3/ la prime d'ancienneté

Née en 1913 de la liquidation de la caisse de retraite du Grand Bazar, la prime d'ancienneté est érigée en véritable élément de rémunération dans les années 1920.

Lorsqu'elle est créée, il ne s'agit que d'utiliser un reliquat. En 1913 en effet, les 3% des bénéfices annuels que le conseil d'administration consacre au personnel ne sont pas entièrement utilisés par la dotation de la caisse de secours et la liquidation de la caisse de retraite918. Fernand Pariset, administrateur-directeur, propose alors de répartir la somme restante entre "tous les employés de la société sans distinction de fonction ni d'appointements, ayant trois ans de service révolus [au 31 août de chaque année, soit à la clôture de l'exercice], à l'exclusion des chefs de service déjà intéressés dans les bénéfices. Cette répartition sera faite au prorata des années de présence de chaque employé, intéressant ainsi aux bénéfices la plus grande partie de tout le personnel, tout en constituant une prime à l'ancienneté"919. Mais dès 1915, lorsque Pariset présente au conseil d'administration l'utilisation des 3%, l'ordre des priorités est inversé : une quotité de 11 francs par année de service doit désormais être assurée aux employées présentes au Grand Bazar depuis plus de 3 ans et c'est le reste qui est versé à la caisse de secours pour venir en aide "aux employés malades ou nécessiteux"920. A partir de 1917, il n'est plus question de la caisse de secours, les 3% sont entièrement consacrés à la prime d'ancienneté921. Le montant versé aux salariées pour chaque année de présence dépend directement des bénéfices du magasin. Il augmente donc rapidement de 8 à 20 francs entre 1914 et 1919, puis chute ensuite tout aussi brusquement de 15F en 1920 à 5,50F en 1923922. Cette somme est alors jugée trop faible par Pariset, qui décide de la porter à 8,50F par un prélèvement exceptionnel sur le compte des "appointements"923. Elle atteint ensuite 11F en 1925 puis 15F de 1926 à 1928 avant d'être à nouveau relevée par un complément à 16F en 1929 et 1930, alors que les bénéfices n'augmentent plus. Dès 1931, elle doit être ramenée à 14F puis tombe à 5F en 1932924. Par la suite, les délibérations n'en parlent plus, sauf en 1937, où elle est encore à 5F925.

Cette institutionnalisation de la prime d'ancienneté, par les interventions du directeur qui en modifie l'origine budgétaire, contraste avec la modicité des sommes en jeu. L'annuité représente au mieux, en 1920, une journée et demie de salaire d'une femme temporaire. 16F en 1930, c'est l'équivalent d'une journée de travail d'une femme temporaire et de six heures de travail d'un homme. Les sommes versées sont alors très faibles pour la majorité des salariées.

57 des 103 "B" présentes le 1er septembre 1930 touchent une prime d'ancienneté cette année-là. Moïse Djilali, garçon présent depuis quatre ans au Grand Bazar, dont le salaire mensuel s'élève à 630F en 1930, reçoit 64F de prime d'ancienneté pour l'année, soit l'équivalent de trois jours de travail926. Même si les femmes reçoivent une prime d'ancienneté identique à celle des hommes tout en ayant un salaire plus faible, la part de la prime d'ancienneté dans les revenus annuels n'est guère plus importante. Julie Dufossé, caissière, gagne 500F par mois en 1930. Entrée en 1925, elle reçoit une prime pour 5 ans de présence : 80F, soit quatre jours de travail927. La même somme est versée à Louis Duclot, vendeur, dont le fixe mensuel s'élève à 290F en 1930 et à qui elle rapporte donc l'équivalent de 8 ou 9 jours de fixe. Présent en fait depuis 1920 au Grand Bazar, il a perdu le bénéfice de ses cinq premières années de travail au magasin en démissionnant en août 1925 avant d'entrer une nouvelle fois deux mois plus tard928. Pour les salariées les plus anciennes, la prime d'ancienneté est toujours plus importante, mais ne représente jamais un treizième mois de salaire. Elle s'élève à 160F pour Claude Dupuis en 1930, présent depuis 10 ans au magasin, et lui procure ainsi une cinquante-troisième semaine de salaire dans l'année, ses appointements mensuels s'élevant à 690F929. Joséphine Deschamps et Louise Dintras travaillent toutes les deux au Grand Bazar depuis 14 ans et gagnent 590F par mois. Leurs 224F de prime d'ancienneté reçus en 1930 correspondent alors à presque deux semaines de travail930. Marie-Joseph Dubuisson est le "B" le plus ancien au magasin en 1930. Après 32 ans de présence dans les bureaux du Grand Bazar, sa prime d'ancienneté s'élève à 512F pour un salaire mensuel de 780F931.

Les membres de l'encadrement du Grand Bazar reçoivent cette même prime d'ancienneté, à l'exception de celles et ceux que le conseil d'administration a directement intéressées aux bénéfices de la société. Certaines se voient ainsi attribuer une part des 20% dont dispose le conseil d'administration, ces 20% d'où sont aussi tirés les 3% qui forment la prime d'ancienneté.

Notes
918.

ADR, 133J005, PV du CA du 5 novembre 1913.

919.

Idem.

920.

Idem, PV du CA du 19 octobre 1915.

921.

Idem. Dernière mention en est faite dans le PV du CA du 23 octobre 1917.

922.

ADR, 133J005 et 006, PV des CA des 10 novembre 1914, 19 octobre 1915, 18 octobre 1916, 23 octobre 1917, 5 novembre 1919, 20 février 1920 et 3 octobre 1923.

923.

ADR, 133J006, PV du CA du 9 avril 1924.

924.

Idem, PV du CA du 9 avril 1924 et 24 septembre 1924 ; 133J007, PV des CA des 8 décembre 1926, 16 novembre 1928, 28 septembre 1929, 19 septembre 1930, 29 septembre 1931 et 18 octobre 1932.

925.

ADR, 133J008, PV du CA du 12 octobre 1937.

926.

ADR, 133J203, B7n°80, entré le 15 novembre 1926 ; 133J157, Récapitulation des paies du personnel, année 1930 ; Paies des titulaires, année 1930.

927.

ADR, 133J205, B8n°158, entrée le 7 septembre 1925 ; 133J157, Récapitulation des paies du personnel, année 1930 ; Paies des titulaires, année 1930.

928.

ADR, 133J203, B7n°74, entré le 29 mars 1920 puis le 23 novembre 1925.

929.

ADR, 133J201, B5n°71, entré le 23 mars 1920 et 133J157, Récapitulation des paies du personnel, année 1930 ; Paies des titulaires, année 1930.

930.

ADR, 133J205, B8n°167, entrée le 27 novembre 1916 ; 133J157, Récapitulation des paies du personnel, année 1930 ; Paies des titulaires, année 1930.

931.

ADR, 133J205, B8n°134, entré le 28 novembre 1898 ; 133J157, Récapitulation des paies du personnel, année 1930 ; Paies des titulaires, année 1930.