7/ les enquêtes

Des enquêtes sont en effet menées quasi systématiquement sur les salariées jusqu'en 1914 : dans seulement cinq des 29 dossiers de "B" conservés il n'y en a pas. Les renseignements, pris sur des morceaux de papiers volants, ont cependant pu être perdus, comme pour Marie-Joseph Dubuisson dont l'ensemble du dossier est quasiment vide537. Après 1914, des enquêtes effectuées sur deux "B" seulement ont été retrouvées.

Les renseignements sont pris chez les anciennes employeurs et employeuses par un inspecteur du magasin, qui se déplace ou envoie un courrier. Mais pour François Dot, embauché comme garçon en 1902, et Mathieu Drouault, "comptable" en 1912, qui ont laissé vides les rubriques concernant leurs emplois antérieurs, c'est à la mairie de leur lieu de naissance que le Grand Bazar s'adresse538. Le maire de Craponne renvoie un "certificat de bonnes vies et moeurs", qui mentionne que Mathieu Drouault est actuellement cafetier dans la commune. Celui de Marigny-Saint-Marcel (en Savoie) répond que "pour toute la famille [Dot], les renseignements sont excellents". Ce qui est recherché auprès des anciennes employeurs et employeuses n'est alors guère différent : c'est moins la qualité du travail que les qualités au travail qui sont au centre des préoccupations. Ainsi, aucune des 24 enquêtes ne fait-elle référence aux aptitudes ou aux compétences de la ou du salarié-e. Rares sont même celles qui précisent le poste qui était occupé. En revanche, les deux adjectifs les plus courants sont "travailleur" et "honnête" et l'expression "rien à lui reprocher" conclut ou résume tout le reste. Un ancien employeur assure par exemple que Joseph Devaux (embauché comme garçon en 1907) est "sérieux, travailleur, honnête et de toute probité"539. Pierre Delaget se voit, lui, qualifié de "gentil garçon, rien à lui reprocher" ou "très travailleur et honnête"540. Le rôle des enquêtes n'est donc pas d'opérer une sélection sur des critères positifs, mais d'évincer les indésirables. Les renseignements sont d'ailleurs toujours pris avant l'embauche, dans les jours voire les semaines qui précèdent, y compris pour des salariées embauchées en fin d'année. Joseph Devaux est ainsi d'abord embauché comme garçon le 11 novembre 1907, deux semaines après que Mercier ait mené une enquête. Pour Claude Dusart aussi, l'enquête est faite le 18 décembre 1909, trois jours avant son embauche comme vendeur au rayon jouets, qui se termine début janvier 1910541. Aucune enquête de salarié-e embauché-e ne mentionne alors d'éléments négatifs.

Un autre document doit aussi être fourni par les salariées à leur embauche au Grand Bazar, qui complète le résultat des enquêtes : un extrait de casier judiciaire. Pour huit personnes seulement il n'est pas joint au dossier. Parmi elles, les trois femmes embauchées avant 1914. Contrairement aux enquêtes, il n'est remis à la direction qu'après l'embauche. Mathieu Drouault est le seul à ne pas avoir un casier vierge. Il a été condamné à 25F d'amende "pour tromperie sur la marchandise vendue" deux ans avant son entrée au Grand Bazar542. Il est pourtant conservé comme comptable au magasin. Aucun extrait de casier judiciaire n'est fourni après 1914, en même temps que disparaît l'habitude de faire les enquêtes sur les salariées. Les candidates à l'embauche continuent en revanche à fournir des recommandations. 9 des 29 "B" entrées avant 1914 (dont on a le dossier) en présentent une, et 228 sur les 1107 embauchées entre 1914 et 1936. La présence de recommandations n'est fonction ni du sexe, ni du poste de travail. Elle relève sans doute plus d'une habitude des salariées que d'une exigence de la direction, comme le montre d'ailleurs le nombre d'embauches sans recommandation.

Les enquêtes menées par le Grand Bazar sur les nouvelles et nouveaux salariées confirment le peu d'importance que la direction du magasin accorde au savoir-faire du personnel pour l'embauche. Un seul élément semble, alors, jouer un rôle pour le recrutement au Grand Bazar, le fait de vivre en ville, à Lyon.

Notes
537.

ADR, 133J205, B8n°134, entré le 28 novembre 1898.

538.

ADR, 133J199, B3n°25, entré le 24 novembre 1902 et 133J202, B6n°52, entré le 20 mai 1912.

539.

ADR, 133J205, B5n°68, entré le 11 novembre 1907, renseignements pris le 27 octobre 1907.

540.

ADR, 133J198, B2n°10, entré le 8 août 1906, renseignements pris par Mercier le 7 août 1906.

541.

GBL, C16n°96, entré le 21 décembre 1909.

542.

ADR, 133J202, B6n°52, extrait de casier judiciaire fait à Lyon le 29 mai 1912.