B/ les parcours professionnels antérieurs

L'absence de qualification formelle requise à l'embauche peut être remplacée par une qualification informelle, celle des savoir-faire appris sur le tas, par l'expérience. Les dossiers de retraite de 13 personnes seulement entrées au Grand Bazar avant 1936 ont été retrouvés. L'étude des parcours professionnels antérieurs se fonde essentiellement sur les fiches de renseignements remplies par les salariées lorsqu'elles et ils sont recrutées. Ce qui signifie d'abord qu'elle porte essentiellement sur le personnel embauché au magasin après la Première Guerre mondiale. Peu de dossiers ont, en effet, été conservés avant 1914 (c'est le cas pour seulement 35 des 325 "B" entrées avant 1914) et si leur nombre augmente au cours de la guerre, ils sont généralement très incomplets, les fiches de renseignements, en particulier, n'étant pas ou mal remplies. L'étude des parcours professionnels à partir des dossiers de personnel signifie ensuite que la reconstitution des carrières dépend de l'exhaustivité des déclarations des salariées. Or, il n'est pas rare que celles-ci se réduisent à "Maison X, 1920-1924", c'est-à-dire que le poste de travail en soit absent, tout comme le secteur d'activité d'une entreprise dont on ne connaît quasiment jamais l'adresse. En plus de ces imprécisions, deux paramètres influencent la qualité des reconstitutions de carrières, l'âge et le sexe. Corollaire du refoulement social du travail féminin, il est probable que certaines mentions "n'a jamais travaillé" inscrites par des femmes cachent, en fait, une activité salariée. Par ailleurs, les salariées qui ont déjà une longue vie professionnelle derrière elles ou eux lors de l'embauche au Grand Bazar, ne mentionnent quasiment jamais l'ensemble des emplois antérieurs occupés, qui furent souvent nombreux et de courte durée. Mais la subjectivité des déclarations d'emploi a cet avantage qu'elle donne à voir la manière dont les salariées présentent leurs parcours professionnels. Dans ce cadre, l'absence courante de référence au poste de travail occupé est le signe d'une faible identification professionnelle, d'une identification qui ne passe pas, en tout cas, par la revendication d'un métier. Ensuite, si les salariées estiment que leurs expériences peuvent être un atout pour leur embauche, les emplois de commerce ou de bureaux seront inscrits en priorité. Malgré les problèmes cités, il est donc possible de savoir si les personnes embauchées au Grand Bazar ont ou non déjà exercé des fonctions comparables à celles qui leur sont alors attribuées.

L'analyse des parcours professionnels antérieurs doit être menée en fonction du poste d'embauche au Grand Bazar. Si l'on se réfère aux typologies habituellement utilisées dans les classifications professionnelles, il faut distinguer six groupes : les membres de l'encadrement, les employées de bureau, les vendeuses et vendeurs, les ouvriers qualifiés, les emplois considérés comme non qualifiés – les postes de manutention (à l'expédition ou chez les garçons) et femmes de ménage – et enfin les inspecteurs. Pour chacun de ces postes, une typologie des différents types de salariées embauchées est esquissée, qui permet de montrer la diversité des itinéraires empruntés. Ces itinéraires ne diffèrent guère selon l'âge des salariées et n'ont aucune influence sur la durée de l'emploi au Grand Bazar. Pour éviter de décrire à de trop nombreuses reprises des carrières similaires (en fonction de l'âge, du sexe et de la durée de présence au magasin), seuls quelques exemples sont donnés pour chaque poste.