6/ les postes de manutention / les femmes de ménage

Dans leur grande majorité, les salariés de l'expédition, les manutentionnaires des rayons ou les garçons ont occupé des postes non qualifiés, essentiellement dans l'industrie, mais aussi dans le commerce ou le service aux personnes. Noël Dessus et Frédéric Duruel, par exemple, travaillaient tous les deux dans des commerces avant leur embauche au Grand Bazar. Le premier, qui entre comme garçon en 1926, à 40 ans, a été salarié dans des épiceries et dans un café529. Il reste 5 ans au Grand Bazar. Le second a 41 ans en 1924, lorsqu'il entre comme emballeur, et a toujours été commis "nourri et logé" dans des commerces. Il travaille 19 ans au Grand Bazar, jusqu'à sa mort530. Joseph Devaux, qui travaille 33 ans au Grand Bazar, est embauché en novembre 1907 à 29 ans. Les 16 années précédentes, il était ouvrier dans une usine de peignage à Pont d'Ain531. D'autres, comme Louis Delage, étaient domestiques. Entré comme garçon à 36 ans, en 1924, il travaille un mois et demi au magasin532. D'autres parcours sont plus exceptionnels parmi les manutentionnaires du Grand Bazar, comme celui de Joseph Descloups. Agé de 57 ans en mars 1928, il était jusque-là boulanger et vient de vendre sa boutique, "se retirant avec honneur des affaires". Il reste 13 ans au Grand Bazar. Il est mis à la retraite en 1941 par la direction du magasin533. D'autres, encore plus rares, étaient employés de bureau avant d'être réservistes au Grand Bazar.

Aucune femme embauchée comme femme de ménage au Grand Bazar ne déclare avoir occupé un poste de vendeuse ou d'employée de bureau. Antoinette Dupont, 42 ans en 1925, a été aide magasinière, ouvrière puis femme de ménage. Elle passe réserviste trois ans après son entrée et reste jusqu'en 1948 au Grand Bazar. Elle est alors licenciée par la direction, ayant atteint les 65 ans534. Mathilde Dosson, 48 ans en juin 1929, était "couturière à façon dans son ménage" et travaille deux ans au Grand Bazar535.

Les ouvriers et le personnel d'encadrement sont les deux seules cartégories de salariées pour lesquelles l'expérience professionnelle est un critère de recrutement. Ce n'est pas le moindre des paradoxes que, parmi les "employées de commerce" non gradées, les seuls véritables professionnels soient des ouvriers. Pour l'ensemble des autres postes, vendeuses, vendeurs, employées de bureau, caissières, caissiers, réservistes, garçons, emballeurs, femmes de ménage, le parcours professionnel ne joue quasiment aucun rôle, ni pour l'embauche, ni dans le service d'affectation. La répétition de parcours similaires d'un poste à l'autre le montre. Un groupe non négligeable d'hommes, embauchés dans tous les services, sont retraités, anciens militaires, anciens fonctionnaires des PTT ou de la police, anciens salariés d'entreprises à statut. Mais, dans leur immense majorité, les salariées du Grand Bazar sont d'anciennes ouvrières, ouvriers, vendeuses, vendeurs, manutentionnaires, emballeurs, emballeuses, femmes de ménage, domestiques, chauffeurs-livreurs, commerçantes à leur compte, veilleurs de nuit ou employées de bureau. Ces postes dessinent le monde professionnel de ces salariées, celui des emplois non qualifiés de tous les secteurs d'activité, commerce, industrie, service aux personnes, emplois salariés le plus souvent, parfois indépendants. Le marché du travail qui se trouve ainsi délimité, est celui que Catherine Omnès appelle le marché du travail indifférencié536. Les salariées qui s'y trouvent et qui, souvent, y passent toute leur vie active, sont tour à tour, voire simultanément, "employées de bureau", "ouvrières" ou "ouvriers", "employées de commerce" ou "femmes de ménage". Les taxinomies dont on dispose pour dire les identités professionnelles ne suffisent pas. Ce qui est certain, c'est qu'une majorité de salariées embauchées au Grand Bazar ne peuvent pas être désignées comme "employées de commerce".

Les renseignements recherchés par les enquêtes menées sur les salariées lors de leur embauche au Grand Bazar confirment le peu d'importance accordée à l'expérience professionnelle des salariées pour leur embauche au magasin.

Notes
529.

ADR, 133J201, B5n°27, entré le 28 juin 1926.

530.

ADR, 133J197, B1hn°68, entré le 30 juin 1924.

531.

ADR, 133J201, B5n°68, entré le 11 novembre 1907.

532.

ADR, 133J201, B5n°35, entré le 5 décembre 1924.

533.

ADR, 133J202, B6n°72, entré le 2 mars 1928.

534.

ADR, 133J205, B8n°148, entrée le 20 juillet 1925.

535.

ADR, 133J204, B7bisn°20, entrée le 17 juin 1929.

536.

Catherine Omnès, Ouvrières parisiennes, p.37.