration à son poste qu'il formule deux ans plus tard449. Les rôles d'épouse et de mère sont en revanche mis en avant par les femmes : Jeanne Duc précise qu'il lui faut garder son petit-fils, tant il est "difficile voire impossible de trouver quelqu'un de vraiment sûr pour s'occuper d'un enfant", Marie Denoix expose que "l'état de santé de son beau-père ne s'améliore pas autant que [son] mari et [elle] le pensaient" et Emilie Dey suit son mari affecté au Maroc450. Seules les quatre dernieres disent partir pour un autre travail, motif sans doute globalement sous-déclaré, que cachent peut-être bien des "maladies" : lorsque Marcillon démissionne du grand magasin parisien où il est vendeur pour un poste de sous-chef caissier qui lui est proposé à Marseille, il "informe son chef que, pour des raisons de santé, il est obligé de retourner dans le sud"451. De même la première cause de renvoi – 16 personnes sur les 42 –, la trop longue durée d'une absence pour maladie, peut aussi être le fruit d'un absentéisme des salariées lié à une insatisfaction au travail. Le vol est le deuxième motif de licenciement, qui concerne 12 autres personnes.

Les renseignements disponibles sur les motifs de sortie sont trop peu nombreux pour expliquer le turn-over. Ils montrent simplement que les salariées en prennent largement l'initiative, soit directement en démissionnant, soit par un comportement marquant un certain désintérêt pour leur emploi. Il faut donc se tourner vers les modes d'emploi et les rémunérations proposés par le magasin, qui constituent le cadre dans lequel joue la liberté des salariées, celle de rester ou de partir. La décision qu'elles et ils prennent dépend en partie de ce que chacun-e peut espérer d'autre sur le marché du travail, dont leurs parcours professionnels antérieurs donnent un aperçu.

Notes
449.

ADR, 133J205, B8n°96, entré le 6 avril 1926 et le 17 septembre 1928, lettre du 3 septembre 1928.

450.

ADR, 133J197, B1n°42, entrée le 10 mars 1924, lettre du 26 juin 1929 ; 133J200, B4n°1, entrée le 14 mai 1930, lettre du 9 avril 1935 ; 133J205, B8n°150, entrée le 24 octobre 1927.

451.

L. Marcillon, Trente ans de vie..., ouvrage cité, p.66.